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A
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— Hum ! Monsieur le Prince pense qu’il a besoin de quelque chose d’efficace ?

— C’est exactement cela ! Pas d’eau !

— Pourquoi pas un cocktail en ce cas ? Un Corpse Reviver par exemple ?

Aldo se mit à rire :

— Je sais que vous êtes le roi du cocktail des deux continents, Franck (4), mais pensez-vous vraiment que j’aie besoin de réanimation ?

— Pour savoir ce qui convient à un certain degré de soucis, il faut essayer.

— Et il y a quoi dedans ?

— Dans le Corpse Reviver n° 1, il y a un tiers de calvados, un tiers de brandy et un tiers de vermouth italien.

— S’il y a un numéro un, il y a au moins un numéro deux ?

— C’est mathématique. Celui-là est à base de Pernod avec un peu de jus de citron et du champagne…

— Bigre !

— … mais il me semble que le n° 1 conviendrait mieux. L’autre soir, le prince Youssoupoff est venu passer un moment ici. Un peu de désenchantement je pense… Il a beaucoup aimé mon n° 1. Il se sentait mieux en repartant.

— Il en avait bu combien ?

— Trois ou quatre… peut-être cinq, répondit Franck la mine doucement rêveuse.

— Peste ! Il fallait qu’il ait de gros soucis ?

— Votre Excellence n’a pas lu les journaux ces jours derniers ?

— Pas vraiment, non.

Le barman plongea derrière son comptoir, en tira une poignée de journaux, en choisit un qu’il tendit à Morosini après y avoir jeté un coup d’œil.

— Ah voilà ! La fille de Raspoutine qui vit chez nous depuis un moment veut lui intenter un procès en cour d’assises pour avoir assassiné son père. Il y a là une photo et elle n’est pas vraiment sympathique !

Aldo prit le journal et son cœur manqua un battement : le visage reproduit sur le quotidien était celui de la femme venue fouiller le logement de Piotr Vassilievich !

— Pas sympathique du tout, en effet !… Tout bien réfléchi, Franck, préparez-moi donc votre n° 1 de façon que je puisse y revenir. Je crois que je vais en avoir besoin…

CHAPITRE III

UNE PETITE VOITURE ROUGE…

À condition de ne pas en abuser, la mixture de Franck se révéla efficace. Aldo y puisa au moins une bonne idée : restituer la perle à son légitime propriétaire en lui demandant, s’il la vendait, de faire un geste pour le petit Le Bret. Geste que lui-même compléterait, au cas, bien improbable car le prince Félix Youssoupoff passait pour très généreux, où il se révélerait insuffisant. Ainsi Masha serait satisfaite et lui délivré.

Restait à se rendre chez lui. Ne l’ayant jamais rencontré, il ignorait son adresse mais, par Franck, il sut qu’il habitait Boulogne sans autre précision. Même s’il ne s’agissait pas d’un secret d’État il n’était pas d’usage, au Ritz, de distribuer les adresses des clients. Cependant le barman ajouta que le prince était propriétaire d’un petit restaurant rue du Mont-Thabor – c’est-à-dire pas bien loin du palace – qui s’appelait « La Maisonnette russe » et que dirigeait avec grâce mais fermeté une Mme Tokareff. La cuisine y était bonne – toujours selon Franck ! – et l’accueil aimable… En outre il arrivait au propriétaire de s’y montrer. Aldo décida d’y aller déjeuner.

Il partit à pied vers midi et demi, longea la rive ouest de la place Vendôme, prit la rue de Castiglione, tourna le coin de la rue du Mont-Thabor et tomba dans un attroupement formé sur le trottoir par un groupe de passants qui appréciaient en amateurs éclairés l’explication musclée opposant deux hommes qui semblaient de taille sensiblement égale mais dont l’un poussait des cris affreux en appelant alternativement au secours et la police. La circulation, réduite dans cette rue paisible, n’existait plus du tout à cause d’une petite Amilcar rouge vif avec des coussins de cuir noir, arrêtée en plein milieu de la chaussée. Son conducteur avait dû en jaillir pour courir sus à son gibier…

La vue de cette voiture jeta Aldo, sinon dans la mêlée, du moins à travers la petite foule de spectateurs qu’il fendit sans ménagement afin d’arriver au premier rang. Cela lui permit d’admirer dans toute sa beauté la technique de celui des deux adversaires qui était en train de prendre le dessus et s’occupait activement de la figure ennemie : les coups partaient avec une régularité de métronome et les jambes du malheureux commençaient à flageoler. L’autre l’acheva d’un magnifique uppercut à la mâchoire qui l’envoya au tapis – en l’occurrence l’entrée d’une porte cochère – où il s’écroula aux applaudissements des spectateurs.

