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Dès que le mot fut prononcé, Morosini se sentit plus détendu. Voilà un terrain solide sur lequel il aimait à s’aventurer et, à contempler cet homme dont le moindre mouvement faisait jaillir des étincelles, il pensa que ce pourrait être fort intéressant. De toute façon cela lui changerait les idées…

— Quel genre d’affaire ? demanda-t-il.

— Je souhaite acheter la perle dont les journaux ont parlé avec tant d’abondance. Celle qui appartenait au grand Napoléon ! Pouvez-vous me la montrer ?

— Elle n’est pas ici. Cette maison appartient à ma grand-tante la marquise de Sommières. C’est une dame âgée qui vit avec des serviteurs plus très jeunes non plus et la « Régente » s’est révélée un joyau… dangereux. Je me dois d’ailleurs de vous en informer, Altesse.

Alwar eut un geste de la main qui balayait la mise en garde :

— Pouvez-vous me la décrire en spécialiste que vous êtes ?

C’était pour Morosini l’enfance de l’art. Il se surprit même à se laisser aller sur les pentes d’un certain lyrisme pour évoquer l’orient admirable, la forme, le doux éclat de la grosse perle, sans oublier la pureté et la qualité extrêmes des diamants qui la coiffaient. Le maharadjah buvait ses paroles et, quand ce fut fini, il se montra enthousiaste :

— Magnifique ! Je vois déjà exactement le collier que je ferai exécuter et dont elle sera la pièce maîtresse. Le prix importe peu et je l’achète !

Aldo en aurait crié de joie. Il avait l’impression que le ciel s’ouvrait au-dessus de lui pour lui permettre d’entendre chanter les anges ! La damnée perle allait partir pour les Indes, tout à fait hors de portée de « Napoléon VI » ! Et cette châsse ambulante ne discuterait même pas le prix ! Un prix grâce auquel la vie du petit Le Bret serait assurée et quelques misères soulagées.

— Je pense, dit-il en s’efforçant de contenir sa joie, que vous ne regretterez pas cet achat, Monseigneur ! C’est à ma connaissance l’une des deux plus belles perles du monde et si vous voulez bien me faire l’honneur de revenir demain, elle vous attendra.

— C’est que demain je ne serai plus là ! Je rentre chez moi par le premier bateau…

— Mais alors…

Après un geste apaisant, Alwar frappa doucement dans ses mains sur un certain rythme : un homme en bleu apparut, une serviette sous le bras.

— L’un de mes secrétaires, présenta Alwar. Voilà ce que je vous propose : il va vous remettre un chèque de la moitié du prix dont nous allons convenir…

— Un instant, Altesse ! coupa Morosini. Je vous demande pardon mais je n’ai pas l’habitude de travailler ainsi. Je n’accepte d’argent qu’en remettant à l’acheteur le joyau choisi. Vous pouvez avoir la perle ce soir même… dans une heure au besoin. En ce cas vous la payez et nous n’en parlons plus.

— Tstt ! Tstt !… Je ne vois pas les choses ainsi. Je vous l’ai dit, je n’ai pas l’intention de l’emporter et si je vous fais remettre la moitié du prix c’est afin de concrétiser notre marché. L’autre moitié de la somme vous sera remise… dès votre arrivée à Alwar. Quand, avant d’aller à Kapurthala, vous me l’apporterez vous-même ! Ainsi le plaisir que j’en aurai en sera centuplé… et cela ne vous fera jamais qu’un petit détour.

Les anges, tout à coup, avaient cessé de chanter…

Troisième partie

LES TRÉSORS DE GOLCONDE

CHAPITRE XII

LA PORTE DES INDES

Ce fut avec un vif plaisir que Morosini et Vidal-Pellicorne reprirent, à Bombay, contact avec la terre ferme. En dépit de son confort attentif,  L’Irraouadi, le paquebot des Messageries maritimes qui les amenait depuis Marseille, les avait secoués sans ménagement presque tout au long d’une de ces traversées qui comptent dans la vie d’un homme. Sauf pendant la lente remontée du canal de Suez et la navigation en mer Rouge – un intermède apprécié ! – le père Neptune leur avait fait grise mine, pour ne pas dire plus. L’aimable Méditerranée, dans la seconde quinzaine d’octobre, s’était montrée hargneuse et, en débouchant dans l’océan Indien, ils avaient rencontré la queue du cyclone qui venait de dévaster une partie des côtes indiennes. Fort heureusement, le port de Bombay n’en avait pas souffert. Le grand paquebot blanc put venir à son quai sans autre difficulté et y déverser une cargaison humaine soulagée mais déjà transpirante dans la chaleur humide qui règne en permanence sur ce grand port.

