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— Je me disais aussi que j’oubliais quelque chose ! ricana Langlois. Eh bien, merci, monsieur Walker ! Tâchez au moins de ne pas en rajouter dans le papier sensationnel que vous allez pondre ?

— Allons, commissaire ! fit Walker avec un sourire désarmant. Comme si vous ne me connaissiez pas ?

— Justement, je vous connais.

— Alors, vous devez savoir que je vénère la police et que, pour rien au monde, je ne voudrais troubler sa sérénité.

Adalbert, cependant, s’était rapproché de Masha qui, à l’écart, contemplait ce qui se passait, immobile et droite, absente…

— Qu’avez-vous chanté pour cette femme tout à l’heure ?

Sans le regarder, elle répondit :

— Le chant de mort des guerriers mongols. Je l’ai appris un jour, très loin d’ici, d’un homme qui allait mourir… Cela évoque la gloire de ceux ont combattu dans l’honneur et qui s’en retournent, libérés de la haine, vers la steppe ancestrale que baignent l’Onon doré et le bleu Kéroulen… mais ne me demandez pas de traduire mot à mot : j’en suis incapable même si je comprends…

Et, ramenant sur sa tête le châle qui en avait glissé, elle s’en alla rejoindre ses frères…

Ainsi que Marie-Angéline l’avait précisé, Lisa n’eut aucune peine à se libérer de ses liens quand elle reprit conscience sur le tapis de la salle de bains où elle était étendue en chemise. Une situation parfaitement ridicule qui l’eût amusée si l’enjeu n’eût été aussi lourd. Elle aimait bien « Plan-Crépin », dont elle reconnaissait volontiers les aptitudes hors du commun, mais cette fois elle lui en voulait de s’être immiscée dans ce drame où la vie d’Aldo était en jeu.

Revenue dans sa chambre, elle constata d’abord qu’il était près de neuf heures et demie, ce qui signifiait que la machine était en marche et qu’elle ne pouvait plus rien pour l’arrêter. Que faire alors ? Rester dans cette chambre banale sans communication aucune avec qui que ce soit lui parut insupportable et, puisque l’indomptable Marie-Angéline avait pris sa place, elle allait se rendre rue Alfred-de-Vigny, certaine de s’y trouver au cœur du problème. Tante Amélie avait le réconfort vigoureux et singulièrement efficace.

Saisie d’une hâte soudaine de la retrouver, elle endossa les vêtements de Marie-Angéline, rassembla les quelques affaires sorties de sa mallette de voyage, prit son sac et descendit dans le hall pour régler sa note et demander un taxi. Il y avait réception, ce soir, au Continental et elle en fut un instant contrariée car dans ceux qui arrivaient elle pouvait reconnaître certains visages ; mais son déguisement était vraiment parfait, ainsi que la convainquirent son reflet dans l’une des hautes glaces de l’entrée et les regards sans poids de ces gens sur elle. Quelques instants plus tard elle roulait vers le parc Monceau…

Si elle s’attendait à créer une quelconque surprise, elle fut déçue.

— Enfin vous voilà ! exhala Mme de Sommières qui, depuis plus d’une heure, arpentait son jardin d’hiver dans un cliquetis de sautoirs.

— Vous m’attendiez ?

— Bien sûr ! Que pouviez-vous faire d’autre à présent que compter les heures avec moi ? On attend mieux à deux que seule en face de son imagination. J’aime bien Plan-Crépin, vous savez ?

— Pourquoi, alors, lui avoir laissé faire cela ?

— Parce que c’était la seule chose intelligente. Parce que vous avez deux petits enfants et qu’ils ont besoin de vous plus encore que de leur père Enfin parce que Plan-Crépin porte en elle le sang de ces fous qui traversaient les mers et les déserts pour récupérer un tas de pierres où le Christ n’a fait que passer.

Elle s’arrêta, regarda Lisa au fond des yeux puis la saisit dans ses bras pour la serrer contre son cœur :

— Ma pauvre petite ! Ce que vous avez dû souffrir ! Pardon de n’avoir pas d’abord pensé à vous. Pardon de cet accueil un peu abrupt mais… mais je suis comme ça ! Si je ne vocifère pas, je m’écroule !

— Je sais. Mon père est comme vous… et moi aussi je crois bien. Mais j’ai peur… J’ai tellement peur !

