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– On peut citer, dit M. Gerberoy, Brunhild, qui, piquée par une épine, s endormit et fut réveillée par Sigurd.

– Il y a aussi Guenillon, dit madame la duchesse de Cicogne, première dame de la reine.

Et elle fredonna:

Il m’envoya-t au bois

Pour cueillir la nouzille.

Le bois était trop haut,

La belle trop petite.

Le bois était trop haut,

La belle trop petite.

Elle se mit en main

Une tant verte épine.

Elle se mit en main

Une tant verte épine.

A la douleur du doigt

La belle s’est endormie

– A quoi pensez-vous, Cicogne, dit la reine? Vous chantez?

– Que Votre Majesté me pardonne, répondit la duchesse. C’est pour conjurer le sort.

Le roi fit publier un édit par lequel il défendait a toutes personnes de filer au fuseau ni d’avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort. Chacun obéit. On disait encore dans les campagnes «Le fuseau doit suivre le hoyau», mais c’était par habitude, les fuseaux avaient couru.

III

Le Premier ministre qui, sous le faible roi Cloche, gouvernait la monarchie, M. de la Rochecoupée, respectait les croyances populaires, que tous les grands hommes d’État respectent. César était pontife maxime; Napoléon se fit sacrer par le pape; M. de la Rochecoupée reconnaissait la puissance des fées. Il n’était point sceptique; il n’était point incrédule. Il n’arguait pas de faux l’oracle des sept marraines. Mais, n’y pouvant rien, il ne s’en inquiétait point. C’était son caractère de ne pas se soucier des maux auxquels il ne savait remédier. Du reste l’événement annoncé n’était pas, selon toute apparence, imminent. M. de la Rochecoupée avait les vues d’un homme d’État, et les hommes d’État ne voient jamais au-delà du moment présent. Je parle des plus perspicaces et des plus pénétrants. Enfin, à supposer qu’un jour ou l’autre, la fille du roi s’endormît pour un siècle, ce n’était à ses yeux qu’une affaire de famille, puisque la loi salique excluait les femmes du trône.

Il avait, comme il le disait, bien d’autres chats à fouetter. La banqueroute, la hideuse banque route, était là, menaçant de consumer les biens et l’honneur de la nation. La famine sévissait dans le royaume et des millions de malheureux mangeaient du plâtre au lieu de pain. Cette année-là, le bal de l’Opéra fut très brillant et les masques plus beaux que de coutume.

Les paysans, les artisans, les gens de boutique et les filles de théâtre s’affligeaient à l’envi de la malédiction fatale qu’Alcuine avait donnée à l’innocente princesse. Au contraire les seigneurs de la Cour et les princes du sans royal s’y montraient fort indifférents. Et il y avait partout des hommes d’affaires et des hommes de science qui ne croyaient point à l’arrêt des fées, pour cette raison qu’ils ne croyaient pas aux fées.

Tel était M. de Boulingrin, secrétaire d’État aux Finances. Ceux qui se demanderont comment il pouvait n’y pas croire puisqu’il les avait vues, ignorent jusqu’où peut aller le scepticisme dans un esprit raisonneur. Nourri de Lucrèce, imbu des doctrines d’Épicure et de Gassendi, il impatientait souvent M. de la Rochecoupée par l’étalage d’un froid aféisme.

– Si ce n’est pour vous soyez croyant pour le public, lui disait le Premier ministre. Mais, en vérité, il y a des moments où je me demande, mon cher Boulingrin, qui de nous deux est le plus crédule à l’endroit des fées. Je n’y pense jamais et vous en parlez toujours.

– M. de Boulingrin aimait tendrement madame la duchesse de Cicogne, femme de l’ambassadeur à Vienne, première dame de la reine, qui appartenait à la plus haute aristocratie du royaume, femme d’esprit, un peu sèche, un peu regardante et qui perdait au pharaon ses revenus, ses terres et sa chemise. Elle avait des bontés pour M. de Boulingrin et ne se refusait pas à un commerce auquel elle n’était point portée par tempérament, mais qu’elle estimait convenable à son rang et utile a ses intérêts. Leur liaison était formée avec un art qui révélait leur bon goût et l’élégance des mœurs régnantes; cette liaison s’avouait, dépouillant par son aveu toute basse hypocrisie, et se montrait en même temps si réservée, que les plus sévères n’y voyaient rien à redire.

Pendant le temps que la duchesse passait chaque année sur ses terres, M. de Boulingrin logeait dans un vieux pigeonnier séparé du château de son amie par un chemin creux qui longeait une mare où les grenouilles jetaient, la nuit, dans les joncs, leurs cris assidus.

Or, un soir, tandis que les derniers reflets du soleil teignaient d’une couleur de sang les eaux croupies, le secrétaire d’État aux Finances vit, au carrefour du chemin, trois jeunes fées qui dansaient en rond et chantaient:

Trois filles dedans un pré…

Mon cœur vole.

Mon cœur vole,

Mon cœur vole à votre gré.

Elles l’enfermèrent dans leur ronde et agitèrent vivement autour de lui leurs formes minces et légères. Leurs visages, dans le crépuscule, étaient obscurs et limpides; leurs chevelures brillaient comme des feux follets.

Elles répétèrent:

Trois filles dedans un pré…

tant que, étourdi, prêt a tomber, il demanda grâce.

Alors la plus belle, ouvrant la ronde;

– Mes sœurs, donnez congé a monsieur de Boulingrin qui va-t-au château baiser sa belle.

Il passa sans avoir reconnu les fées, maîtresses des destinées, et, quelques pas plus loin, il rencontra trois vieilles besacières qui marchaient toutes courbées sur leurs bâtons et ressemblaient de visage à trois pommes cuites dans les cendres. A travers leurs haillons passaient des os plus recouverts de crasse que de chair. Leurs pieds nus allongeaient démesurément des doigts décharnés, semblables aux osselets d’une queue de bœuf.

Du plus loin qu’elles l’aperçurent, elles lui firent des sourires et lui envoyèrent des baisers; elles l’arrêtèrent au passage, l’appelèrent leur mignon, leur amour, leur cœur, le couvrirent de caresses auxquelles il ne pouvait échapper, car, au premier mouvement qu’il faisait pour fuir, elles lui enfonçaient dans la chair les crochets aigus qui terminaient leurs mains.

– Qu’il est beau! qu’il est joli! soupiraient elles.

Avec une longue frénésie elles le sollicitent à les aimer. Puis, voyant qu’elles ne parviennent point à ranimer ses sens glacés d’horreur, elles l’accablent d’invectives, le frappent à coups redoublés de leurs béquilles, le renversent à terre, le foulent aux pieds et, quand il est accablé, brisé, moulu, perclus de tous ses membres, la plus jeune, qui a bien quatre-vingts ans, s’accroupit sur lui, se trousse et l’arrose d’un liquide infect. Il en est aux trois quarts suffoqué; et tout aussitôt les deux autres, remplaçant la première, inondent le mal heureux gentilhomme d’une eau tout aussi puante. Enfin toutes trois s’éloignent en le saluant d’un «Bonsoir, mon Endymion! Au revoir, mon Adonis! Adieu, beau Narcisse!» et le laissent évanoui,

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