D’un ton ironique, le fils adoptif de Gaëtan reprenait:
– Monsieur le gouverneur, je n’aurais qu’une réclamation à vous faire, mais vous ne pourriez y donner suite.
– Dites toujours, fit M. de Saint-Mars.
– Ce serait de me rendre la liberté.
– Vous avez raison, monsieur, il ne faut point y compter.
– Alors, conclut Henry, il y a bien des chances, monsieur le gouverneur, pour que vous n’entendiez plus d’ici longtemps le son de ma voix.
Jugeant inutile d’insister, M. de Saint-Mars s’inclina. Le jeune homme, à travers les trous de son masque, lui jeta malgré lui un regard de défi. M. de Saint-Mars se retira, laissant le captif achever son déjeuner et savourer le beau rêve d’espoir qui mettait déjà du soleil dans son âme endeuillée.
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* *
Le même soir, vers dix heures, dans une maison isolée située aux alentours de Cannes, à l’entrée de la route en lacets qui conduisait, à cette époque, jusqu’à la hauteur de Théoule, et un peu en arrière du village de La Napoule, un grave conciliabule était tenu entre Mme de Chevreuse et le chevalier Gaëtan.
Tous deux se trouvaient dans une pièce de faible dimension, assez sommairement meublée, dont la porte était fermée par un verrou à l’intérieur, et dont les deux fenêtres étaient recouvertes d’épaisses tentures.
M. de Castel-Rajac, qui avait vraiment très belle allure sous son costume d’officier de mousquetaires, se tenait debout, la main sur la garde de son épée, le regard énergique et le sourire aux lèvres.
Mme de Chevreuse, que l’assurance de son chevalier semblait rassurer, lui disait:
– Alors, vous êtes décidé à renouveler vos exploits du château de Montgiron?
– Parfaitement! répliqua le Gascon d’un air décidé.
– N’est-ce point vous mettre en rébellion directe contre le roi, auquel vous avez fait serment de fidélité?
– C’est possible, mais, ma belle amie, j’avais fait, auparavant, un autre serment, celui de défendre, quoi qu’il arrive, envers et contre tout, mon fils d’adoption. C’est le seul qui compte, car, lorsque j’ai fait le second, je ne pouvais pas prévoir qu’il serait en contradiction avec le premier.
» Ma bonne foi est donc évidente. D’ailleurs, je ne serais nullement surpris que le roi, lorsqu’il saura la vérité, non seulement me pardonne d’avoir mis fin à une infamie commise en son nom et dont il ne pouvait avoir eu connaissance, mais que, lorsque je lui aurai dit et prouvé que son frère n’a aucunement l’intention de lui disputer une couronne à laquelle il n’a aucun droit, mais qu’il veut vivre dans son ombre comme le meilleur et le plus fidèle de ses sujets, Sa Majesté, qui nous a déjà tant donné de preuves de son intelligence et de sa noblesse d’âme, ne tende la main au fils de sa mère.»
Remarquant que Marie de Rohan ne semblait pas partager son optimisme, Castel-Rajac poursuivait:
– On dirait que vous êtes encore inquiète!
– Mais non!
– Mais si! Vous effraierais-je avec ce projet qui, pourtant, me semble le seul réalisable, si nous voulons vraiment sauver Henry?
– Non, répondit la duchesse avec fermeté, non, mon ami, vous ne me faites pas peur. Je vous admire, au contraire, de toutes mes forces, car votre loyauté est telle que vous la prêtez à tous avec une générosité imprudente. Voilà pourquoi, si je n’ai point peur de vous, j’ai peur pour vous, et cela me déchirerait le cœur s’il vous arrivait malheur au cours de cette si redoutable aventure.
» N’est-ce point moi qui en serais la cause, puisque c’est moi qui, jadis, vous ai amené cet enfant que, si généreusement et si noblement, vous avez pris sous votre sauvegarde?»
Et, avec une profonde mélancolie, Mme de Chevreuse ajouta:
– Combien, aujourd’hui, je regrette d’avoir cédé aux instances de la reine.
– Ne dites pas cela, interrompit vivement Castel-Rajac. En agissant de la sorte, non seulement vous m’avez prouvé dans quelle estime vous me teniez, mais vous m’avez encore donné l’occasion d’accomplir un acte qui sera l’honneur et l’orgueil de ma vie: façonner un cœur, former une âme, créer de toutes pièces un vrai gentilhomme et lui forger de mes mains cette armure morale qui le met à l’abri de toutes les bassesses et de toutes les turpitudes de ce monde!»
Comme des larmes apparaissaient dans les beaux yeux de la duchesse, Castel-Rajac s’avança vers elle et, l’attirant dans ses bras, il lui dit:
– Ne pleurez pas. Marie. Je le sens, je vaincrai et, bientôt, demain, cette nuit, peut-être, je vous ramènerai celui qu’on m’avait volé, je vous restituerai le dépôt que vous aviez remis entre mes mains et, après avoir mis en sûreté celui que je persiste et persisterai toujours à considérer comme mon fils, vous pourrez retourner près de votre amie et lui dire que, vous aussi, vous avez tenu votre serment.
– Ah! mon ami, s’écria la duchesse en enlaçant Gaëtan, je vous devrai plus que la vie!
À peine avait-elle prononcé ces mots qu’une petite porte en tapisserie, qui se trouvait tout au fond de la pièce, s’ouvrit, livrant passage à une jeune femme fort élégante et d’une rare beauté.
C’était la comtesse de Lussey, une nièce de la duchesse de Chevreuse, à qui appartenait la maison où Marie de Rohan et Castel-Rajac avaient reçu la plus cordiale hospitalité.
Mme de Lussey avait pour la duchesse, sa marraine, une affection profonde, car elle lui devait la dot qui lui avait permis d’épouser un jeune seigneur méridional et charmant. Aussi avait-elle été enchantée en l’absence de son mari, appelé à Marseille pour affaires de famille, de lui ouvrir toute grande sa demeure.
Quoiqu’elle eût en sa nièce une confiance absolue, Mme de Chevreuse s’était bien gardé de communiquer à celle-ci le motif de son voyage en ces régions lointaines. Elle lui avait simplement laissé entendre qu’elle accomplissait une mission secrète en compagnie du lieutenant aux mousquetaires Gaëtan de Castel-Rajac. Mme de Lussey n’en avait pas demandé davantage.
Après avoir fait signe de la main à la duchesse et au chevalier de ne pas broncher et de garder le silence, elle s’avança jusqu’auprès d’eux et leur dit tout bas:
– Il y a une heure environ, un cavalier est arrivé ici. Il était porteur d’un ordre signé du roi, enjoignant quiconque de le recevoir et de l’héberger avec les honneurs d’un représentant de Sa Majesté. Il se nomme, ainsi que je l’ai lu sur son sauf-conduit, le baron Tiburce d’Espagnac. Il est d’ailleurs fort laid, suffisamment ridicule, et ne ressemble pas plus à un gentilhomme que le bedeau de ma paroisse ne ressemble au pape.
» Je dois vous dire qu’il m’a inspiré tout de suite la plus légitime méfiance. Maintenant, j’en suis certaine, ainsi que vous allez le voir, ce M. d’Espagnac est tout simplement un policier qui, à l’aide d’un faux blanc-seing, s’est introduit dans ma maison pour vous surveiller et tâcher de surprendre vos secrets.