Литмир - Электронная Библиотека
A
A

L’officier baissa un peu la voix.

– Le Mazarin n’en a plus pour longtemps… Monsieur le Prince se fera nommer ministre à sa place, et on obligera Sa Majesté à renvoyer son Italien à sa bonne ville de Florence, qu’il n’aurait jamais dû quitter!

– Dites-moi, mon cher, interrogea doucereusement Durbec, savez-vous les noms de ceux que Monseigneur compte supprimer de sa route?

– Il m’en fit dresser la liste voici à peine deux heures!

– Quoi! Serait-ce vous qui êtes chargé de nommer tous les suspects?

– Je les note, en effet, car dès ce soir, ils seront exécutés… Ce sera une petite Saint-Barthélémy!

Il fit un geste.

– C’est triste… Mais peut-on faire autrement?

– Certainement que non! s’écria Durbec, et j’approuve Monseigneur de toutes mes forces… Lui seul, par sa naissance, son intelligence et son énergie, est digne d’administrer la France à la place de ce rustre d’Italien que la reine protège, on sait pourquoi! Mais je pourrais peut-être vous donner une indication utile à ce sujet… Je connais personnellement trois individus, fort dangereux, entièrement dévoués à la cause de Mazarin, et qui devraient figurer en premier sur votre liste noire.

– S’il en est ainsi, ils y figurent sûrement! affirma l’officier. Dites-moi leurs noms?

– Il s’agit du chevalier de Castel-Rajac, Hector d’Assignac et Henri de Laparède!

– Non, je n’ai pas ces noms-là, c’est vrai, convint l’officier. Et vous dites que ce sont des fidèles du signor Mazarini?

– Dites qu’ils se feraient tuer pour lui! affirma l’espion.

– Que font-ils? Où sont-ils?

– Ils font partie du corps des mousquetaires du roi!

L’autre fit une grimace.

– Très dangereux… murmura-t-il.

– Très dangereux surtout pour Monseigneur. Ces hommes ont le diable au corps, mon cher! Croyez-moi: n’hésitez pas!

– Ils sont probablement à Saint-Germain. Nous ne pouvons aller jusque-là! Notre action se borne à la capitale!

– Ce soir, ils seront à Paris, ou presque: j’ai aussi ma police, et je sais qu’ils doivent coucher à l’auberge du Vieux-Bacchus, la première taverne sitôt passées les fortifications, en se dirigeant vers Vincennes!

– En ce cas, concéda l’officier, peut-être pourrons-nous agir, en effet. Je vous remercie du renseignement, j’espère que nous pourrons en débarrasser Monsieur le Prince…

Ils se séparèrent après s’être serré la main, et partirent chacun de leur côté: l’officier pour ajouter à sa liste le nom des trois gentilshommes gascons, et le chevalier de Durbec, jubilant et se frottant les mains, à l’idée que grâce à cet événement, il verrait enfin sa vengeance assouvie sans risque pour lui!

Les trois amis avaient bien formé le projet de passer la nuit dans l’auberge qu’il avait désignée au frondeur. La route était longue, du faubourg Saint-Antoine jusqu’à Saint-Germain; et après avoir attendu quarante-huit heures afin de savoir s’il n’y aurait pas contre-attaque, ils avaient décidé de rentrer à la Cour en attendant les nouveaux événements. Mais, cette nuit encore, ils coucheraient au Vieux-Bacchus, qu’ils avaient élu comme gîte.

Tandis que les autres mousquetaires campaient avec l’armée royale, un peu plus loin, les trois Gascons avaient préféré une bonne table au menu incertain de la troupe.

De plus, la fille de l’aubergiste, une jolie fille de seize ans, assurait le service, ce qui n’était point fait pour déplaire aux convives, qui trouvaient le vin plus parfumé et la poularde plus dorée lorsque c’étaient les jolies mains de Guillemette qui les servaient.

La petite n’avait d’yeux que pour Gaëtan, tant et si bien que Laparède, mi-riant, mi-vexé de voir que tout le succès allait à son ami, s’écria:

– Tu perds ton temps, ma belle! Notre ami n’aime que les blondes!

La jeune fille avait rougi jusqu’à sa chevelure, dont les boucles noires et lustrées cascadaient sur ses épaules, et s’éclipsa sans rien dire.

Enfin, lorsqu’ils eurent copieusement soupé, ils remontèrent dans leur chambre. Au passage, ils croisèrent Guillemette, et ses beaux yeux noirs se posèrent avec admiration sur le chevalier. Celui-ci s’en aperçut. Au passage, il lui tapota la joue.

– Tu sais, dit-il en souriant, une brune comme toi ferait oublier toutes les blondes!

Le naïf intérêt que la fillette témoignait pour lui l’avait à la fois touché et flatté, et il pensait que cette attention valait bien un compliment, même s’il n’en pensait pas le premier mot!

Paroles bienheureuses, qui allaient avoir sur les événements à venir une influence décisive!

Guillemette, oubliant l’heure, s’était mise à sa fenêtre, dissimulée par le feuillage d’un gros marronnier. Cette circonstance lui permit d’entrevoir une troupe de cavaliers qui s’approchait silencieusement. Devant l’auberge, ils mirent pied à terre.

La jeune fille, croyant qu’il s’agissait de voyageurs, allait descendre et s’informer de ce qu’ils désiraient, lorsque, soudain, un nom saisi au vol l’arrêta tout net:

– Vous êtes bien sûr, capitaine, que ce Castel-Rajac est lieutenant aux mousquetaires?

– Mais oui! Commencez par lui. Allez à sa chambre et dès qu’il ouvrira, frappez-le sans explications. Vous exécuterez ensuite ses deux compagnons.

L’homme qui avait parlé s’approcha de l’huis et heurta du poing, tandis que Guillemette cherchait un moyen de soustraire Gaëtan au danger qui le menaçait.

Comme, en bas, on cognait de nouveau, elle se pencha et cria:

– Qui va là?

– Ouvrez!

– Je passe un cotillon et je descends!

– Dépêche-toi, la fille! Nous sommes pressés!

Guillemette avait déjà quitté la fenêtre. Sans prendre le temps d’enfiler un jupon, pour la bonne raison qu’elle ne s’était pas encore déshabillée, elle courut à la chambre de Castel-Rajac et frappa de toutes ses forces.

– Monsieur! Monsieur! cria-t-elle d’une voix étouffée: Ouvrez! Ouvrez vite!

Gaëtan, qui venait juste de s’endormir, s’éveilla en sursaut, bondit hors du lit et alla tirer le verrou.

– Que se passe-t-il? s’écria-t-il, étonné.

– Il y a en bas une bande d’hommes armés qui demande à entrer… Ils viennent vous assassiner, vous et vos deux amis! Fuyez!

– Mordiou! On ne nous assassine pas comme cela, la belle! s’écria le Gascon en courant éveiller ses deux compagnons.

34
{"b":"125222","o":1}