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Il était plus jeune et plus beau que le docteur Saumon avec un air plus fier et plus noble. Par respect pour la nature, a laquelle il obéissait en toutes choses, il laissait croître ses cheveux et sa barbe et ressemblait à ces philosophes antiques que la Grèce a figurés dans le marbre.

Ayant examiné le roi:

– Sire, dit-il, les médecins, qui parlent des maladies comme les aveugles des couleurs, disent que vous avez une neurasthénie ou faiblesse des nerfs. Mais, quand ils auront reconnu votre mal, ils n’en seront pas plus propres à le guérir, car un tissu organique ne se peut reconstituer que par les moyens que la nature a employés pour le constituer, et ces moyens, ils les ignorent. Or quels sont les moyens, quels sont les procédés de la nature? Elle ne connaît ni la main ni l’outil; elle est subtile, elle est spirituelle; elle emploie à ses plus puissantes, à ses plus massives constructions les particules infiniment ténues de la matière, l’atome, le protyle. D’un impalpable brouillard elle fait des rochers, des métaux, des plantes, des animaux, des hommes. Comment? par attraction, gravitation, transpiration, pénétration, imbibition, endosmose, capillarité, affinité, sympathie. Elle ne forme pas un grain de sable autrement qu’elle n’a formé la voie lactée: l’harmonie des sphères règne dans l’un comme dans l’autre; ils ne subsistent tous deux que par le mouvement des parcelles qui les composent et qui est leur âme musicale, amoureuse et toujours agitée. Entre les étoiles du ciel et les poussières qui dansent dans le rayon de soleil qui traverse cette chambre, il n’y a aucune différence de structure, et la moindre de ces poussières est aussi admirable que Sirius, car la merveille dans tous les corps de l’univers est l’infiniment petit qui les forme et les anime. Voilà comment travaille la nature. De l’imperceptible, de l’impalpable, de l’impondérable elle a tiré le vaste monde accessible à nos sens et que notre esprit pèse et mesure, et ce dont elle nous a faits nous-mêmes est moins qu’un souffle. Opérons comme elle au moyen de l’impondérable, de l’impalpable, de l’imperceptible, par attraction amoureuse et pénétration subtile. Voilà le principe. Comment l’appliquer au cas qui nous occupe? Comment redonner la vie aux nerfs épuisés, c’est ce qu’il nous reste à examiner.

«Et d’abord, qu’est-ce que les nerfs? Si nous en demandons la définition, le moindre physiologiste, que dis-je? un Machellier, un Saumon nous la donnera. Qu’est-ce que les nerfs? Des cordons, des fibres qui partent du cerveau et de la moelle épinière et vont se distribuer dans toutes les parties du corps pour transmettre les excitations sensorielles et faire agir les organes moteurs. Ils sont donc sensation et mouvement. Cela suffit pour nous en faire connaître la constitution intime, pour nous en révéler l’essence: de quelque nom qu’on la nomme, elle est identique à ce que, dans l’ordre des sensations, nous appelons joie, et, dans l’ordre moral, bonheur.

Où se trouvera un atome de joie et de bonheur, se trouvera la substance réparatrice des nerfs. Et quand je dis un atome de joie, je désigne un objet matériel, une substance définie, un corps susceptible de passer par les quatre états, solide, liquide, gazeux et radiant, un corps dont on peut déterminer le poids atomique. La joie et la tristesse dont les hommes, les animaux et les plantes éprouvent les effets depuis l’origine des choses sont des substances réelles; elles sont matière; puisqu’elles sont esprit et que sous ses trois aspects, mouvement, matière, intelligence, la nature est une. Il ne s’agit donc plus que de se procurer en quantité suffisante des atomes de joie et de les introduire dans l’organisme par endosmose et aspiration cutanée. C’est pourquoi je vous prescris de porter la chemise d’un homme heureux.

