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Il s’approcha de sa maîtresse, posa sur son épaule une main respectueuse et la secoua doucement…

En fait d’hôpital, Morosini n’effectua qu’un très bref séjour à l’Hôtel-Dieu : le temps, pour Mme de Sommières, d’apprendre qu’on l’y avait emmené et de passer – une fois n’est pas coutume ! – deux coups de téléphone : l’un à son « vieil ami » le professeur Dieulafoy pour exiger de lui une place dans sa clinique, l’autre au commissaire Langlois pour lui donner son point de vue sur la qualité des soins que l’on était en droit d’attendre du plus vieil hôpital parisien :

— Vous voulez qu’en plus de ce qu’il a subi, il attrape des poux, des puces et Dieu sait quoi ?

— Des cafards peut-être ? Nous ne sommes plus au Moyen Âge, Madame, et si l’Hôtel-Dieu accueille les indigents, les filles publiques et autres épaves de la rue, il a tout de même entendu parler de l’asepsie et de l’antisepsie.

— Il a une chambre particulière ?

— Non mais…

— Vous voyez bien ! En résumé, si vous l’avez mis là, c’est pour l’avoir sous la main. Encore une chance que vous ne l’ayez pas envoyé à l’infirmerie de la Santé !

— Je comprends votre émotion, Madame, mais je vous prie de vous calmer ! Il est vrai que j’ai encore plusieurs questions à lui poser, mais au titre de simple témoin : plus aucune charge ne pèse contre lui !

— J’aime mieux cela ! Bon, veuillez m’excuser, et comprendre qu’à mon âge je préfère ne pas avoir à traverser la moitié de Paris chaque fois que j’irai le voir. La clinique du professeur Dieulafoy n’est pas loin de chez moi…

— En ce cas, faites comme vous le désirez ! Je n’ai aucune raison de m’y opposer… Mais puisque j’ai le… hum !… plaisir de vous entendre, m’autorisez-vous une question ?

— Pourquoi pas ?

— Merci. On me dit que la princesse Morosini est chez vous ?

— Oui. Cependant, si vous désirez lui parler, je vous demande de prendre un peu patience. Elle vient de vivre un cauchemar dont elle n’est pas encore bien réveillée…

— C’est trop naturel. J’attendrai et je vais prévenir l’Hôtel-Dieu.

Une heure plus tard, couché au milieu de l’océan de blancheur d’une chambre dont la fenêtre donnait sur les arbres du parc Monceau, Aldo, que l’on avait nettoyé et pansé à l’Hôtel-Dieu, subissait le premier examen du professeur Dieulafoy. Sans en avoir d’ailleurs la moindre conscience. Depuis qu’on l’avait tiré du puits, la fièvre ne cessait de monter et, proche du délire, il ne se rendait compte de rien.

L’examen fut minutieux mais, quand il l’eut achevé, le « vieil ami » – qui n’avait guère plus de cinquante ans – ne cacha pas ses craintes lorsqu’il vint en personne rue Alfred-de-Vigny en donner le résultat :

— Il est atteint de broncho-pneumonie, expliqua-t-il. La sous-alimentation et l’eau, peut-être douteuse, qu’il a dû boire n’ont rien arrangé. Il était grand temps qu’on le tire de là.

— Mais enfin il est solide ? émit Lisa dont tout l’être protestait contre un bilan aussi dramatique. Il a toujours fait du sport…

— Cela ne l’empêche pas d’avoir des poumons fragiles. Cependant il jouit visiblement d’une excellente constitution et c’est sur elle que je compte pour le tirer d’affaire… Ne désespérez pas ! Le cas est grave mais pas extrême et je suis seulement venu vous donner le bilan…

— Je vais y aller ! Je veux le voir !

— Non, je vous en prie ! Pas maintenant ! Donnez-moi un jour ou deux ! Il n’aimerait pas, je crois, que vous le voyiez dans l’état où il est.

— C’est mon époux ! Et cela pour le meilleur et pour le pire. Et si le pire est là je dois y être aussi. Je viendrai… demain !

Dieulafoy haussa les épaules :

— Je ne peux pas vous en empêcher…

— Et moi je ne peux que vous donner raison, dit Mme de Sommières quand le médecin les eut quittées, mais peut-être devriez-vous faire quelque chose pour votre apparence ? Vous êtes méconnaissable ainsi.

