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Foma Fomitch et Obnoskine pouffaient de rire.

– Moi aussi, j’en riais ensuite! s’écria mon oncle en riant et tout heureux de voir la gaieté revenue. Tiens, Foma, je veux vous amuser tout en vous racontant comment je fus attrapé une fois… Imagine-toi, Serge, que nous étions en garnison à Krasnogorsk…

– Colonel, permettez-moi de vous demander si votre histoire sera longue, interrompit Foma.

– Oh! Foma, c’est une histoire très amusante. Il y a de quoi mourir de rire. Écoute seulement, et tu vas voir ça!

– J’écoute toujours vos histoires avec plaisir, pour peu qu’elles répondent au programme que vous venez de tracer, dit Obnoskine en bâillant.

– Nous n’avons plus qu’à écouter, décida Foma.

– Je te jure que ce sera très amusant, Foma. Je vais vous raconter comment, une fois, je commis une gaffe. Écoute, toi aussi, Serge; c’est fort instructif. Nous étions donc à Krasnogorsk, reprit mon oncle, tout heureux et radieux, racontant précipitamment et par phrases hachées, comme il lui arrivait toujours lorsqu’il discourait pour la galerie. À peine arrivé dans cette ville, je vais le soir au théâtre. Il y avait alors une actrice remarquable, nommée Kouropatkina, laquelle s’enfuit avec l’officier Zverkov avant la fin de la pièce, si bien qu’on dut baisser le rideau. Quelle canaille, ce Zverkov! ne demandant qu’à boire, à jouer aux cartes, non qu’il fut un ivrogne, mais pour passer un moment avec les camarades. Seulement, quand une fois il s’était mis à boire, il oubliait tout: il ne savait plus où il vivait, ni dans quel pays il se trouvait, ni comment il s’appelait; il oubliait tout! Mais c’était un charmant garçon… Me voilà donc en train de regarder le spectacle. À l’entr’acte, je rencontre mon ancien camarade Kornsoukhov… un garçon unique, ayant fait campagne, décoré; j’ai appris qu’il a embrassé depuis la carrière civile et qu’il est déjà conseiller d’État. Enchantés de nous retrouver, nous causions. Dans la loge voisine, trois dames étaient assises, celle de gauche était laide à faire peur… J’ai su depuis que c’était une excellente femme, une mère de famille et qu’elle avait rendu son mari très heureux… Moi, comme un imbécile, je dis à Kornsoukhov: «Dis donc, mon cher, connais-tu cet épouvantail? – Qui? – Mais cette dame. – C’est ma cousine!» Diable! vous jugez de ma situation! Pour réparer ma gaffe, je reprends: «Mais non, pas celle-ci, celle-là; regarde. -C’est ma sœur!» Sapristi! Et sa sœur était jolie comme un cœur, gentille comme tout et très bien habillée, des broches, des bracelets, des gants; en un mot, un vrai chérubin. Elle épousa plus tard un excellent homme du nom de Pitkine avec qui elle s’était enfuie et mariée sans le consentement de ses parents. Aujourd’hui, tout va bien; ils sont riches et les parents n’en finissent pas de se réjouir… Alors voilà: ne sachant plus où me mettre, je lui dis encore: «Non, pas celle-là; celle qui est au milieu! Ah! au milieu? C’est ma femme!»… Entre nous, elle était mignonne à croquer!… On l’aurait toute mangée avec plaisir… «Eh bien, lui dis-je, si tu n’as jamais vu d’imbécile, contemples-en un devant toi. Tu peux me couper la tête sans remords!» Ça le fit rire. Il me présenta à ces dames après le spectacle et il avait dû raconter l’histoire, le polisson, car elles riaient beaucoup. Jamais je n’ai passé une aussi bonne soirée. Voilà, Foma, ce qu’il peut nous arriver! Ha! ha! ha!

Mais mon pauvre oncle riait en vain; en vain promenait-il autour de lui son regard bon et gai. Son amusante histoire fut accueillie par un silence de mort. Foma Fomitch se taisait tristement et les autres l’imitaient. Seul, Obnoskine souriait en prévision de la mercuriale qui attendait mon oncle. Yégor Ilitch rougit et se troubla. C’était tout ce qu’attendait Foma.