– Quoi! s’écria le roi, vous voulez que je porte la chemise d’un homme heureux

– Sur là peau, Sire, afin que votre cuir aride aspire les particules de bonheur que les glandes sudoripares de l’homme heureux auront exhalées par les canaux excréteurs de son derme prospère. Car vous n’ignorez pas les fonctions de la peau: elle aspire et expire et opère des échanges incessants avec le milieu où elle est placée.

– C’est le remède que vous m’ordonnez, monsieur Rodrigue?

– Sire, on n’en saurait ordonner de plus rationnel. Je ne trouve rien dans le codex qui le puisse remplacer. Ignorant la nature, incapables de l’imiter, nos potards ne fabriquent dans leurs officines qu’un petit nombre de médicaments toujours redoutables et non pas toujours efficaces. Les médicaments que nous ne savons pas faire, il faut bien les prendre tout faits, comme les sangsues, le climat de la montagne, l’air de la mer, les eaux thermales naturelles, le lait d’ânesse, la peau de chat sauvage et les humeurs exsudées par un homme heureux… Ne savez-vous donc pas qu’une pomme de terre crue qu’on porte dans sa poche ôte les douleurs rhumatismales? Vous ne voulez pas d’un remède naturel: il vous faut des remèdes artificiels ou chimiques, dès drogues; il vous faut des gouttes et des poudres: vous avez donc beaucoup à vous en louer, de vos poudres et de vos gouttes?…

Le roi s’excusa et promit d’obéir.

Le docteur Rodrigue, qui avait déjà gagné la porte, se retourna:

– Faites-la légèrement chauffer, dit-il, avant de vous en servir.

III MM. DE QUATREFEUILLES ET DE SAINT-SYLVAIN CHERCHENT UN HOMME HEUREUX DANS LE PALAIS DU ROI.

Pressé de revêtir cette chemise dont il attendait sa guérison, Christophe fit appeler M. de Quatrefeuilles, son premier écuyer, et de M. de Saint Sylvain, secrétaire de ses commandements, et les chargea de la lui procurer dans le moins de temps qu’il leur serait possible. Il fut convenu qu’ils garderaient un secret absolu sur l’objet de leurs recherches. On avait à craindre en effet que, si le public venait à savoir quelle sorte de remède convenait au roi, une multitude de malheureux et spécialement les personnes les plus infortunées, les plus accablées de misère, n’offrissent leur chemise dans l’espoir d’une récompense. On redoutait aussi que les anarchistes n’envoyassent des chemises empoisonnées.

Ces deux gentilshommes pensèrent qu’ils pourraient se procurer le médicament du docteur Rodrigue sans quitter le palais, et se mirent à l’œil-de-bœuf d’où l’on voyait passer les courtisans. Ceux qu’ils aperçurent avaient la mine longue, le visage hâve; ils portaient leur mal écrit sur la figure; ils se consumaient du désir d’une charge, d’un ordre, d’un privilège, d’un bouton. Mais, descendus dans les grands appartements, Quatrefeuilles et Saint-Sylvain trouvèrent M. du Bocage dormant dans un fauteuil, la bouche retroussée jusqu’aux pommettes, les narines dilatées, les joues rondes et rayonnantes comme deux soleils, la poitrine harmonieuse, le ventre rythmique et paisible, riant, transpirant la joie depuis la voûte étincelante du crâne jusqu’aux orteils en éventail dans de légers escarpins, au bout des jambes écartées.

A cette vue:

– Ne cherchons pas davantage, dit Quatrefeuilles. Quand il sera éveillé, nous lui demanderons sa chemise.

Aussitôt, le dormeur se frotta les yeux, s’étira et regarda piteusement tout autour de lui. Les coins de sa bouche s’abaissaient; ses joues tombaient, ses paupières pendaient comme du linge aux fenêtres des pauvres; de sa poitrine sortait un souffle plaintif; toute sa personne exprimait l’ennui, le regret et la déception.

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