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– Je supplie Votre Altesse de lire toute la fable.

LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR

Un amateur de jardinage
Demi-bourgeois, demi-manant,
Possédait en certain village
Un jardin assez propre, et le clos attenant.
Il avait de plant vif fermé cette étendue:
Là croissaient à plaisir l’oseille et la laitue,
De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet,
Peu de jasmin d’Espagne et force serpolet.
Cette félicité par un lièvre troublée
Fit qu’au seigneur du bourg notre homme se plaignit.
Ce maudit animal vient prendre sa goulée
Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit;
Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit:
Il est sorcier, je crois. – Sorcier! je l’en défie,
Repartit le seigneur: fût-il diable, Miraut,
En dépit de ses tours, l’attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bonhomme, sur ma vie,
– Et quand? – Et dès demain, sans tarder plus longtemps.
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.
– Çà, déjeunons, dit-il: vos poulets sont-ils tendres?
L’embarras des chasseurs succède au déjeuner.
Chacun s’anime et se prépare;
Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bonhomme est étonné.
Le pis fut que l’on mit en piteux équipage
Le pauvre potager. Adieu planches, carreaux;
Adieu chicorée et poireaux;
Adieu de quoi mettre au potage.
Le bonhomme disait: Ce sont là jeux de prince.
Mais on le laissait dire; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n’en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.
Petits princes, videz vos débats entre vous;
De recourir aux rois vous serez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.

Cette lecture fut suivie d’un long silence. Le prince se promenait dans le cabinet, après être allé lui-même remettre le volume à sa place.

– Eh bien! madame, dit la princesse, daignerez-vous parler?

– Non pas, certes, madame! tant que Son Altesse ne m’aura pas nommée ministre; en parlant ici, je courrais risque de perdre ma place de grande maîtresse.

Nouveau silence d’un gros quart d’heure; enfin la princesse songea au rôle que joua jadis Marie de Médicis, mère de Louis XIII: tous les jours précédents, la grande maîtresse avait fait lire par la lectrice l’excellente Histoire de Louis XIII, de M. Bazin. La princesse, quoique fort piquée, pensa que la duchesse pourrait fort bien quitter le pays, et alors Rassi, qui lui faisait une peur affreuse, pourrait bien imiter Richelieu et la faire exiler par son fils. Dans ce moment, la princesse eût donné tout au monde pour humilier sa grande maîtresse; mais elle ne pouvait: elle se leva, et vint, avec un sourire un peu exagéré, prendre la main de la duchesse et lui dire:

– Allons, madame, prouvez-moi votre amitié en parlant.

– Eh bien! deux mots sans plus: brûler, dans la cheminée que voilà, tous les papiers réunis par cette vipère de Rassi, et ne jamais lui avouer qu’on les a brûlés.

Elle ajouta tout bas, et d’un air familier, à l’oreille de la princesse.

– Rassi peut être Richelieu!

– Mais, diable! ces papiers me coûtent plus de quatre-vingt mille francs! s’écria le prince fâché.

– Mon prince, répliqua la duchesse avec énergie, voilà ce qu’il en coûte d’employer des scélérats de basse naissance. Plût à Dieu que vous pussiez perdre un million, et ne jamais prêter créance aux bas coquins qui ont empêché votre père de dormir pendant les six dernières années de son règne.

Le mot “basse naissance” avait plu extrêmement à la princesse, qui trouvait que le comte et son amie avaient une estime trop exclusive pour l’esprit, toujours un peu cousin germain du jacobinisme.

Durant le court moment de profond silence, rempli par les réflexions de la princesse, l’horloge du château sonna trois heures. La princesse se leva, fit une profonde révérence à son fils, et lui dit:

– Ma santé ne me permet pas de prolonger davantage la discussion. Jamais de ministre de basse naissance; vous ne m’ôterez pas de l’idée que votre Rassi vous a volé la moitié de l’argent qu’il vous a fait dépenser en espionnage.

La princesse prit deux bougies dans les flambeaux et les plaça dans la cheminée, de façon à ne pas les éteindre; puis, s’approchant de son fils, elle ajouta:

– La fable de La Fontaine l’emporte, dans mon esprit, sur le juste désir de venger un époux. Votre Altesse veut-elle me permettre de brûler ces écritures?

Le prince restait immobile.

«Sa physionomie est vraiment stupide, se dit la duchesse; le comte a raison: le feu prince ne nous eût pas fait veiller jusqu’à trois heures du matin, avant de prendre un parti.»

La princesse, toujours debout, ajouta:

– Ce petit procureur serait bien fier, s’il savait que ses paperasses, remplies de mensonges, et arrangées pour procurer son avancement, ont fait passer la nuit aux deux plus grands personnages de l’Etat.

Le prince se jeta sur un des portefeuilles comme un furieux, et en vida tout le contenu dans la cheminée. La masse des papiers fut sur le point d’étouffer les deux bougies; l’appartement se remplit de fumée. La princesse vit dans les yeux de son fils qu’il était tenté de saisir une carafe et de sauver ces papiers, qui lui coûtaient quatre-vingt mille francs.

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