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– Comme vous voudrez, mon vieux, dit Hermel. On va monter le dossier.

– Commissaire, dit le lieutenant en revenant, il y avait ça dans l'herbe, à côté du corps. C'est tout neuf.

La paume tendue, le lieutenant lui présenta une boulette de papier bleu froissé. Le commissaire enfila ses gants, la déplia.

– Du papier, commenta-t-il d'un ton maussade. Une publicité peut-être. Ça vous dit quelque chose, mon vieux?

Adamsberg l'attrapa du bout des ongles, l'examina.

– Vous allez parfois à l'hôtel, Hermel? demanda-t-il.

– Ouais.

– Vous voyez, dans la salle de bains, tous ces petits gadgets qu'on se met dans la poche?

– Ouais.

– Des micro-savons, des micro-cirages, des micro-dentifrices, des micro-tissus nettoyants pour les mains. Vous voyez ça?

– Ouais.

– Toutes ces saletés qu'on embarque en partant?

– Ouais.

– Eh bien c'est ça. C'est un sachet de micro-tissu nettoyant. Ça vient d'un hôtel.

Hermel reprit le papier froissé, chaussa ses lunettes et l'examina de plus près.

– "Le Moulin ”, lut-il. Il n'y a pas d'hôtel du Moulin à Bourg.

– Faudrait chercher dans les environs, dit Adamsberg. Faudrait faire vite.

– Pourquoi vite?

– Parce qu'on aurait des chances de trouver la chambre où Massart a dormi.

– Il ne va pas s'envoler, l'hôtel.

– Mais ce serait bien mieux d'arriver avant qu'on ait fait le ménage.

– Vous croyez que ce truc appartient au tueur?

– C'est possible. C'est un truc qu'on fourre dans sa poche et qui ne tombe que si on se penche vraiment. Qui viendrait se pencher vraiment à cet endroit, au pied de cette croix?

A dix heures du matin, on localisait un Hôtel du Moulin à Combes, à près de soixante kilomètres de Bourg. Une voiture démarra en trombe du commissariat, emportant Hermel, Adamsberg, le lieutenant et deux techniciens.

– Avisé, commenta Adamsberg. Il tue sur son itinéraire mais il se planque très en arrière. On peut toujours se brosser pour le chercher sur sa route. Il est partout.

– Si c'est lui, dit Hermel.

– C'est lui, dit Adamsberg.

Un peu avant onze heures, ils garaient devant l'Hôtel du Moulin, un deux-étoiles d'un certain standing.

– Doublement avisé, dit Adamsberg en considérant la façade. Il se figure que les flics le chercheront dans des hôtels borgnes et il n'a pas tort. Il loge donc dans des établissements bourgeois.

La jeune femme qui tenait la réception fut presque incapable de les aider. Un homme avait réservé la veille par téléphone, elle ne l'avait pas vu entrer. On donnait le code de la porte aux clients. Elle avait pris son service à six heures du matin, il était sorti à l'aube, vers six heures et demie. Non, elle ne l'avait pas vu, elle préparait les tables pour le petit déjeuner. Il avait posé sa clef sur le comptoir, Non, il n'avait pas encore signé le registre, ni payé. Il avait prévenu qu'il resterait trois nuits. Non, elle n'avait pas vu sa voiture, ni rien d'autre. Non, il n'avait pas de chien. Un homme, c'était tout.

– Vous ne le reverrez pas, dit Hermel.

– Quelle chambre? demanda Adamsberg.

– La 24, au second.

– Le ménage a été fait?

– Pas encore. On commence toujours par le premier étage.

On travailla deux heures dans la chambre.

– II a tout essuyé, dit le type des empreintes. C'est un prudent, un méticuleux. Il a ôté la taie d'oreiller, il a emporté les serviettes de bain.

– Donne ton maximum, Juneau, ordonna Hermel.

– Oui, répondit Juneau. Ils se croient plus malins que les autres, mais ils laissent toujours quelque chose.

Son collègue appela depuis la salle de bains.

– Il s'est coupé les ongles devant la fenêtre, dit-il.

– Parce qu'il avait du sang dessous, dit Hermel.

– Deux ongles se sont foutus dans la feuillure.

Le type glissa sa pince à épiler dans la fente et extirpa les ongles qu'il enferma dans un sachet plastique. Juneau récupéra un cheveu noir et fin, presque avalé dans le siphon de la douche.

