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— À quoi ressemblait-il, cet homme que vous avez vu ? a demandé Scott.

Il me tournait le dos à présent, il regardait dans le jardin.

— Il était grand, plus grand que vous, peut-être. La peau plus sombre. Je crois qu’il est peut-être asiatique, indien, quelque chose comme ça.

— Et ils s’embrassaient, là, sur la pelouse ?

— Oui.

Il a poussé un long soupir.

— Bon sang ! j’ai besoin d’un verre.

Il s’est tourné vers moi.

— Vous voulez une bière ?

Oui, je mourais d’envie de boire, mais j’ai refusé. Je l’ai regardé prendre une bouteille dans le frigo, l’ouvrir, et prendre une longue gorgée. Je pouvais presque sentir le liquide frais couler dans ma gorge, j’avais la main douloureuse tant j’avais envie de tenir un verre. Scott s’est appuyé contre le plan de travail, la tête baissée presque jusqu’à toucher son torse.

J’étais au plus mal. Je ne l’avais pas aidé, j’avais simplement aggravé son état – et sa douleur. Je m’immisçais dans sa peine, et j’avais tort. Je n’aurais jamais dû aller le voir. Je n’aurais jamais dû mentir. Évidemment que je n’aurais jamais dû mentir.

Je m’apprêtais à me lever quand il a repris la parole :

— Peut-être… je ne sais pas. Ça pourrait être une bonne chose, non ? Ça pourrait vouloir dire qu’elle va bien. Qu’elle s’est juste…

Il a eu un petit rire sans joie.

— Qu’elle s’est juste enfuie avec quelqu’un.

Du dos de la main, il a essuyé une larme qui coulait sur sa joue, et mon cœur s’est serré très fort.

— Mais le truc, c’est que je n’arrive pas à croire qu’elle ne m’aurait pas appelé.

Il me fixait comme si je possédais toutes les réponses, comme si je pouvais savoir.

— Elle m’appellerait, non ? Elle devrait se douter de mon état de panique, de… de désespoir. Ce n’est pas elle, d’être aussi rancunière, si ?

Il me parlait comme à quelqu’un à qui il pouvait faire confiance – comme à l’amie de Megan – et je savais que ce n’était pas bien, mais ça me faisait plaisir. Il a repris une gorgée de bière et s’est retourné vers le jardin. J’ai suivi son regard jusqu’à une petite pile de pierres appuyée contre le grillage, un début de jardin de rocaille abandonné depuis longtemps. Il a levé la bouteille à mi-hauteur de sa bouche avant d’interrompre son geste. Il s’est tourné vers moi.

— Vous avez vu Megan depuis le train ? a-t-il demandé. Alors vous… vous avez juste jeté un œil par la fenêtre et, comme par hasard, elle était là, cette femme que vous connaissez ?

L’atmosphère dans la pièce a changé. Il n’était plus très sûr de savoir si j’étais une alliée, s’il pouvait se fier à moi. Une ombre de doute a traversé son visage.

— Oui, je… je sais où elle habite, ai-je dit, et j’ai regretté ces mots dès l’instant où ils ont quitté mes lèvres. Où vous habitez, je veux dire. Je suis déjà venue. Il y a longtemps. Alors, parfois, en passant, je regarde si je la vois.

Il me dévisageait, et j’ai senti le rouge me monter aux joues.

— Elle était souvent dehors.

Il a posé sa bouteille vide sur le plan de travail, puis il a fait quelques pas vers moi et s’est assis à la table, sur la chaise à côté de la mienne.

— Alors vous la connaissiez plutôt bien ? Enfin, assez bien pour venir à la maison ?

Je sentais le sang cogner dans mes tempes et la transpiration s’accumuler dans le bas de mon dos, la nausée grisante de l’adrénaline. Je n’aurais pas dû dire ça, je n’aurais pas dû compliquer encore mon histoire.

— Juste une fois, mais je… je sais où se trouve la maison parce que je ne vivais pas très loin d’ici, avant.

Il a levé un sourcil.

— Au bout de la rue. Au vingt-trois.

Il a acquiescé lentement.

— Watson… Alors, quoi, vous êtes l’ex-femme de Tom ?

— Oui. J’ai déménagé il y a deux ans.

— Mais vous alliez quand même voir Megan à la galerie ?

— De temps en temps.

— Et quand vous la voyiez, est-ce que vous… est-ce qu’elle vous parlait de choses personnelles, de moi ?