— Qu’est-ce que ce serait si nous n’étions pas à la saison fraîche ! soupira Adalbert, à peine assis dans la voiture qui allait les conduire à l’hôtel, en ôtant son casque colonial pour s’en éventer. J’ai l’impression de tremper dans un bain de vapeurs.

— Cette nuit tu auras presque froid, fit Aldo pour qui la chaleur n’avait jamais posé de problème, en regardant d’un œil distrait les flèches du soleil qui perçaient la brume pour se briser sur l’eau plate.

Tout ici était tellement différent ! Il avait conscience d’être au seuil de ce monde inconnu dont il rêvait lorsqu’il était enfant : les Indes ! Deux tout petits mots mais tellement évocateurs qu’ils se passaient d’adjectifs tant ils étaient chargés de couleurs, du parfum des épices, du ruissellement des joyaux et des turbans empanachés de diamants voguant dans les herbes hautes sur des éléphants caparaçonnés d’or. La réalité de l’instant présent était tout autre : la grisâtre brume dont s’enveloppait la ville éteignait les couleurs et même si Morosini savait que les splendeurs rêvées l’attendaient quelque part dans cet immense pays, les odeurs aussi manquaient au rendez-vous, remplacées par des relents de vase, de pourriture et d’huile chaude où se mêlait par instants une vague senteur d’encens.

Pourtant, quand ils arrivèrent devant l’hôtel – un énorme caravansérail coiffé de quatre minarets à bulbe de ce style indéfinissable qui caractérise l’ère victorienne, avec sur le pavillon central une énorme coupole semblable à une grosse fraise –, la brume se déchira soudain pour libérer un grand ciel bleu où planaient des oiseaux blancs. En face, au bout d’une place ovale terminant le boulevard Maritime et dominant le port, apparut une sorte d’arc de triomphe en basalte jaune, arrogant à souhait et construit en 1911 pour commémorer le voyage aux Indes du roi George V et de la reine Mary. Imposant, un peu écrasant même, il semblait peser de son poids de pierre sur la foule de mendiants, de charmeurs de serpents, de devins, de vendeurs d’amulettes, de saints hommes nus à la chevelure couverte de cendres, de vaches bossues et de petits marchands de fruits : une humanité couleur de craie, ou de terre, d’où se détachait, parfois, la silhouette gracieuse d’une femme enroulée dans un sari aux couleurs tendres. Cet arc de triomphe s’appelait la Porte des Indes et en vérité il portait bien son nom…

Debout près de la voiture d’où les boys de l’hôtel extrayaient les bagages, Aldo s’attardait à contempler ce décor qui avait l’air planté là pour qu’on y joue  Le Tour du Monde en quatre-vingts jours quand une jeune femme armée d’un Kodak sortit de la masse des « figurants » et entreprit de traverser la place en courant à la manière des photographes : c’est-à-dire que, sans trop faire attention où elle allait, elle se retournait fréquemment pour chercher des angles de prises de vue.

Elle atterrit ainsi au milieu des bagages, faillit tomber, se raccrocha à la première aspérité venue qui se trouva être l’épaule d’Adalbert, perdit son casque blanc et éclata de rire :

—  So sorry! commença-t-elle,  I am...

L’archéologue l’avait déjà reconnue :

— Lady Mary ?… Mais quelle agréable rencontre.

— Et inattendue, fit Aldo. Que faites-vous à Bombay, Mary ?

Rendue muette par la surprise, elle les regarda tour à tour comme s’ils tombaient du ciel et finir par articuler :

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