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– Monsieur Toon, fit-il, comment ça va. Quoi de neuf.

L'autre tourna la tête sans répondre. Quoi de neuf dit-il à son tour, troussant ses lèvres blanches sur une ligne brisée d'émail jaune.

– Comme vous voyez.

– Je me fous de ce que je vois, dit Toon, je n'y crois pas. Toujours rien?

– Hélas, gémit Tomaso, c'est devenu très dur. Pour ainsi dire il n'y a plus de rotation. Toujours pareil, n'est-ce pas, la demande excède l'offre et les prix montent. Ça décourage le monde, ça bloque.

– Ça va, dit Toon, ça va. Vous les faites à combien, vos petites calculatrices, là?

– Choisissez-en une, sourit Tomaso. Cadeau de la maison.

A deux rues de là, Van Os patientait dans le 4 x 4 en écoutant son programme favori sur ondes courtes. Véhicule 133, grésillait une mâle voix, quelle est votre position. Assise, clamait un chœur hilare, amplifié par les parois de métal de la bétaillère. Van Os ne sourit pas, trop habitué aux rites récréatifs des forces de l'ordre. Toon portant deux coups d'ongle sur la vitre, Van Os débloqua la portière. Alors?

– Rien, dit Toon. Je n'arrive pas à comprendre s'il n'a vraiment rien ou s'il se fout de nous.

– Normal, tu es idiot. Ton crâne est creux.

– Allez-y vous-même, protesta Toon, vous verrez bien.

– Je ne peux pas, se rembrunit Van Os, je sais qu'il ne m'aime pas. Il a peur de moi. Il a tort.

– Quand même, objecta Toon, il vous louait la maison de Craponne, l'été dernier (on était bien dans cette maison), il n'avait pas fait d'histoires pour louer. Il ne loue jamais, d'habitude.

– Oui, dit Van Os, justement. C'est parce qu'il a peur de moi.

Ils empruntèrent le périphérique intérieur jusqu'à la porte de Sèvres, et de là direct via Balard vers Javel. Envoyez Plankaert, alors, continuait de protester Toon, vous verrez bien. Van Os raffermit ses lunettes sur son nez: il est malade, Plankaert, tu le sais qu'il est malade. Il y avait un peu de monde sur les quais, pour cause d'hydroglisseurs sur l'eau du fleuve. Leurs couleurs vives étouffées sous les publicités, les hydroglisseurs poussaient des arcs d'écume beige autour de deux bouées; les gens regardaient. Toon aurait bien voulu regarder. Mais Van Os lui fit signe d'aller devant, comme ils se dirigeaient vers la tour de Paul.

Tout en haut de l'immeuble, Paul se changeait les idées en regardant les hydroglisseurs lorsqu'on sonna chez lui: sans doute Pons, déjà, qui accourait aux nouvelles. Il sortit une bouteille préventive qu'il posa sur la table basse avant d'aller ouvrir: Van Os. Une seconde de suspens. Van Os entra, suivi de Toon qui évitait le regard de Paul.

– Vous buvez seul, Bergman? s'inquiéta Van Os en désignant la bouteille. C'est que ça n'est pas bon, ça, hein.

– J'attendais quelqu'un, précisa Paul.

– On vous dérange, bien sûr. (A son tour Paul désigna, interrogativement, l'alcool.) Non, merci, si vous aviez par contre un peu de café.

– La machine est cassée, dit Paul. C'est entartré, ça ne marche plus. Le calcaire.

– Tant pis, dit Van Os. De toute façon je n'aime pas trop ça, le café en machine, c'est meilleur dans les cafetières d'avant. Vous devriez. Vous avez la Cona, par exemple, qui n'est pas mal. Evidemment c'est un peu fragile. J'aime mieux la bonne vieille italienne, vous savez, celle qu'on dévisse par le milieu, vous en avez de petites individuelles qui sont très bien. Je m'assieds un moment, on ne va pas tarder.

Paul s'assit après lui. Toon resta debout, d'abord derrière son chef comme il convenait à son état, puis il recula en direction de la fenêtre, dans une progression à peine sensible vers les hydroglisseurs. Paul cherchait une réplique aux cafetières.

– Alors, trouva-t-il, ça c'est bien terminé l'autre jour, à Vanves?

