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Et alors je me rabattais, l’hiver, sur les veillées où j’eus l’occasion ainsi d’écouter nos derniers conteurs: entre autres le Bramaire, un ancien grenadier de l’armée d’Italie, qui mangeait toutes vivantes les cigales et les rainettes, si bien que ces bestioles lui chantaient dans le ventre. Il me semble l’entendre, lorsqu’il voulait réveiller les auditeurs qui sommeillaient:

– Cric – Crac!

– De la m… dans ton sac, Du butin dans le mien!

Un souvenir de la caserne ou du temps où, en campagne, on était campé sous la tente.

Un autre qui en savait, des sornettes, à ne plus finir, c’était le vieux Dévot auquel je suis heureux de payer ici ma dette car, si simple qu’elle fût, je lui dois la donnée de mon poème de Nerto. Et à propos de ces veillées, nous allons en toucher un mot. Aujourd’hui dans nos villages, les paysans, après souper, vont au café faire leur partie de billard, de manille ou d’un jeu de cartes quelconque, et, des veillées anciennes, c’est à peine s’il en reste une espèce de semblant chez quelques artisans qui travaillent à la lampe, tels que les menuisiers ou bien les cordonniers.

Mais en ce temps, la mode de ces réunions joyeuses était loin d’être perdue: et elles se tenaient en général dans les étables ou dans les bergeries, parce que là avec le bétail, on se trouvait plus chaudement. L’usage était que chaque veilleur ou habitué de la veillée fournît la chandelle à son tour, et il fallait que la chandelle durât deux soirées, de sorte que, quand les assistants la voyaient à moitié usée, ils se levaient et allaient au lit.

Seulement pour que la chandelle s’usât moins rapidement, on mettait sur le lumignon, savez-vous quoi? un grain de sel; on la posait debout sur le fond d’une portoire ou d’un cuvier renversé, et les femmes qui filaient ou qui berçaient leurs petits (car les mères apportaient les berceaux à la veillée) avec leurs hommes et leurs enfants s’asseyaient tout autour, sur la litière ou sur des billots. Lorsqu’il n’y avait pas de sièges, les fileuses, une devant l’autre, la quenouille au côté (quenouille de roseau renflée et coiffée de chanvre), tournaient lentement autour du veilloir, afin d’éclairer leur fil, et l’on y disait des contes, interrompus souvent par un ébrouement des bestiaux, un bêlement ou un braiment. Parmi ces contes de veillée, celui que je vais vous dire se répétait fréquemment, parce qu’un de mes oncles, le bon M. Jérôme, y avait joué un rôle et que c’était un conte vrai.

Vers 1820 ou 25, peu importe la date, à Maillane mourut un certain Claudillon; et comme il n’avait pas d’enfants, sa maison resta close pendant cinq ou six mois. Pourtant un locataire à la fin vint l’habiter et les fenêtres se rouvrirent.

Mais, quelques jours après, il courut dans Maillane une rumeur étrange: la maison de Claudillon était hantée. Le nouvel habitant et sa femme entendaient ravauder et far- fouiller toute la nuit: un bruit particulier, comme si on remuait du papier, du parchemin. Dès qu’on allumait la lampe, on n’entendait plus rien; et dès qu’on l’éteignait, recommençait de plus belle le froissement mystérieux. Ils eurent beau, les locataires, fureter, virer, tourner dans tous les coins de la maison, nettoyer le buffet, regarder sous le lit, sous l’escalier, sous les planches de l’évier, ils ne virent rien qui pût expliquer peu ou prou le remuement nocturne, et ce bruit tous les jours renaissait dans la nuit; à ce point vous dirai-je que ces gens prirent peur et déménagèrent en disant aux voisins: «Y couche qui voudra, dans la maison de Claudillon: les revenants la hantent.» Et ils partirent.

Les voisins assez effrayés voulurent voir aussi ce qui se passait là; et les plus courageux, armés de fourches et de fusils, vinrent tour à tour coucher dans la maison de Claudillon. Mais sitôt la lampe éteinte, le maudit remuement avait lieu de nouveau; les parchemins se maniaient – et on ne pouvait jamais voir d’où provenait le bruit.

Les veilleurs, en se signant, disaient bien les paroles qu’on adresse aux revenants pour les exorciser:

– Si tu es bonne âme, parle-moi!

– Si tu es mauvaise, disparais!

Cela ne leur faisait pas plus qu’une pâtée de son aux chats, et le bruit s’entendait toujours la même chose; et au four, au moulin, aux lavoirs à la veillée, on ne parlait que des revenants.

– Si l’on pouvait, disaient les gens, savoir qui est-ce qui revient, en faisant prier pour elle, la pauvre âme, bien sûr, entrerait en repos.

– Eh! fit la grosse Alarde, qui voulez-vous que ce soit? ce ne peut être que Claudillon… Le pauvre Claudillon, n ayant pas laissé d’enfants, n’aura pas eu de service, et l’âme du défunt certainement doit être en peine.

– C’est cela, conclut-on, Claudillon doit être en peine.

Et aussitôt les femmes, entre voisines et liard à liard ramassèrent de quoi faire dire une messe au pauvre Claudillon. Le prêtre dit la messe; il fit pour Claudillon les prières voulues, et quelques Maillanais de bonne volonté retournèrent voir, la nuit, s’il y avait toujours hantise.

Hantise de plus en plus: c’était un remuement de papiers, de parchemins, qui faisait dresser les cheveux! et chacun ajoutait la sienne: au haut de l’escalier on avait trouvé une botte, une botte toute cirée: d’autres avaient aperçu, par le trou de l’évier, un spectre entouré de flammes qui descendait de la cheminée! Isabeau la boisselière conta que le matin, en faisant la chasse aux puces, elle trouvait sur son corps des bleus – qui sont des pinçons des morts; et Nanon de la Veuve assurait que, la nuit, on l’avait tirée par les pieds.

Les hommes, le dimanche, près du puits de la Place, s’entretenaient tous de la chose et disaient:

– Claudillon, le pauvre Claudillon, était pourtant un brave homme: il n’est pas croyable que ce soit lui.

– Mais alors qui serait-ce?

Le grand Charles, un pince-sans-rire que tout le monde respectait, car il les dominait tous, autant par la stature de son corps de géant, que par l’aplomb de sa parole, dit après avoir toussé:

– N’est-ce pas clair? Du moment qu’on remue des papiers, ce doit être des notaires.

Tout le monde s’écria:

– Le grand Charles a raison, ce doit être des notaires puisqu’ils remuent des papiers: – et tenez, ajouta le vieux Maître Ferrut, je m’en souviens maintenant, cette maison s’était vendue, dans ma jeunesse, au tribunal; elle venait d’un héritage où l’on avait plaidé, vingt ans peut-être, à Tarascon; et tant grattèrent les notaires, les avocats, les procureurs, que ma, foi, tout se mangea… Parbleu, ces gens doivent brûler comme des chaufferettes; et rien d’étonnant qu’ils reviennent fureter dans les actes et les écrits qu’ils ont passés.

– Ce sont des notaires! ce sont des notaires! L’on n’entendait plus que cela dans les rues de Maillane. Les Maillanais n’en dormaient plus et, lorsqu’ils en parlaient, en avaient la chair de poule.

– Ha! nous le verrons bien, si ce sont des notaires! dit flegmatiquement M. Jérôme le moulinier de soie.

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