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– Bon! avance la cloche; c’est cela: introduis le chien dessous… Là!… À propos, j’oubliais de te demander à quelle mort tu crois le mieux.

– Je ne sais ce que vous voulez dire, maître; la mort est la mort.

– C’est juste, très juste, ce que tu viens de me dire là, et c’est mon avis, à moi aussi. Eh bien! puisque la mort est la mort, fais le vide, Acharat.

Balsamo tourna une roue qui dégagea par un tuyau l’air enfermé sous la cloche avec le chien, et peu à peu l’air s’enfuit avec un sifflement aigu. Le petit chien s’inquiéta d’abord, puis il chercha, fouilla, leva la tête, respira bruyamment et précipitamment, et enfin il tomba suffoqué, gonflé, inanimé.

– Voilà le chien mort d’apoplexie, n’est-ce pas? dit Althotas. Une belle mort qui ne fait pas souffrir longtemps!

– Oui.

– Il est bien mort?

– Sans doute.

– Tu ne me parais pas bien convaincu, Acharat?

– Si fait, au contraire.

– Oh! c’est que tu connais mes ressources, n’est-ce pas? Tu supposes que j’ai trouvé l’insufflation, hein? cet autre problème qui consiste à faire circuler la vie avec l’air dans un corps intact, comme on le peut faire dans une outre qui n’est pas percée?

– Non, je ne suppose rien; je crois que le chien est mort, voilà tout.

– N’importe, pour plus grande sécurité, nous allons le tuer deux fois. Lève la cloche, Acharat.

Acharat enleva l’appareil de cristal, le chien ne bougea point; ses paupières étaient closes, son cœur ne battait plus.

– Prends ce scalpel, et, tout en laissant le larynx intact, tranche-lui la colonne vertébrale.

– C’est uniquement pour vous obéir.

– Et aussi pour achever le pauvre animal, au cas où il ne serait pas tout à fait mort, répondit Althotas avec ce sourire d’opiniâtreté particulier aux vieillards.

Balsamo donna un seul coup de la lame tranchante. L’incision sépara la colonne vertébrale à deux pouces du cervelet à peu près, et ouvrit une large plaie sanglante.

L’animal ou plutôt le cadavre de l’animal demeura immobile.

– Oui, ma foi, il était bien mort, dit Althotas; pas une fibre ne tressaille, pas un muscle ne frémit, pas un atome de chair ne s’insurge contre ce nouvel attentat. N’est-ce pas, il est mort, et bien mort?

– Je le reconnais autant de fois que vous désirerez que je le reconnaisse, dit Balsamo impatient.

– Et voilà un animal inerte, glacé, à jamais immobile. Rien ne prévaut contre la mort, as-tu dit. Nul n’a la puissance de rendre la vie ni même l’apparence de la vie à la pauvre bête.

– Nul, si ce n’est Dieu!

– Oui, mais Dieu ne sera pas assez inconséquent pour le faire. Quand Dieu tue, comme il est la suprême sagesse, c’est qu’il a une raison ou un bénéfice à tuer. Un assassin, je ne sais plus comment on l’appelle, un assassin disait cela, et c’était fort bien dit. La nature a un intérêt dans la mort.

«Ainsi voilà un chien aussi mort que possible, et la nature a pris son intérêt sur lui.

Althotas attacha son œil perçant sur Balsamo. Celui-ci, fatigué d’avoir soutenu si longtemps le radotage du vieillard, inclina la tête pour toute réponse.

– Eh bien, que dirais-tu, continua Althotas, si ce chien ouvrait l’œil et te regardait?

– Cela m’étonnerait beaucoup, maître, répondit Balsamo en souriant.

– Cela t’étonnerait? Ah! c’est bien heureux!

En achevant ces paroles avec son rire faux et lugubre, le vieillard attira près du chien un appareil composé de pièces de métal séparées par des tampons de drap. Le drap de cet appareil trempait dans un mélange d’eau acidulée; les deux extrémités ou les deux pôles, comme on les appelle, sortaient du baquet.

– Quel œil veux-tu qu’il ouvre, Acharat? demanda le vieillard.

– Le droit.

Les deux extrémités rapprochées, mais séparées l’une de l’autre par un morceau de soie, s’arrêtèrent sur un muscle du cou.

Aussitôt l’œil droit du chien s’ouvrit, et regarda fixement Balsamo, qui recula effrayé.

– Maintenant, passons à la gueule, veux-tu?

Balsamo ne répondit rien, il était sous l’empire d’un profond étonnement.

Althotas toucha un autre muscle, et à la place de l’œil, qui s’était refermé, ce fut la gueule qui s’ouvrit, laissant voir les dents blanches et aiguës, à la racine desquelles la gencive rouge frémissait comme dans la vie.

Balsamo eut peur et ne put cacher son émotion.

– Oh! voilà qui est étrange! dit-il.

– Vois comme la mort est peu de chose, dit Althotas triomphant de la stupéfaction de son élève, puisqu’un pauvre vieillard comme moi, qui va lui appartenir bientôt, la fait dévier de son inexorable chemin.

Et tout à coup, avec un rire strident et nerveux:

– Prends garde, Acharat, dit-il, voilà un chien mort qui tout à l’heure voulait te mordre, et qui maintenant va courir après toi. Prends garde!

Et en effet, le chien, avec son cou tranché, sa gueule béante et son œil tressaillant, se leva soudain sur ses quatre pattes, et, la tête hideusement pendante, vacilla sur ses jambes.

Balsamo sentit ses cheveux se hérisser; la sueur lui tomba du front, et il alla à reculons se coller contre la porte d’entrée, incertain s’il devait fuir ou demeurer.

– Allons, allons, je ne veux pas te faire mourir de peur en essayant de t’instruire, dit Althotas repoussant le cadavre et la machine, assez d’expériences comme cela.

Aussitôt le cadavre, cessant d’être en rapport avec la pile, retomba morne et immobile comme auparavant.

– Aurais-tu cru cela de la mort, Acharat? dit le vieillard, et la croyais-tu d’aussi bonne composition, dis?

– Étrange, en effet, étrange! dit Balsamo en se rapprochant.

– Tu vois qu’on peut arriver à ce que je disais, mon enfant, et que le premier pas est fait. Qu’est-ce que prolonger la vie, quand on est déjà parvenu à annuler la mort?

– Mais on ne le sait pas encore, objecta Balsamo, car cette vie que vous lui avez rendue est une vie factice.

– Ayons du temps et nous retrouverons la vie réelle. N’as-tu pas lu dans les poètes romains que Cassidée rendait la vie aux cadavres?

– Dans les poètes, oui.

– Les Romains appelaient les poètes vates, mon ami, n’oublie pas cela.

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