– Il n'a pas tout vu, dit-il. Ils laissent toujours quelque chose.

De retour au commissariat de Bourg, il fallut encore deux heures pour obtenir de la gendarmerie de Puygiron qu'on procède à des prélèvements dans la maison de Massart et qu'on envoie les échantillons récoltés au laboratoire de Lyon, aux fins de comparaisons.

– Qu'est-ce qu'on cherche? demanda l'adjudant-chef de Puygiron.

– Des cheveux et des ongles, dit Hermel. Tous les ongles que vous pouvez ramasser. Relevez les empreintes aussi, ça peut servir.

– On relève ce qu'on trouve, dit l'adjudant. On n'est pas payés pour vous fabriquer des comment dirais-je preuves.

– C'est bien comme ça que je l'entends, dit Hermel avec calme. Relevez ce que vous trouvez.

– Massart est mort. L'individu s'est perdu sur le mont Vence.

– Il y a ici quelqu'un qui n'en est pas certain.

– Un très grand type? Athlétique? Blond avec des cheveux longs?

Hermel examina Adamsberg.

– Non, dit-il. Pas du tout.

– Je vous le répète, commissaire. Massart a chuté quelque part dans la comment dirais-je montagne.

– Sans doute. Mais autant s'en assurer, n'est-ce pas, pour vous comme pour moi. J'ai besoin de ces échantillons aussi vite que possible.

– C'est dimanche, commissaire.

– Cela veut dire que vous avez largement le temps d'aller ratisser chez Massart cet après-midi et de faire porter les prélèvements à Lyon dès ce soir. Il y a mort d'homme ici, et le tueur bat la campagne. Vous m'entendez bien, mon adjudant?

Hermel raccrocha peu après en grimaçant.

– Un de ces gars qui fait tout ce qu'il peut pour bloquer les civils. J'espère qu'il fera procéder à une fouille correcte.

– C'est lui qui a bloqué toute l'affaire au départ, dit Adamsberg.

– Je ne peux pas me permettre d'envoyer quelqu'un à moi. Ça foutrait le feu au baril.

– Vous connaissez quelqu'un au Parquet de Nice?

– Je connaissais, mon vieux. Il n'y est plus depuis deux ans.

– Essayez quand même. On serait plus à l'aise avec un de vos hommes là-bas.

Adamsberg se leva, serra la main de son collègue.

– Tenez-moi au courant, Hermel. Les analyses et le dossier. Le dossier surtout.

– Le dossier, je sais.

– À propos de cette tueuse que j'ai aux fesses, prévenez vos hommes de la boucler. N'oubliez pas.

– Dangereuse?

– Très.

– Ça m'arrange de ne pas vous citer. Prenez garde à vous, mon vieux.

Le lendemain matin, un lundi, presque toute la presse faisait sa une du loup-garou. Soliman revint en sueur de la ville, balança sa mobylette sur le bas-côté, jeta le pain frais et une brassée de journaux sur la caisse en bois.

– Tout est dans ces putain de journaux! cria-t-il. Tout! Une catastrophe! Une fuite monumentale! Putain de flics et putain de journaux! Le loup-garou, les brebis, les victimes, tout y est! Même la carte! L'itinéraire! Il n'y a que le nom de Massart qui ne soit pas cité! C'est foutu! C'est cuit! Massart va se barrer dès qu'il aura lu ça. Il est peut-être déjà en train de se barrer! Il nous échappe, bon sang de merde! Faudrait contrôler les frontières, bloquer les routes! Connards de flics! Elle avait raison, ma mère! Connards de flics!

– Calme-toi, Soliman, dit Adamsberg. Bois ton café.

– Vous ne comprenez pas? cria le jeune homme. Ce n'est plus un filet qu'on lui tend, c'est un tapis rouge pour qu'il puisse s'envoler!

– Calme-toi, répéta Adamsberg. Montre ça.

Adamsberg déplia les journaux, en passa un à Camille, un au Veilleux. Il hésita, puis il en posa un sur les pattes d'Interlock.

– Tiens, le chien, lis ça.

– Est-ce que c'est tellement le moment de rire? demanda Soliman, mauvais, en plissant les yeux. Est-ce que c'est tellement le moment de rire quand Massart va se barrer et que ma mère va rester coincée dans le marigot puant?

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