La main de Van Os voleta près de sa tempe, chassant l'échauffourée de l'histoire universelle:

– Ce n'était rien, peu de chose. Des types, je ne travaille pas avec, des connaissances. Mais on s'aide un peu, vous savez ce que c'est, on se donne des coups de main.

Il ôta ses lunettes, posa son haleine dessus puis les nettoya minutieusement sans les regarder, ses yeux plissés vers la reproduction d'une peinture sur le mur, intitulée Sept heures du matin: au coin d'une rue vide, derrière la vitrine presque vide d'un magasin fermé, une pendule au milieu du tableau marque en effet sept heures. C'est principalement bleu clair, vert clair, blanc. Des frondaisons plus vertes frissonnent à gauche sous un triangle de ciel beaucoup plus bleu. C'est joli, dit Van Os. Vous avez repensé à ce que je vous ai dit?

– Non, fit Paul, c'est-à-dire oui, je veux dire qu'il n'y a rien, décidément rien. On ne trouve pas, en ce moment.

– C'est vrai qu on ne trouve pas grand-chose, c’est assez préoccupant. Vous n'êtes pas le seul à qui je demande.

– Je m'en doute bien.

– Personne n'a rien. Dufrein n'a rien, Omar n'a rien, Labrouty n'a rien. Vous me direz d'essayer avec Chonnebrolles, mais pas moyen de lui mettre la main dessus, Chonnebrolles. Personne ne sait où il est. Tomaso, rien non plus. Vous connaissez Tomaso?

– Je ne vois pas bien, déglutit Paul. Les autres non plus, d'ailleurs. Sauf Chonnebrolles, naturellement, mais seulement de réputation.

– Je suis ennuyé, dit Van Os, je suis très ennuyé. J'ai tellement besoin de matériel en ce moment. J'ai du trop petit calibre, on ne fait rien avec ça. Vous ne me racontez pas d'histoires, au moins?

Paul remua la tête.

– Ça me ferait de la peine si c'était des histoires, poursuivit l'autre en regardant ses mains d'un air peiné, je le prendrais mal. On a toujours eu, vous et moi, des rapports très confiants, ça me ferait du mal. J'aurais du mal.

Paul remuait sa tête dans l'autre sens, perpendiculairement, lorsque Toon s'exclama: l'un des hydroglisseurs venait de verser, son pilote pataugeait à présent sous son casque, dans l'eau riche en virus. Holà le type, laissa échapper Toon. Van Os sourit avec attendrissement en désignant du pouce son homme de main. C'est un enfant, dit-il doucement, c'est impulsif, ça n'a pas sa conscience. Comme il dépliait son squelette, Paul se leva après lui, Toon se détachait à regret de la fenêtre.

– Au plaisir, dit Van Os, prévenez-moi. Promettez-moi de me prévenir. Je repasserai, de toute façon.

Ils sortent, accompagnons-les jusqu'à leur véhicule: j'en ai assez de ce type, exprime Toon, j'en ai assez de le suivre, moi. La fille de l'autre jour, par contre, je ne l'ai plus vue. Il m'avait l'air bien accroché, pourtant.

– Bon, dit Van Os, tu continues à le suivre. Et tâche de surveiller cette fille aussi.

– Non mais, s'indigne Toon, vous vous représentez le travail?

Leur véhicule démarre, laissons-les s'en aller. Revenons chez Paul qui a refermé sans bruit la porte sur eux, rapporté la bouteille à sa place dans le placard, qui se tient près du placard un moment, immobile, sans une pensée pour les hydroglisseurs. Quand le téléphone recommence à sonner, Paul reste près du placard. Il laisse sonner, cela va se décourager. Cela surenchérit au contraire, les sonneries acides rayent l'espace avant qu'il se décide. L'appareil suspendu à deux doigts, suivi de son fil, Paul décroche en prenant le chemin de la fenêtre. Ce doit être Bob. Je savais que c'était toi, s'apprête à dire Paul, devine qui sort d'ici.

Mais non, c'est Justine qui ne dit toujours pas son nom, cette fois Paul a tout de suite reconnu sa voix. C'est inattendu. Elle veut le rencontrer, voilà qui est très inattendu. Elle propose une date, une heure, un bar-tabac. Oui, dit Paul, je vais venir. Bien sûr. Je vais venir de tout mon cœur.

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