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Il y avait un homme qui se tenait accroupi au bord du trou, un homme qui portait un masque grimaçant de carnaval :

— Eh bien, mon cher prince, ricana-t-il, que pensez-vous de votre nouveau logis ? Un peu austère peut-être ?

L’oreille d’Aldo était trop sensible aux sons pour qu’il ne reconnût pas cette voix bien timbrée et somme toute agréable :

— Il m’est déjà arrivé d’être prisonnier, répondit il avec une désinvolture qu’il était bien loin d’éprouver mais qui était chez lui une seconde nature. Toutes les prisons se valent. Il est vrai qu’on pourrait attendre mieux de l’hospitalité d’un grand d’Espagne.

— Parce que vous pensez que j’en suis un ?

— Hélas oui ! Ôtez donc ce masque, mon cher marquis ! Vous êtes ridicule !

— Dans quelques jours vous me trouverez moins ridicule, messer Morosini. Quand vous apprécierez mieux les agréments de votre séjour. Il se peut que vous me suppliiez à genoux de vous en tirer. Seulement cela ne servira à rien tant que…

— Tant que quoi ?

— Tant que je n’aurai pas reçu ce que je veux !

— Et que voulez-vous de plus ? Vous avez déjà la « Régente », les bracelets de la princesse Brinda et l’émeraude d’Ivan… sans compter ma montre, mon alliance et ma chevalière.

— J’admets que c’est intéressant. La perle surtout qui ne quittera plus les Joyaux de la Couronne. Le reste va entrer dans mon trésor de guerre ainsi que ce que j’attends de vous.

— Là où j’en suis, je ne vois pas très bien ce que je pourrais vous donner. Ma chemise ? Si ça peut vous faire plaisir.

— Il faudra qu’elle vous serve encore un bout de temps. Non, ce que je veux, c’est votre collection de bijoux. On dit que vous avez des pièces magnifiques…

— Pas mal, oui, mais j’aurais quelque peine à aller vous la chercher. C’est loin, Venise !

— N’exagérons rien ! L’un de mes serviteurs y est justement parti. Je l’ai chargé de déposer chez vous, sous l’aspect anodin d’un commissionnaire un petit paquet contenant votre sardoine ancestrale et une lettre. Le tout adressé à votre femme…

— Ma femme n’est pas à Venise !

— C’est contrariant, mais comme le paquet va arriver en urgence, il y aura bien quelqu’un pour lui faire parvenir mon message ? Votre séjour risque seulement de se prolonger un peu plus !

— Et que dit ce message ?

— Qu’elle doit, si elle veut vous revoir vivant m’apporter elle-même ces babioles là où je le lui indiquerai. Si elle tardait trop, d’ailleurs, j’ai spécifié qu’elle pourrait recevoir votre alliance… et le doigt qui va avec !

Si quelque chose trembla dans le cœur d’Aldo ce ne fut pas à la pensée de la mutilation annoncée, mais bien à l’évocation de Lisa invitée à se jeter dans les griffes de ce fou. Sa voix cependant resta ferme :

— Pourquoi elle-même ? J’ai un fondé de pouvoir qui peut sortir de mes coffres ce que je veux…

— Je préfère que ce soit elle. D’abord parce qu’elle est, paraît-il, une fort jolie femme et que rien ne me plaît plus qu’un joli visage. Ensuite, parce que j’ai des projets pour elle.

— Vous voulez la couronner impératrice ? Je vous signale qu’elle est déjà mariée…

— Cessez de me prendre pour un imbécile ! gronda Agalar. Je me marierai lorsque le souci de la dynastie sera à l’ordre du jour. Quand je parle de projets pour votre femme, ils sont de tout autre nature.

— On peut savoir ?

— Pourquoi pas ? Cela va vous permettre d’apprécier. Si mes renseignements sont bons, la princesse est la fille de Moritz Kledermann, le banquier suisse ?

— Tout le monde le sait ! fit Aldo en haussant les épaules.

— Et une fille unique ? Eh bien, mais c’est très simple : lorsqu’elle m’apportera ce que je veux, je l’inviterai à un petit séjour dans ma demeure jusqu’à ce que son père ait payé la rançon que je me ferai un plaisir de fixer… assez haut ! Mais rassurez-vous, continua-t-il en réponse au grondement sourd qui monta du puits, elle sera traitée en… impératrice. D’ailleurs… il se pourrait que je l’épouse quand vous aurez disparu. Ce qui pourrait se produire dans un laps de temps assez court.

— Vous êtes un fier misérable ! s’écria Morosini envahi de dégoût. Ainsi, rançon payée, vous me tuerez, simplement ?