Se dégageant des bras de la marquise, elle se laissa tomber sur un pouf et, en dépit de ce qu’elle venait de dire, fondit en larmes avec la violence d’une rivière qui brise une vanne. Mme de Sommières la laissa pleurer un moment, se contentant de poser une main apaisante sur les cheveux teints de la jeune femme dont elle avait commencé à palper une mèche dans un geste plein de pitié. Alors, elle entendit :

— Pourquoi… pourquoi ne m’avez-vous pas dit qu’il s’était mis à aimer cette femme ? À l’aimer au point de la tuer.

Comprenant qu’un poison ajoutait sa brûlure à la blessure de Lisa, Mme de Sommières tira une chaise basse près du pouf et s’empara des mains de la jeune femme pour essayer de découvrir son visage :

— Qu’est-ce qui peut vous faire croire une pareille horreur ? Connaissez-vous donc Aldo aussi mal ?

— Je le connais bien, au contraire. Je sais qu’il est sujet à des coups de passion qu’il a du mal à contrôler. Avez-vous oublié Anielka et, avant elle, Dianora, la femme de mon père ?

— Pourquoi ne pas remonter au Déluge ? L’affaire Dianora, c’était avant la guerre. Quant à la Polonaise, il a vite compris…

— Pas si vite que vous le dites ! J’étais auprès de lui. Même si je me fondais dans le paysage. Après la Danoise et la Polonaise, pourquoi pas cette Russe ?

— Mais qui a pu vous raconter tout ça ?

— Quelqu’un en qui j’ai entière confiance : mon cousin Gaspard. Il a vu Aldo chez Maxim’s avec cette femme et ensuite il l’a suivie. Elle était, m’a-t-il dit, d’une rare beauté et…

— Et vous avez avalé cela sans vérifier ? Pourquoi ne pas être venue le rejoindre aussitôt au lieu de rester en Autriche ?

— Mais parce que j’aurais détesté ce rôle ! s’écria Lisa. La femme jalouse qui vient récupérer son époux pour le ramener au foyer en le tirant par l’oreille ? Vous, vous auriez dû m’appeler !

— Nous étions à Nice. C’est la lecture d’un journal qui nous a fait rentrer dare-dare… après le crime. Et ça vous l’en croyez capable aussi ?

Lisa haussa des épaules désabusées :

— Pourquoi pas ? Aldo a derrière lui des siècles de violence, de jalousie, de passions…

— … comme n’importe quel habitant de cette terre qu’il soit prince ou vilain ? En tout cas, au lieu d’écouter les délations – peut-être pas si innocentes ! – de votre cher cousin, pourquoi n’avez-vous pas appelé Adalbert ? Aldo habitait chez lui et il doit en savoir plus que quiconque !

— Son ami ? Le plus que frère ?… Il ne m’aurait rien dit.

— Je n’en suis pas certaine. Peut-être ne le savez-vous pas, mais je soupçonne notre archéologue d’être amoureux de vous depuis longtemps… Il ne serait pas resté les bras croisés devant un tel désastre.

Et comme la jeune femme gardait le silence Tante Amélie reprit :

— Lisa ! Lisa ! Ce que nous vivons ensemble ce soir est trop grave, trop douloureux aussi pour y mêler ce que je pense être au mieux un malentendu, au pire une infamie !

— Cela non ! Gaspard est un homme droit, honnête…

— Et il vous aime… Oui ou non ?

— Je ne sais pas…

— Mais si vous le savez ! En ce cas, sa vision des choses n’est peut-être pas tout à fait impartiale…

Cette fois Lisa ne répondit pas.

Le vieux Cyprien d’ailleurs venait d’entrer, poussant une table roulante sur laquelle il y avait disposé tout ce qui composait normalement un thé à l’anglaise, à cette différence près qu’il n’y avait pas de thé mais du café, du chocolat… et même un seau à champagne.

— Où allez-vous avec ça ? lui lança Mme de Sommières.

— J’ai pensé que si Madame la Marquise et Madame la Princesse veulent attendre Mademoiselle du Plan-Crépin, la nuit peut leur paraître longue… et froide.

Après quoi il alla tisonner le feu et remettre quelques bûches.

Elle fut longue en effet mais quand Cyprien revint au salon après l’avoir passée dans la loge du concierge près du téléphone, il trouva les deux femmes endormies, la plus âgée dans une chaise longue, la plus jeune dans une bergère, et resta là un instant à contempler ces deux visages fatigués que le sommeil n’avait pas réussi à rendre sereins. Allons, les nouvelles qu’il apportait seraient les bienvenues même si Monsieur Aldo était en route pour l’hôpital !

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