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Cela fait:

– Brrr! dit Gavroche, plus frissonnant que saint Martin, qui, lui du moins, avait gardé la moitié de son manteau.

Sur ce brrr! l’averse, redoublant d’humeur, fit rage. Ces mauvais ciels-là punissent les bonnes actions.

– Ah çà! s’écria Gavroche, qu’est-ce que cela signifie? Il repleut! Bon Dieu, si cela continue, je me désabonne.

Et il se remit en marche.

– C’est égal, reprit-il en jetant un coup d’œil à la mendiante qui se pelotonnait sous le châle, en voilà une qui a une fameuse pelure.

Et, regardant la nuée, il cria:

– Attrapé!

Les deux enfants emboîtaient le pas derrière lui.

Comme ils passaient devant un de ces épais treillis grillés qui indiquent la boutique d’un boulanger, car on met le pain comme l’or derrière des grillages de fer, Gavroche se tourna:

– Ah çà, mômes, avons-nous dîné?

– Monsieur, répondit l’aîné, nous n’avons pas mangé depuis tantôt ce matin.

– Vous êtes donc sans père ni mère? reprit majestueusement Gavroche.

– Faites excuse, monsieur, nous avons papa et maman, mais nous ne savons pas où ils sont.

– Des fois, cela vaut mieux que de le savoir, dit Gavroche qui était un penseur.

– Voilà, continua l’aîné, deux heures que nous marchons, nous avons cherché des choses au coin des bornes, mais nous ne trouvons rien.

– Je sais, fit Gavroche. C’est les chiens qui mangent tout.

Il reprit après un silence:

– Ah! nous avons perdu nos auteurs. Nous ne savons plus ce que nous en avons fait. Ça ne se doit pas, gamins. C’est bête d’égarer comme ça des gens d’âge. Ah çà! il faut licher pourtant.

Du reste il ne leur fit pas de questions. Être sans domicile, quoi de plus simple?

L’aîné des deux mômes, presque entièrement revenu à la prompte insouciance de l’enfance, fit cette exclamation:

– C’est drôle tout de même. Maman qui avait dit qu’elle nous mènerait chercher du buis bénit le dimanche des rameaux.

– Neurs, répondit Gavroche.

– Maman, reprit l’aîné, est une dame qui demeure avec mamselle Miss.

– Tanflûte, repartit Gavroche.

Cependant il s’était arrêté, et depuis quelques minutes il tâtait et fouillait toutes sortes de recoins qu’il avait dans ses haillons.

Enfin il releva la tête d’un air qui ne voulait qu’être satisfait, mais qui était en réalité triomphant.

– Calmons-nous, les momignards. Voici de quoi souper pour trois.

Et il tira d’une de ses poches un sou.

Sans laisser aux deux petits le temps de s’ébahir, il les poussa tous deux devant lui dans la boutique du boulanger, et mit son sou sur le comptoir en criant:

– Garçon! cinque centimes de pain.

Le boulanger, qui était le maître en personne, prit un pain et un couteau.

– En trois morceaux, garçon! reprit Gavroche, et il ajouta avec dignité:

– Nous sommes trois.

Et voyant que le boulanger, après avoir examiné les trois soupeurs, avait pris un pain bis, il plongea profondément son doigt dans son nez avec une aspiration aussi impérieuse que s’il eût eu au bout du pouce la prise de tabac du grand Frédéric, et jeta au boulanger en plein visage cette apostrophe indignée:

– Keksekça?

Ceux de nos lecteurs qui seraient tentés de voir dans cette interpellation de Gavroche au boulanger un mot russe ou polonais, ou l’un de ces cris sauvages que les Yoways et les Botocudos se lancent du bord d’un fleuve à l’autre à travers les solitudes, sont prévenus que c’est un mot qu’ils disent tous les jours (eux nos lecteurs) et qui tient lieu de cette phrase: qu’est-ce que c’est que cela? Le boulanger comprit parfaitement et répondit:

– Eh mais! c’est du pain, du très bon pain de deuxième qualité.

– Vous voulez dire du larton brutal [62], reprit Gavroche, calme et froidement dédaigneux. Du pain blanc, garçon! du larton savonné! je régale.

Le boulanger ne put s’empêcher de sourire, et tout en coupant le pain blanc, il les considérait d’une façon compatissante qui choqua Gavroche.

– Ah çà, mitron! dit-il, qu’est-ce que vous avez donc à nous toiser comme ça?

Mis tous trois bout à bout, ils auraient fait à peine une toise.

Quand le pain fut coupé, le boulanger encaissa le sou, et Gavroche dit aux deux enfants:

– Morfilez.

Les petits garçons le regardèrent interdits.

Gavroche se mit à rire:

– Ah! tiens, c’est vrai, ça ne sait pas encore, c’est si petit.

Et il reprit:

– Mangez.

En même temps, il leur tendait à chacun un morceau de pain.

Et, pensant que l’aîné, qui lui paraissait plus digne de sa conversation, méritait quelque encouragement spécial et devait être débarrassé de toute hésitation à satisfaire son appétit, il ajouta en lui donnant la plus grosse part:

– Colle-toi ça dans le fusil.

Il y avait un morceau plus petit que les deux autres; il le prit pour lui.

Les pauvres enfants étaient affamés, y compris Gavroche. Tout en arrachant leur pain à belles dents, ils encombraient la boutique du boulanger qui, maintenant qu’il était payé, les regardait avec humeur.

– Rentrons dans la rue, dit Gavroche.

Ils reprirent la direction de la Bastille.

De temps en temps, quand ils passaient devant les devantures de boutiques éclairées, le plus petit s’arrêtait pour regarder l’heure à une montre en plomb suspendue à son cou par une ficelle.

– Voilà décidément un fort serin, disait Gavroche.

Puis, pensif, il grommelait entre ses dents:

– C’est égal, si j’avais des mômes, je les serrerais mieux que ça.

Comme ils achevaient leur morceau de pain et atteignaient l’angle de cette morose rue des Ballets au fond de laquelle on aperçoit le guichet bas et hostile de la Force:

– Tiens, c’est toi, Gavroche? dit quelqu’un.

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