Lisa se leva et se dirigea vers la glace de la cheminée qui lui renvoya l’image d’une femme dont la pâleur contrastait avec les cheveux d’un brun foncé aussi éloigné que possible de la somptueuse chevelure d’or roux qui l’enveloppait habituellement. Une femme très mal habillée, en outre, de vêtements sans grâce qui lui allaient mal.

— Vous voulez dire que je suis un véritable épouvantail ?… Il faut, au moins, arranger cela. Mais pour les cheveux je crains qu’une décoloration n’aggrave le mal. La solution sera peut-être de les couper court et d’attendre qu’ils repoussent…

— Aldo détestera. Il aime tant vos cheveux ! Ne coupez pas toute la longueur et faites éclaircir ce que vous garderez. Il y a grâce au Ciel d’excellents coiffeurs !

— Je sais mais d’ici demain je n’ai pas le temps, reste celui de téléphoner chez Lanvin où l’on a mes mesures pour demander que l’on m’apporte de quoi m’habiller convenablement.

Ce fut, bien sûr, plus que convenable. Le soir même, quand Adalbert vint dîner – il avait dormi toute la journée ainsi d’ailleurs que Marie-Angéline assommée de fatigue par sa nuit d’aventures ! –, il put embrasser une longue jeune femme brune, belle et pâle dans une robe de crêpe georgette bleu glacier dont le drapé en écharpe autour du cou faisait ressortir la rare couleur violet foncé des yeux.

— C’est assez surprenant, dit-il en tenant Lisa à bout de bras pour mieux l’examiner, mais c’est loin d’être laid. Et cette couleur vous va à ravir ! Je me demande ce qu’en dira Aldo ?

— Nous le saurons demain. Je ne veux pas attendre plus longtemps pour le voir. C’est moi qui devrais être auprès de lui. Pas des infirmières inconnues !

— Cela n’arrangerait rien. Je suis passé à la clinique avant de venir : la fièvre ne cède pas et il est toujours inconscient… C’est assez… impressionnant, même maintenant qu’on l’a débarrassé de sa crasse. Marie-Angéline qui l’a vu quand on l’a ramené au jour a failli s’évanouir…

Lisa eut un petit sourire et prit par le bras l’intéressée, qui devint toute rouge :

— Elle a fait preuve d’un courage extraordinaire, n’est-ce pas ? Pourtant je lui en voulais tellement lorsque je me suis retrouvée dans la salle de bains du Continental, ligotée avec des ceintures en éponge. À présent je ne sais que faire pour l’en remercier !

— Oh ! Je n’en mérite pas tant ! J’ai toujours adoré jouer la comédie, me déguiser, changer de personnage. Celui de Mina Van Zelden me plaît bien…

— Oui, eh bien vous vous contenterez dans l’avenir immédiat de celui de Plan-Crépin ! intervint la marquise. Il me suffit tout à fait, à moi : la comédie d’hier a bien failli tourner au tragique. Passons à table, en attendant, pour célébrer au champagne  la gloire de notre héroïne !

— Au champagne ! s’offusqua Marie-Angéline. Alors qu’Aldo est entre la vie et la mort ?

— Boire de l’eau ne le ramènera pas plus vite à la santé. Nous devons avoir des pensées constructives et, pour moi, le champagne en fait partie presque autant que les prières ! Nous boirons aussi à sa santé. Je suis sûre d’ailleurs qu’il va s’en sortir.

Et, prenant le bras d’Adalbert, l’indomptable vieille dame se dirigea vers la salle à manger ; mais il y avait des larmes dans ses yeux.

Ceux de Lisa étaient secs mais inquiets lorsque, le lendemain après-midi, elle franchit, accompagnée d’Adalbert, le seuil de la clinique du Pr Dieulafoy. L’infirmière-chef qui les reçut était grande, maternelle et compétente. Elle les emmena dans son bureau où elle offrit à Lisa un siège et une cigarette.

— Vous pensez que j’ai besoin de réconfort ? murmura celle-ci avec un regard incertain.

— On en a toujours besoin. La fièvre a baissé. Pas suffisamment encore et le malade reste faible, à peu près inconscient. Le professeur s’est montré plus optimiste ce matin mais, quand il s’agit d’un cas… préoccupant comme celui-là, j’ai l’habitude d’offrir aux proches, quand ils arrivent à la clinique, une halte entre la rue et la chambre. Cela leur permet d’aborder leur malade avec plus de sérénité et cela me donne parfois l’occasion de… modifier leur comportement, leur tenue aussi, car il faut songer à l’impression que ressentira celui qu’ils viennent voir.

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