– Avez-vous fini? demanda-t-il enfin au conteur sur un ton fort austère.

– J’ai fini, Foma.

– Et vous êtes content?

– Comment, content? Que veux-tu dire? fit mon oncle avec anxiété.

– Vous sentez-vous soulagé, à présent? Êtes-vous satisfait d’avoir interrompu l’entretien intéressant et littéraire de vos amis pour contenter votre mesquin amour-propre?

– Mais voyons, Foma, je voulais vous amuser, et toi…

– Nous amuser! s’écria Foma en s’enflammant soudain, nous amuser! Mais tout ce que vous savez faire, c’est de l’ennui! Et savez-vous que votre anecdote est presque immorale? Je ne parle pas de l’inconvenance, cela va de soi. Vous venez d’avouer, avec la plus rare grossièreté de sentiments, que vous vous étiez moqué d’une noble femme uniquement parce qu’elle n’avait pas eu l’heur de vous plaire. Vous croyiez nous faire rire avec vous, nous faire approuver votre conduite malséante, parce que vous êtes le maître de la maison? Il vous plaît, colonel, de vous entourer de flatteurs, de compères et de pique-assiettes; il vous est loisible de les faire venir de fort loin pour augmenter votre cour au grand détriment de la franchise et de la noblesse de l’âme; mais Foma Fomitch Opiskine ne sera jamais votre courtisan ni votre parasite. Cela, je vous le garantis!…

– Hé! Foma, tu ne m’as pas compris!

– Non, colonel, je vous ai pénétré depuis longtemps. Vous êtes transparent pour moi. En proie au plus fol amour-propre, vous prétendez à l’esprit, oubliant que l’esprit s’éclipse derrière les prétentions. Vous…

– Mais finis donc, Foma, n’as-tu pas honte de parler ainsi devant tout le monde?

– La vue de tout cela me chagrine, colonel; mais, le voyant, je ne saurais me taire. Je suis pauvre et votre mère me donne l’hospitalité. On croirait que c’est pour vous flatter que je me tais, et je ne veux pas qu’un blanc-bec soit en droit de me considérer comme votre pique-assiette! Peut-être tout à l’heure, quand je suis entré dans cette salle, ai-je un peu forcé ma franchise, peut-être ai-je usé de grossièreté, mais c’est parce que vous me mettez dans une situation pénible. Vous êtes avec moi d’une telle arrogance qu’on me prendrait pour votre esclave. Vous prenez plaisir à m’humilier devant des étrangers, alors que je suis votre égal, entendez-vous, votre égal, et sous tous les rapports! Il est fort possible que ce soit moi qui vous rende service en vivant chez vous, au lieu que vous soyez mon bienfaiteur. On m’humilie; je suis bien obligé de faire mon propre éloge. Il m’est impossible de me taire; je dois parler et protester sans retard et dénoncer votre jalousie phénoménale. Vous voyez que, dans une conversation amicale, j’ai pu montrer mes connaissances, mon goût, l’extrême étendue de mes lectures; ça vous gêne; vous ne pouvez le supporter. Et vous voulez aussi faire étalage de vos connaissances et de votre goût. Votre goût! permettez-moi de vous demander le goût que vous avez? Vous vous entendez à la beauté comme un bœuf à la viande; excusez-moi si c’est un peu brutal, mais ça a au moins le mérite d’être juste et franc. Ce ne sont pas vos courtisans qui vous parleront ainsi, colonel!

– Ah! Foma!

– Ah! Foma! Oui, je sais bien; la vérité semble parfois dure. Mais nous en reparlerons plus tard. En attendant, laissez-moi aussi égayer un peu la société… Paul Sémionovitch, avez-vous jamais vu un pareil monstre sous une forme humaine? Voici déjà longtemps que je l’observe. Regardez-le bien; il meurt d’envie de m’avaler tout cru!

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