Il avait la voix rauque.

— Ou de quelqu’un d’autre ?

J’ai secoué la tête.

— Non, non, c’était simplement… histoire de passer le temps, vous savez.

Il y a eu un long silence. La pièce m’a semblé se réchauffer brusquement, et l’odeur de désinfectant a surgi de tous côtés. Je me suis soudain sentie faible. À ma droite se dressait une petite table où étaient posées des photos dans des cadres. Megan souriait gaiement, comme pour m’accuser.

— Je devrais y aller, ai-je dit. Je vous ai suffisamment dérangé.

J’ai commencé à me lever, mais il a tendu un bras pour m’attraper par le poignet, ses yeux rivés sur mon visage.

— Ne partez pas tout de suite, a-t-il soufflé.

Je ne me suis pas levée, mais j’ai retiré ma main de la sienne ; ça me donnait la sensation inconfortable d’être prisonnière.

— Cet homme, a-t-il repris, l’homme avec qui vous l’avez vue, vous pensez pouvoir le reconnaître ? Si on vous le montrait ?

Je ne pouvais pas lui répondre que je l’avais déjà identifié pour le compte de la police. La seule raison que j’avais de l’avoir contacté, c’était que la police n’était pas censée avoir pris mon histoire au sérieux. Si je lui avouais la vérité, sa confiance s’évanouirait. Alors j’ai encore menti.

— Je n’en suis pas sûre… mais peut-être, oui.

J’ai attendu un instant avant de poursuivre :

— Dans les journaux, j’ai lu une interview d’un ami de Megan, un certain Rajesh. Je me demandais si…

Scott secouait déjà la tête.

— Rajesh Gujral ? Ça m’étonnerait. C’est un des artistes qui exposaient à la galerie. C’est un type plutôt gentil mais… il est marié, il a des enfants.

Comme si ça empêchait quoi que ce soit.

— Attendez une seconde, a-t-il dit en se relevant. Je crois qu’on a une photo de lui quelque part.

Il a disparu à l’étage. Mes épaules se sont affaissées et je me suis rendu compte que, depuis mon arrivée, j’étais figée par le stress. J’ai à nouveau regardé les cadres avec leurs clichés : Megan en robe d’été sur une plage ; un gros plan sur son visage, ses yeux d’un bleu profond. Rien que Megan. Pas de photos d’eux deux ensemble.

Scott est réapparu et m’a montré un dépliant. C’était un prospectus pour une exposition à la galerie. Il l’a retourné.

— Là, c’est Rajesh.

Un homme se tenait près d’une peinture abstraite aux couleurs vives : il était plus âgé, petit et trapu avec une barbe. Ce n’était pas l’homme que j’avais vu, celui que j’avais désigné à la police.

— Ce n’est pas lui, ai-je dit.

Scott était debout à côté de moi, étudiant le papier, puis il s’est retourné brusquement pour ressortir de la pièce et remonter l’escalier. Quelques instants plus tard, il est revenu avec son ordinateur portable et s’est rassis à la table de la cuisine.

— Je crois… a-t-il commencé en ouvrant la machine pour l’allumer. Je crois que je peux…

Puis il est resté silencieux, et je l’ai observé, le visage très concentré, le muscle de sa mâchoire crispé.

— Megan voyait un psy, m’a-t-il expliqué. Il s’appelle… Abdic. Kamal Abdic. Il n’est pas asiatique, il vient de Serbie, ou de Bosnie, quelque chose comme ça. Mais il a la peau mate. De loin, il pourrait passer pour indien.

Il a tapoté sur son clavier.

— Il y a un site, il me semble. J’en suis sûr. Je crois qu’on y voit une photo…

Il a tourné l’ordinateur vers moi pour me montrer l’écran. Je me suis penchée pour mieux voir.

— C’est lui, ai-je confirmé. C’est lui, c’est certain.

Scott a refermé son portable d’un coup sec. Pendant un long moment, il n’a rien dit. Il est resté assis, les coudes sur la table, le front appuyé sur le bout de ses doigts, les bras tremblants.

— Elle avait des crises d’angoisse, a-t-il fini par dire. Du mal à dormir, ce genre de chose. Ça a commencé l’an dernier, je ne sais plus quand exactement.

Il parlait sans me regarder, comme s’il se parlait à lui-même, comme s’il avait complètement oublié ma présence.

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