— Je n’en aurai même pas besoin : il suffira de sceller l’entrée de ce puits désaffecté et de vous y oublier. Personne n’aura l’idée de vous y chercher : il est au fond du parc et à flanc de coteau où un éboulis s’est produit, dénudant la muraille à moitié de sa profondeur. Vous n’y manquerez donc jamais d’air. Évidemment, quand on aura cessé de vous nourrir et de vous abreuver, le séjour sera moins agréable… Et je vous préviens que crier ne vous servirait à rien : il n’y a pas une âme à moins de deux cents mètres…

— Il serait plus simple de me tuer tout de suite.

— Que non pas ! Je tiens à vous montrer vivant à votre charmante épouse. Vous serez extrêmement convaincant. Et, à ce propos, voici de quoi vous nourrir pendant deux jours, ajouta-t-il en lançant dans le puits un gros pain de campagne qui manqua la tête d’Aldo d’un centimètre. Pour ce qui est de l’eau, vous en avez assez jusque-là.

— La princesse Morosini exigera que vous me libériez.

— Croyez-vous ? Je vois les choses autrement : il me suffira de rendre votre situation encore plus pénible pour l’obliger à se plier à mes désirs. Eh oui, en vérité, je crois que je vais être très heureux !

— Vous n’oubliez qu’une chose : la police qui doit me chercher…

— Oh, mais je ne l’oublie pas et je puis même vous assurer qu’elle vous cherche déjà. Mais pas pour ce que vous imaginez.

— Ah non ? Et pourquoi donc ?

— Elle cherche un assassin. Vous êtes accusé mon cher, d’avoir égorgé la nuit dernière la belle comtesse Tania Abrasimoff qui était votre maîtresse depuis quelques jours mais voulait rompre. On a trouvé une lettre de vous… une bien belle lettre ! Débordante de passion… et de menaces.

Tétanisé d’horreur, Aldo ne réagit pas immédiatement. Ce ne fut qu’au bout d’un instant qu’il articula :

— Vous l’avez tuée ! Vous avez tué cette pauvre fille dont vous aviez fait votre complice et que vous terrorisiez ?

L’autre se mit à rire. Un rire grinçant, cruel. Un rire de dément bien qu’on ne pût vraiment assurer que cet homme en fût un. Il passa comme une râpe sur les nerfs tendus à l’extrême d’Aldo qui retint un gémissement tandis que son bourreau poursuivait :

— Terrorisée ? Vous en êtes sûr ? Elle n’en avait pas l’air, croyez-moi, quand je lui faisais l’amour. Il vrai qu’elle le faisait volontiers dès qu’il y avait un bijou en perspective. Vous auriez dû en profiter…

— Et vous l’avez égorgée ? Vous êtes décidément ignoble !

— Moi, l’égorger ? Vous rêvez, mon cher ! Je ne fais jamais le vilain travail de mes mains. J’ai, pour le faire, des exécuteurs. Cette brave Tamar, par exemple ! C’est elle d’ailleurs qui vous accuse : elle jure de vous avoir vu à l’œuvre…

— Et elle vous est dévouée ? C’est à peine croyable…

— Elle est surtout dévouée à l’opium que je lui donne et à quelqu’un d’autre. Eh bien, mon cher prince, je pense que vous en savez assez maintenant pour occuper votre esprit ces jours à venir. Quant à moi, j’ai eu le plus grand plaisir à cet entretien. Que je renouvellerai peut-être ? Ne fût-ce que pour vous tenir au courant… C’est la moindre des choses.

Le couvercle retomba avec une résonance lugubre, plongeant à nouveau le prisonnier dans des ténèbres d’autant plus cruelles qu’au mal-être physique allaient se joindre l’angoisse, la terreur de ce qui arriverait à Lisa quand elle viendrait s’engluer à son tour dans la toile de cette immonde araignée…

CHAPITRE IX

OÙ ADALBERT TROUVE CE QU’IL NE CHERCHAIT PAS…

L’arrivée de Marie-Angéline boulevard Rochechouart ne manqua pas d’allure… Il s’agissait d’ôter de l’esprit de celle que l’on allait visiter le moindre doute sur le côté quasi officiel de la démarche et, surtout la moindre idée qu’il pouvait s’agir d’une espèce de complot. Ce fut donc dans la Panhard-Levassor noire de la marquise – vieille mais toujours si admirablement entretenue qu’elle sentait sa bonne maison d’une lieue –, avec Lucien le chauffeur en livrée gris fer sur le siège, qu’elle se rendit chez la fille de Raspoutine, vêtue d’un tailleur simple mais bien coupé et le chef orné d’un chapeau à voilette qui estompait suffisamment son visage pour lui donner une rassurante impression de protection contre la curiosité, et qu’elle souleva lorsque Lucien, casquette à la main, lui ouvrit la portière et qu’elle mit son grand pied, chaussé de richelieus cirés à miracle, sur le trottoir grouillant d’activité entre les boutiques fixes et les petites voitures des marchands des quatre-saisons.

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