— J’espère que cela te servira de leçon, espèce de gros malhonnête ! fulmina Adalbert Vidal-Pellicorne. Et si dans les vingt-quatre heures je ne retrouve pas ce que tu m’as volé, je recommence !

— Voilà la police ! prévint quelqu’un.

Morosini bondit, empoigna son ami par le bras, le traîna jusqu’à sa voiture dans laquelle il sauta pour prendre le volant :

— Filons ! Ce n’est pas le moment de lambiner !

Le moteur n’était pas arrêté. Morosini n’eut qu’à embrayer et écraser l’accélérateur : le petit bolide partit comme une fusée tandis que le passager forcé revenait lentement de sa surprise et la traduisait par un :

— D’où sors-tu, toi ?

— Du ciel ! Comme tous les anges gardiens ! Je suis venu pour empêcher que l’on t’embarque au poste les menottes aux mains. Qu’est-ce qu’il t’a fait, ce bonhomme ? Et d’abord qui est-ce ?

— Un confrère ! grogna l’archéologue en sortant de sa poche un vaste mouchoir pour effacer de son visage le sang qui avait coulé de son nez. Il s’appelle Fructueux La Tronchère !

— Avec un tiret ? Comme Vidal-Pellicorne ?

— Non. Fructueux c’est son prénom.

— Encore un souvenir de la Révolution ?

— Tu n’y es pas. C’était un évêque espagnol qui a subi le martyre sous Valérien. Le plus drôle c’est que sa fête est le 21 janvier…

— Le jour de la mort de Louis XVI? Je savais bien qu’il y avait de la Révolution là-dessous. Et qu’est-ce qu’il t’a fait ?

Pour causer plus tranquillement et aussi parce qu’il ne savait pas où aller, Aldo venait d’arrêter la voiture sous les marronniers des Champs-Elysées.

— Presque rien ! Il m’a fait galoper jusqu’à Assouan, où il m’avait donné rendez-vous sous le prétexte d’inscriptions qu’il venait de découvrir par hasard près de la première cataracte du Nil mais qu’il ne pouvait déchiffrer.

— Un égyptologue qui ne peut pas lire les hiéroglyphes ? C’est nouveau ça ?

— Il n’est pas égyptologue. Il s’occupe des civilisations de l’Euphrate. C’est pourquoi je ne me suis pas méfié.

— Si ce n’est pas son coin, qu’est-ce qu’il faisait à Assouan ?

— Il était censé se reposer à l’hôtel Old Cataract et c’est au cours d’une excursion qu’il a fait la découverte en question.

— Et vous étiez si grands amis qu’il a pensé à toi tout naturellement pour te faire bénéficier de sa trouvaille ?

— Grands amis, non, mais il me montrait beaucoup de considération, une sorte de respect. Bref, je n’avais aucune raison de douter de lui. Seulement… quand je suis arrivé à Assouan, il n’y était plus. Il était parti, me laissant une lettre bourrée d’excuses mêlées à trois fautes d’orthographe, me disant sa désolation de devoir remettre à plus tard notre rendez-vous : son père venait de mourir à Montauban et il était obligé de rentrer.

— Et tu en as fait autant. Seulement cela n’explique pas la raclée que tu viens de lui administrer ? Ce n’est pas un crime de perdre son père…

— À condition de ne pas l’avoir perdu dix ans plus tôt. À peine rentré j’ai rencontré quelqu’un qui savait à quoi s’en tenir à son sujet et qui m’a renseigné : voilà six mois que je me fais rouler par un faisan. Il n’est pas plus archéologue que… que… que toi, tiens ! Seulement il a beaucoup lu et il est très habile. D’où ce voyage au bout de l’Égypte.

— Destiné à cacher quoi ?

— Un pur et simple cambriolage. Je me suis fait voler comme dans un bois…

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