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– Soyez tranquille, ma chère Marie! s’écria le Gascon. Pour ma part, je garderai jalousement cette découverte, et je n’en aurai que plus de zèle pour accomplir la tâche que vous avez bien voulu me confier!

Il attendit que la reine soit repartie pour sortir à son tour. Henry, en le voyant, se jeta à son cou avec les marques de la plus grande joie.

Ces quelques jours de congé passèrent comme l’éclair, puis le lieutenant dut rejoindre son poste.

Par ses fonctions mêmes, il était appelé à voir assez fréquemment le jeune roi. Et plus il le voyait, plus il était frappé par ce caprice de la nature qui avait donné aux deux frères un visage identique…

Quelque temps s’écoula. Castel-Rajac ne pensait plus guère à ce qu’il avait involontairement surpris dans le jardin de Mme de Chevreuse, lorsqu’un jour, il reçut un billet de sa belle amie:

«Soyez ce soir à minuit à la petite porte du Louvre, disait la missive. Et laissez-vous guider par la personne qui vous attendra.»

– Mordiou! se dit le Gascon, intrigué. Voilà qui sent terriblement le mystère! Cependant, je ne puis m’y tromper: il s’agit là de l’écriture de ma belle duchesse. On dirait à s’y méprendre un rendez-vous galant!

Quoi qu’il en soit, Gaëtan attendit le soir avec une certaine impatience. Il fit sa toilette avec un soin inaccoutumé. La lune brillait déjà haut dans le ciel, lorsqu’il arriva à la petite porte du Louvre où il lui était enjoint de se rendre.

D’abord, il ne vit rien. L’ombre était épaisse; la lumière nocturne glissait seulement sur la Seine, et pailletait ses eaux d’argent.

Tout à coup, il sentit que quelqu’un lui saisissait la main. À son tour, il serra les doigts qui le tenaient, et reconnut une main de femme.

– Cordiou! Madame, fit le jeune chevalier, qui êtes-vous et que me voulez-vous?

Mais la femme, qui était masquée, et qu’un long capuchon noir enveloppait de la tête aux pieds, la rendant absolument méconnaissable, se contenta de poser un doigt sur ses lèvres en signe de silence, et le fit entrer par la petite porte qu’elle venait d’ouvrir.

Aucune sentinelle ne s’y tenait. Cette ouverture donnait directement sur les berges de la Seine.

À la suite l’un de l’autre, et dans l’obscurité la plus profonde, ils grimpèrent un escalier aux marches hautes et étroites. Puis ils suivirent un couloir interminable. Ils firent tant de tours et de détours que Castel-Rajac, intrigué, se demanda si, vraiment, cette promenade n’avait pas pour but de l’égarer.

Enfin, une portière fut soulevée. Gaëtan, ébloui, recula d’un pas.

Il se trouvait dans un somptueux boudoir. De grands candélabres de bronze où brûlaient des bougies roses et parfumées éclairaient la pièce brillamment.

Sur un divan, une femme, également masquée, et enveloppée aussi d’une mante noire, attendait.

– Approchez, monsieur de Castel-Rajac! dit-elle d’une voix harmonieuse, à l’imperceptible accent, qui fit tressaillir le chevalier.

Il obéit, dominant son trouble. Celle qui l’avait amené s’assit dans un fauteuil.

La dame masquée le regardait fixement. À travers les trous du loup de velours, il voyait le feu de ses prunelles.

Un court silence régna. L’inconnue ne se pressait point d’entamer la conversation. De son côté, Castel-Rajac attendait respectueusement qu’on voulût bien l’interroger. Il avait cru, malgré les précautions prises, reconnaître une illustre voix. Il attendit, plein de déférence.

– Monsieur de Castel-Rajac, reprit la femme masquée, j’ai beaucoup entendu parler de vous, et le désir m’est venu de vous connaître. Je ne peux vous cacher que ce que j’ai ouï-dire à votre sujet était tout à votre louange.

– Madame, répondit le Gascon avec finesse, la personne qui vous a renseignée a témoigné d’une grande indulgence à mon égard, et je vous prie de l’assurer de toute ma reconnaissance.

– On m’a dit, monsieur, que vous étiez aussi chevaleresque que brave, et que, le cas échéant, vous n’hésitez pas à vous lancer dans les plus compromettantes aventures pour sauver l’honneur d’une femme…

– Ce que j’ai pu faire n’a rien d’extraordinaire, Madame, et tout gentilhomme de France l’eût fait avec joie comme moi je l’ai fait!

– Cette réponse est digne de votre modestie, chevalier… À propos: on m’a rapporté que vous aviez un fils?

– Oui, Madame. Un charmant enfant, auquel je suis attaché profondément…

– Vous êtes marié?

– Non, Madame.

– Une aventure?

– Si vous voulez, Madame.

– Vous êtes discret, chevalier!

– Madame, l’honneur d’une femme en dépend. Cette raison doit être suffisante pour que je le sois…

– Je vous en félicite. Vous êtes bien tel qu’on me l’a dépeint! À propos: puis-je connaître le nom de cette femme?

– Je regrette. Madame, mais… même à vous, je ne puis le dire!

– Peut-être l’ignorez-vous? lança l’inconnue avec hardiesse.

Castel-Rajac se redressa.

– Non, Madame, dit-il avec un respect infini. Je connais le nom de la mère de mon fils. Mais ce nom, je le garde dans mon cœur, et il faudra l’ouvrir pour l’y lire! Sur mon épée, moi vivant, personne ne le saura!

Les yeux de l’inconnue brillèrent davantage. Castel-Rajac ne baissa pas les yeux.

Elle se leva.

– Chevalier de Castel-Rajac, dit-elle lentement, je ne sais ce que vous réserve l’avenir. Partez, maintenant. Mais avant, je veux vous dire ceci: veillez sur cet enfant, qui est le vôtre, avec le soin jaloux et la tendresse que vous lui avez toujours témoignés. Le cœur d’une mère n’est pas toujours assez fort pour préserver des embûches de la vie: il faut parfois un grand courage et un cœur fort pour les détourner. Je suis certaine que vous y parviendrez!

Elle sortit de la mante noire un bras et une main d’une blancheur et d’une forme admirables, et les tendit au chevalier, qui, mettant un genou en terre, y déposa respectueusement ses lèvres. Puis Castel-Rajac se releva.

– Madame, dit-il, je renouvelle devant vous le serment fait jadis: donner ma vie, s’il le faut, pour cet enfant et pour sa mère!

– Adieu, chevalier! murmura la voix harmonieuse, aux inflexions un peu tristes. Je suis heureuse d’avoir fait la connaissance, ce soir, d’un parfait gentilhomme.

L’autre dame masquée se leva et ouvrit la porte. Le Gascon sortit, et, précédé par son guide muet, refit en sens inverse le chemin déjà parcouru pour venir.

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