Литмир - Электронная Библиотека
A
A

— Désolé de troubler les délectables méditations de Votre Majesté, fit-il goguenard, mais je crains que son trésor de guerre ne lui échappe dans un bref délai. Les mains en l’air !

Pas autrement effrayé, l’air agacé plutôt, l’autre obéit :

— Qui êtes-vous et que voulez-vous ?

— Un ami du prince Morosini. Je viens le chercher et récupérer du même coup tout ce que vous lui avez volé. À commencer par ça ! ajouta-t-il en s’emparant de la perle qu’il glissa dans sa poche de poitrine. On ne vous a pas dit que ce n’était pas correct de toucher une rançon et de ne pas rendre son prisonnier ?

— Je n’ai pas reçu la totalité de ce que j’attendais. Je n’ai donc aucune raison de libérer votre ami. J’avais dit la princesse Morosini en personne !

— Pas difficile de deviner pourquoi : on l’enfermait, on faisait chanter son papa, on ramassait la collection Kledermann… et pour finir on tuait tout le monde afin d’être sûr de n’être reconnu par personne. C’était bien imaginé mais c’est raté ! Alors maintenant, vous allez me montrer le chemin ajouta-t-il avec rudesse. Debout et passez devant !

— Où voulez-vous aller ?

— Chercher Morosini ! Un peu vite, s’il vous plaît !

— C’est inutile : il est mort !

Le cœur d’Adalbert manqua un battement et il dut serrer les dents, mais sa détermination n’en fut que plus ferme :

— Alors conduisez-moi à sa tombe ! Et je vous préviens qu’il faudra creuser ! Je suis quelqu’un dans le genre de saint Thomas moi, je ne crois que ce que je vois !

— Il n’y a pas de tombe. Nous l’avons jeté à la Seine !

— Tiens donc ! Il aurait déjà refait surface.

— Pas avec une gueuse de fonte aux pieds…

Le sang d’Adalbert se glaçait de plus en plus. Ce misérable semblait affreusement sûr de son fait.

— Si vous avez fait ça, vous n’êtes qu’un fou, parce que moi, à présent, je n’ai plus aucune raison de vous ménager…

Au bout de son bras tendu, l’arme vint presque toucher le visage d’Agalar. Celui-ci lut sa mort dans les yeux soudain opaques de cet homme. Il allait tirer. D’une main qui tremblait, le marquis écarta le revolver :

— Je vous ai menti. Il vit ! Et… et je vais vous conduire à lui.

— J’espère qu’il est en bon état. Sinon, il ne restera pas grand-chose de vous à livrer à la guillotine ! Marchez ! Je vous suis… Et pas un geste de trop sinon vous êtes mort !

— Je ne suis pas stupide…

La porte franchie, Adalbert fronça le sourcil : il s’attendait à se trouver en face du pistolet de Marie-Angéline mais elle n’était pas là. Ce qui le surprit un peu, mais pas trop : il connaissait assez le caractère fantasque de la dernière des Plan-Crépin. Quelque chose avait dû attirer son attention et elle était allée voir.

L’un derrière l’autre, on descendit l’escalier à pas comptés.

En atteignant le vestibule, Adalbert pensa que l’atmosphère était bizarre : tout était désert, silencieux. Or, si Martin et Théobald avaient surpris les gens de la cuisine, un certain vacarme aurait dû s’ensuivre, et l’on n’entendait rien. On ne voyait personne. La porte du salon éclairé était toujours ouverte comme celles donnant sur le jardin.

Adalbert pensait que l’on allait se diriger vers celui-ci mais Agalar marcha vers le salon :

— Pas par là ! gronda Adalbert. Je suis sûr qu’il n’est pas dans la maison.

— Sans doute, mais je dois prendre des clefs et elles sont dans cette pièce…

— Dans ce cas…

Toujours l’un derrière l’autre on pénétra dans la zone éclairée. À cet instant quelque chose siffla dans l’air et une douleur brûlante envahit le poignet d’Adalbert. La lanière d’un long fouet venait de s’y enrouler. Et ce fouet était manipulé par un poussah mongol. L’arme s’échappa de sa main dont il eut l’impression qu’on la lui arrachait, et il se retrouva sur le tapis usé.

— Bravo, Timour ! fit Agalar avec satisfaction. Je me demandais où tu étais passé.

