Литмир - Электронная Библиотека
A
A

– Dites! s’écriait Marie de Rohan, qui avait toute confiance dans la fertilité d’invention du Gascon.

– Si je me déguisais de telle façon qu’il serait impossible à l’œil le plus exercé de me reconnaître et si je m’attachais à suivre M. de Durbec, ne pensez-vous pas que j’arriverais à surprendre certains renseignements qui nous mettraient sur la voie de la vérité?

– J’en suis persuadée! déclara la duchesse.

– Dès à présent, je vais me mettre en chasse, dit le chevalier. Je suis en congé pour huit jours. Il faudrait vraiment, si je n’arrivais pas dans ce délai à un bon résultat, que Dieu fût contre nous, et cela n’est pas possible.

La duchesse s’écria:

– Vous ne pouvez vous imaginer, mon ami, combien je suis heureuse de vous entendre parler ainsi.

Gravement, Castel-Rajac reprit:

– J’ai juré de défendre et, au besoin, de sauver Henry, je tiendrai mon serment jusqu’au bout.

– Allez, mon ami, encouragea la duchesse, car je devine que vous avez grande hâte d’entrer en campagne.

– Certes!

– Un mot, cependant.

– Je vous en prie.

– Faites que la reine n’apprenne pas la disparition d’Henry, car elle ne serait pas assez forte pour cacher sa douleur, et les manifestations auxquelles elle se livrerait ne pourraient que compromettre définitivement celui que nous voulons arracher à ses geôliers.

– Comptez sur moi, affirma Gaëtan. J’espère bien, d’ici peu, vous apporter la bonne nouvelle.

Et, après avoir serré tendrement son amie dans ses bras, il partit, tout son être tendu vers la délivrance de celui auquel il avait donné toute son âme.

Le généreux Gascon allait, cette fois, se heurter contre le néant.

M. de Durbec était introuvable.

Discrètement, Castel-Rajac s’informa de lui. On lui répondit qu’il avait été chargé d’une mission auprès du roi de Perse…

Et ce ne fut qu’au bout d’une longue année qu’il reparut à la Cour.

Deux soirs après, dans le grand parc qui s’étendait alors autour du château de Saint-Germain, le chevalier de Durbec, qui venait d’avoir un long entretien avec Colbert, se promenait pensivement dans une allée lorsque, tout à coup, il fut abordé par un individu, vêtu en laquais.

Sans prononcer une parole, l’individu présenta à M. de Durbec un bijou vulgaire, sorte de broche en argent, en forme d’éventail, attachée au bout d’une chaînette de métal.

M. de Durbec, tout en demeurant impassible, dit à mi-voix, afin de ne pas être entendu des quelques seigneurs qui se promenaient aux alentours:

– Suivez-moi à une distance de vingt pas, jusqu’à ce que je m’arrête. Alors, seulement, vous me rejoindrez.

Immédiatement, il se dirigea vers la terrasse qui s’élevait en bordure de la forêt. Il marcha jusqu’à ce qu’il n’aperçût plus autour de lui aucune ombre indiscrète, puis, il s’immobilisa à la lisière d’une allée.

Observant ses instructions, l’inconnu le rejoignit aussitôt. Durbec, qui semblait désireux de s’assurer d’une sécurité absolue, dit à l’homme:

– Allons encore un peu plus loin, cela sera plus prudent.

Ils s’enfoncèrent sous bois. Ils arrivèrent jusqu’à une clairière.

– Ici, nous serons tranquilles, fit M. de Durbec.

S’adressant au laquais, qui observait toujours envers lui une attitude déférente, il fit:

– Maintenant vous pouvez parler.

L’homme déclara:

– Je suis envoyé près de vous par M. de Saint-Mars, le gouverneur de l’île Sainte-Marguerite, qui m’a chargé de vous rendre compte du fait très grave qui vient de se passer là-bas.

» Échappant à la surveillance rigoureuse dont il est sans cesse l’objet, le prisonnier que vous savez a réussi à tracer quelques lignes de son écriture avec un couteau sur une assiette d’argent, et a jeté l’assiette par la fenêtre vers un bateau qui était presque au pied de la tour.

» Un pêcheur, à qui ce bateau appartenait, a ramassé l’assiette et l’a rapportée au gouverneur. Celui-ci, étonné, a demandé au pêcheur:

» – Avez-vous lu ce qui est écrit sur cette assiette? Et quelqu’un l’a-t-il vue entre vos mains?

» – Je ne sais pas lire, répondit le pêcheur, je viens de la trouver, personne ne l’a vue.

» M. de Saint-Mars a retenu cet homme jusqu’à ce qu’il fût bien informé qu’il ne l’avait jamais lue et que l’assiette n’avait été vue de personne.

» – Allez, lui dit-il, vous êtes bien heureux de ne pas savoir lire.

» En effet, voici les mots qui avaient été tracés sur l’assiette par le prisonnier:

» Que celui qui trouvera cet objet prévienne mon père que je suis prisonnier dans le château de l’île Sainte-Marguerite, et que je le supplie de venir me délivrer. – HENRY DE CASTEL-RAJAC.

» Conformément aux prescriptions qu’il avait reçues de la bouche même de M. de Colbert, M. le gouverneur m’a immédiatement ordonné de me rendre à Paris et de brûler les étapes, afin de vous rendre compte de cet incident et de vous demander de bien vouloir lui faire savoir quelles mesures il devra prendre, désormais, à l’égard du prisonnier.»

M. de Durbec, que ces révélations semblaient vivement contrarier, réfléchit un instant, puis il dit:

– On lui a bien adapté ce masque de fer que j’avais imaginé?

– Oui, monsieur.

– L’expérience a prouvé qu’il ne pouvait se l’enlever lui-même?

– Absolument.

– Les ressorts d’acier qui lui laissent la liberté de manger avec le masque sur le visage fonctionnent normalement?

– Oui, monsieur, mais, au cas où ils se détraqueraient, M. le gouverneur s’est procuré un masque absolument semblable à celui-ci et, de ce côté, aucune surprise n’est à craindre.

– Le prisonnier est toujours gardé au secret le plus absolu?

– Oui, monsieur.

– Qui le sert?

– Un homme tout à fait sûr. Un ancien pêcheur de la côte en qui nous pouvons avoir d’autant plus confiance qu’il sait très bien que s’il nous trahissait, il le paierait immédiatement de sa vie.

– Comment s’appelle cet individu?

– Jean Martigues.

– Vous n’avez pas autre chose à me dire?

– Non, monsieur, j’attends vos instructions.

41
{"b":"125222","o":1}