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– Quelle est cette plaisanterie? s’écria la belle Marie.

– Je ne plaisante pas, affirma l’Italien… J’ai soupé tout à l’heure avec ce gentilhomme et, ayant appris qu’il était venu ici pour vous retrouver…

– Il connaissait donc mon nom? interrompit Mme de Chevreuse.

– Il n’a même pas été très long à le découvrir, car il ne manque ni de charme… ni de finesse.

Feignant un vif mécontentement, la duchesse s’écria:

– Alors, il a eu l’insolence de vous raconter…

– Il a été au contraire d’une discrétion admirable, affirma Mazarin. C’est moi qui lui ai tiré les vers du nez.

– Cela ne m’étonne pas de vous, déclara Marie, car vous seriez capable de faire parler une statue. Mais continuez.

– J’ai promis au chevalier de Castel-Rajac que vous le recevriez dans une heure.

– Monsieur de Mazarin, vous mettez le comble à vos impertinences.

– Madame la duchesse, ne soyez point courroucée, je vous en prie. Vous qui êtes la bonté, la générosité mêmes, vous ne pouvez décourager un amoureux qui vous est resté fidèle depuis de si longs mois et n’a pas hésité à quitter sa famille et à faire un voyage aussi hasardeux pour s’en venir tout simplement apercevoir de loin votre adorable silhouette. Et puis, laissez-moi vous le dire, bien que vous exerciez encore sur vos amis de si terribles ravages, je ne crois pas que vous ayez encore inspiré un amour aussi franc, aussi puissant que celui dont brûle pour vous ce jeune et intrépide Gascon. Je suis certain que vous lui demanderiez de sacrifier sa vie pour vous qu’il n’hésiterait pas une seconde à le faire.

– Je n’ai nullement cette intention, déclara Marie de Rohan.

– Vous ne seriez peut-être pas fâchée de rencontrer, pour vous accompagner au cours du voyage très périlleux que vous allez entreprendre, un cavalier dont vous avez déjà pu apprécier la bravoure, la loyauté et… le dévouement!

– Je vous comprends, déclara la duchesse, devenue pensive. Ce n’est peut-être point une mauvaise idée!

Et, d’un ton qui n’était pas exempt d’une certaine ironie, elle ajouta:

– Puisque vous, monsieur de Mazarin, vous ne pouvez pas m’accompagner!…

– Dieu sait si j’en suis désolé, s’écria l’Italien avec toutes les apparences de la sincérité. Mais vous n’ignorez pas que Sa Majesté la reine l’a interdit et qu’Elle tient absolument, en cas d’alerte toujours possible, que je sois auprès d’elle.

La belle Marie se taisait. Sans doute réfléchissait-elle à la proposition que venait de lui faire son interlocuteur car la charmante amie d’Anne d’Autriche avait conservé un excellent souvenir du bref et tendre moment qu’elle avait passé en compagnie de l’ardent Méridional.

Il ne lui en avait pas fallu davantage pour se rendre compte que si Castel-Rajac était un gentilhomme vaillant et sûr entre tous, il était aussi un de ces amants qu’il n’est point donné à une amoureuse de rencontrer souvent sur sa route.

Mazarin l’observait du coin de l’œil. On eût dit qu’il devinait toutes ses pensées; car, à mesure que Mme de Chevreuse se plongeait dans ses réflexions, un sourire de satisfaction entrouvrait ses lèvres.

Redressant son joli front qu’encadraient ses cheveux blonds d’une auréole de boucles naturelles, Marie lança, sur un ton de parfaite bonne humeur:

– Décidément, monsieur de Mazarin, vous avez encore et toujours raison. Faites savoir au chevalier de Castel-Rajac que je l’attends.

L’Italien riposta aussitôt:

– Madame, il sera ici dans une demi-heure.

Et, s’inclinant avec grâce devant la charmante femme, il se retira aussitôt.

Demeurée seule, Mme de Chevreuse quitta le salon, remonta l’escalier et s’en fut doucement frapper à la porte de la chambre où se cachait Anne d’Autriche. L’huis s’entrebâilla doucement, laissant apercevoir seulement la tête de la sage-femme, qui ne quittait plus le chevet de la reine, dans l’attente d’un événement qui ne pouvait plus tarder. C’était une paysanne au visage énergique et intelligent, qui semblait avoir une claire conscience de sa valeur.

– Comment va mon amie? interrogea à voix basse Marie de Rohan.

– Elle repose, répondit la sage-femme, en adoucissant son timbre qui n’était point sans rappeler celui d’un chantre de paroisse.

Et elle ajouta, avec l’air assuré de quelqu’un qui ne se trompe jamais:

– Ce sera pour cette nuit!

Sans rien ajouter, elle referma la porte au nez de la duchesse et cela semblait nettement signifier qu’elle entendait qu’on la laissât en paix.

Mme de Chevreuse n’hésita pas. Ce n’était ni le moment ni l’occasion de mécontenter cette femme persuadée qu’elle avait été appelée auprès d’une dame du monde désireuse de cacher à son mari une maternité dont il était impossible de rendre celui-ci responsable.

La situation demandait, en effet, une extrême prudence. Soulever le moindre incident, n’était-ce pas risquer de provoquer le plus effroyable scandale qu’ait jamais eu à enregistrer la Cour de France?

La duchesse était trop fine mouche pour ne pas éviter, par tous les moyens, un esclandre qui eût à jamais déshonoré sa reine, sa meilleure amie, et lui eût peut-être coûté, à elle, la prison perpétuelle. Elle se contenta de songer:

«Si cette femme pouvait dire vrai! Car plus vite l’enfant viendra au monde, plus tôt notre sécurité à tous sera assurée.»

Et, tout en descendant l’escalier, elle se prit à murmurer:

– Ce diable de Mazarin aurait mieux fait de rester en Italie!

Elle regagna le salon qui était maigrement éclairé par des bougies plantées dans des appliques en bronze doré fixées de chaque côté d’une vaste glace surmontant une haute cheminée. Poussée par un mouvement de coquetterie bien féminine, elle s’approcha du miroir et s’y regarda avec plus de sévérité que de complaisance. Cet examen fit envoler aussitôt les doutes qu’elle pouvait avoir sur son pouvoir de séduction.

Jamais, en effet, elle n’avait été plus séduisante.

– Allons, se dit-elle, mon jeune chevalier ne me trouvera pas changée à mon désavantage et, ainsi que le prétend Mazarin, je crois que je vais pouvoir en faire, non pas mon chevalier, mais mon esclave, car, moi, ayant tout à lui accorder, il n’aura rien à me refuser.

Une demi-heure après, ainsi que l’avait annoncé l’Italien, on frappait de nouveau à la porte du salon et Mazarin se présentait avec Castel-Rajac, qui, pendant le temps qu’il était resté à l’hostellerie de Dampierre, en avait profité pour faire un brin de toilette, s’épousseter, et réparer le désordre de ses vêtements et de son abondante chevelure noire.

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