— Femme embusquée là-haut. L’ai assommée et jetée dans un coin.

Adalbert demanda mentalement pardon à « Plan-Crépin », coupable seulement de s’être laissé surprendre, et sentit un pincement à la pensée que cette brute l’avait peut-être tuée…

— Où sont les gardes ? demanda le marquis.

Timour fit signe qu’il n’en savait rien.

— On finira bien par les retrouver. Où sont les autres ?

— Ici, don José ! fit une voix à l’accent espagnol. Nous avons été attaqués à la cuisine et Pablo a été tué, mais j’ai assommé celui-là en lui lançant un fer à repasser à la tête, ajouta-t-il en jetant à terre un homme ficelé troussé comme un poulet dans lequel Adalbert, en qui montait le désespoir, reconnut Martin. Le journaliste était blême, inconscient, et du sang coulait de sa tempe.

— Il était seul ? grinça Agalar en allongeant au corps inerte un coup de pied chaussé d’un soulier pointu.

— Non. Il y en a un autre qui a réussi à s’échapper mais il n’ira pas loin. Tamar était allée… là-bas avec les chiens. En revenant elle a vu l’homme qui s’enfuyait et elle les a lâchés. Il ne doit pas être beau à voir à l’heure qu’il est.

Cette fois Adalbert ne put retenir un gémissement douloureux. Théobald ! Son fidèle, son irremplaçable ! Son ami !… Cette fois tout était fini, et par sa faute ! Quelle stupidité de ne pas avoir prévenu la police dès l’instant où il avait reconnu Tamar. Tout ça parce qu’il craignait qu’une arrivée massive ne précipite la fin d’Aldo… et aussi parce que, attaché à leur pacte d’autrefois, il se croyait assez fort pour le sortir de ce piège trop bien monté !

Cependant son léger signe de douleur ramenait l’attention d’Agalar sur lui, débarrassé de la lanière de cuir mais toujours à plat ventre sous le pied du Mongol qui lui maintenait la nuque à terre.

— Ça fait mal, hein, de perdre de bons compagnons, éructa-t-il. Seulement moi aussi j’en ai perdu et j’ai bien l’intention de vous faire payer le prix fort…

— Si c’est la mort que vous appelez le prix, vous faites erreur. Dès l’instant où mes amis sont morts, je n’ai plus guère envie de vivre. Alors allez-y ! Tuez-moi !

— Soyez sûr que je n’y manquerai pas, mais si vous pensez vous en tirer avec une balle dans la tête, vous faites erreur. La nuit est loin d’être achevée et nous avons tout notre temps ! En outre cette maison est suffisamment isolée pour que personne ne vous entende crier… Déshabillez-le attachez-le au pilier de l’escalier, vous autres. Quant à vous, mon cher, vous allez pouvoir apprécier avec quel art Timour peut découper un homme en lanières avec celle d’un fouet…

Un instant plus tard, l’archéologue était attaché solidement, le torse nu, à l’épais pilier de chêne dont ses bras faisaient à peine le tour…

CHAPITRE XI

OÙ LE MONDE SE MET À TOURNER À L’ENVERS

Tandis qu’on l’attachait à ce poteau de torture d’un nouveau genre d’où il ne devait pas sortir vivant, les idées d’Adalbert tournaient éperdument dans sa tête. Un léger, un très faible espoir venait d’y poindre du fait que le marquis croyait vides les maisons voisines, ce qui faisait grand honneur à la discrétion de La Tronchère. Pourtant il y était, lui, et aussi Karloff, dont le courage et l’esprit de décision ne faisaient aucun doute. Il fallait essayer de les alerter et, pour cela, sa seule chance – si l’on pouvait l’appeler ainsi dans une telle situation – était de hurler aussi fort que possible sous la torture qu’il allait subir.

Le premier coup de fouet lui fit comprendre qu’il n’aurait pas à se forcer. La dure lanière en cuir d’hippopotame, l’enveloppant d’une intolérable brûlure, lui arracha un cri, et le deuxième fut un véritable hurlement : le malheureux avait l’impression qu’on lui arrachait la peau du dos. Le ricanement d’Agalar le révolta :

— Comment osez-vous vous prétendre du sang de Napoléon alors que vous n’êtes qu’un fou criminel et sadique…

62
{"b":"155377","o":1}