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A
A

Si tout n’est qu’un soupir, si tout n’est qu’une larme,

Si tout n’est qu’un moment!

III

Le sort nous use au jour, triste meule qui tourne.

L’homme inquiet et vain croit marcher, il séjourne;

Il expire en créant.

Nous avons la seconde et nous rêvons l’année;

Et la dimension de notre destinée,

C’est poussière et néant.

L’abîme, où les soleils sont les égaux des mouches,

Nous tient; nous n’entendons que des sanglots farouches

Ou des rires moqueurs;

Vers la cible d’en haut qui dans l’azur s’élève,

Nous lançons nos projets, nos vœux, l’espoir, le rêve,

Ces flèches de nos cœurs.

Nous voulons durer, vivre, être éternels. Ô cendre!

Où donc est la fourmi qu’on appelle Alexandre?

Où donc le ver César?

En tombant sur nos fronts, la minute nous tue.

Nous passons, noir essaim, foule de deuil vêtue,

Comme le bruit d’un char.

Nous montons à l’assaut du temps comme une armée.

Sur nos groupes confus que voile la fumée

Des jours évanouis,

L’énorme éternité luit, splendide et stagnante;

Le cadran, bouclier de l’heure rayonnante,

Nous terrasse éblouis!

IV

À l’instant où l’on dit: Vivons! tout se déchire.

Les pleurs subitement descendent sur le rire.

Tête nue! à genoux!

Tes fils sont morts, mon père est mort, leur mère est morte.

Ô deuil! qui passe là? C’est un cercueil qu’on porte.

À qui le portez-vous?

Ils le portent à l’ombre, au silence, à la terre;

Ils le portent au calme obscur, à l’aube austère,

À la brume sans bords,

Au mystère qui tord ses anneaux sous des voiles,

Au serpent inconnu qui lèche les étoiles

Et qui baise les morts!

V

Ils le portent aux vers, au néant, à Peut-Être!

Car la plupart d’entre eux n’ont point vu le jour naître;

Sceptiques et bornés,

La négation morne et la matière hostile,

Flambeaux d’aveuglement, troublent l’âme inutile

De ces infortunés.

Pour eux le ciel ment, l’homme est un songe et croit vivre;

Ils ont beau feuilleter page à page le livre,

Ils ne comprennent pas;

Ils vivent en hochant la tête, et, dans le vide.

L’écheveau ténébreux que le doute dévide

Se mêle sous leurs pas.

Pour eux l’âme naufrage avec le corps qui sombre.

Leur rêve a les yeux creux et regarde de l’ombre;

Rien est le mot du sort;

Et chacun d’eux, riant de la voûte étoilée,

Porte en son cœur, au lieu de l’espérance ailée,

Une tête de mort.

Sourds à l’hymne des bois, au sombre cri de l’orgue,

Chacun d’eux est un champ plein de cendre, une morgue

Où pendent des lambeaux,

Un cimetière où l’œil des frémissants poëtes

Voit planer l’ironie et toutes ses chouettes,

L’ombre et tous ses corbeaux.

Quand l’astre et le roseau leur disent: Il faut croire;

Ils disent au jonc vert, à l’astre en sa nuit noire:

Vous êtes insensés!

Quand l’arbre leur murmure à l’oreille: Il existe;

Ces fous répondent: Non! et, si le chêne insiste,

Ils lui disent: Assez!

Quelle nuit! le semeur nié par la semence!

L’univers n’est pour eux qu’une vaste démence,

Sans but et sans milieu;

Leur âme, en agitant l’immensité profonde,

N’y sent même pas l’être, et dans le grelot monde

N’entend pas sonner Dieu!

VI

Le corbillard franchit le seuil du cimetière.

Le gai matin, qui rit à la nature entière,

Resplendit sur ce deuil;

Tout être a son mystère où l’on sent l’âme éclore,

Et l’offre à l’infini; l’astre apporte l’aurore,

Et l’homme le cercueil.

Le dedans de la fosse apparaît, triste crèche.

Des pierres par endroits percent la terre fraîche;

Et l’on entend le glas;

Elles semblent s’ouvrir ainsi que des paupières,

Et le papillon blanc dit: «Qu’ont donc fait ces pierres?»

Et la fleur dit: «Hélas!»

VII

Est-ce que par hasard ces pierres sont punies,

Dieu vivant, pour subir de telles agonies?

Ah! ce que nous souffrons

N’est rien. – Plus bas que l’arbre en proie aux froides bises,

Sous cette forme horrible, est-ce que les Cambyses,

Est-ce que les Nérons,

Après avoir tenu les peuples dans leur serre,

Et crucifié l’homme au noir gibet misère,

Mis le monde en lambeaux,

Souillé l’âme, et changé, sous le vent des désastres,

L’univers en charnier, et fait monter aux astres

La vapeur des tombeaux,

Après avoir passé joyeux dans la victoire,

Dans l’orgueil, et partout imprimé sur l’histoire

Leurs ongles furieux,

Et, monstres qu’entrevoit l’homme en ses léthargies,

Après avoir sur terre été les effigies

Du mal mystérieux,

Après avoir peuplé les prisons élargies,

Et versé tant de meurtre aux vastes mers rougies,

Tant de morts, glaive au flanc,

Tant d’ombre, et de carnage, et d’horreurs inconnues,

Que le soleil, le soir, hésitait dans les nues

Devant ce bain sanglant!

Après avoir mordu le troupeau que Dieu mène,

Et tourné tour à tour de la torture humaine

L’atroce cabestan,

Et régné sous la pourpre et sous le laticlave,

Et plié six mille ans Adam, le vieil esclave,

Sous le vieux roi Satan,

Est-ce que le chasseur Nemrod, Sforce le pâtre,

Est-ce que Messaline, est-ce que Cléopâtre,

Caligula, Macrin,

Et les Achabs, par qui renaissaient les Sodomes,

Et Phalaris, qui fit du hurlement des hommes

La clameur de l’airain,

Est-ce que Charles Neuf, Constantin, Louis Onze,

Vitellius, la fange, et Busiris, le bronze,

Les Cyrus dévorants,

Les Égystes montrés du doigt par les Électres,

Seraient dans cette nuit, d’hommes devenus spectres,

Et pierres de tyrans?

Est-ce que ces cailloux, tout pénétrés de crimes,

Dans l’horreur étouffés, scellés dans les abîmes,

Enviant l’ossement,

Sans air, sans mouvement, sans jour, sans yeux, sans bouche,

Entre l’herbe sinistre et le cercueil farouche,

Vivraient affreusement?

Est-ce que ce seraient des âmes condamnées,

Des maudits qui, pendant des millions d’années,

Seuls avec le remords,

Au lieu de voir, des yeux de l’astre solitaire,

Sortir les rayons d’or, verraient les vers de terre

Sortir des yeux des morts?

Homme et roche, exister, noir dans l’ombre vivante!

Songer, pétrifié dans sa propre épouvante!

Rêver l’éternité!

Dévorer ses fureurs, confusément rugies!

Être pris, ouragan de crimes et d’orgies,

Dans l’immobilité!

Punition! problème obscur! questions sombres!

Quoi! ce caillou dirait: – J’ai mis Thèbe en décombres!

J’ai vu Suse à genoux!

J’étais Bélus à Tyr! j’étais Sylla dans Rome! -

Noire captivité des vieux démons de l’homme!

Ô pierres, qu’êtes-vous?

Qu’a fait ce bloc, béant dans la fosse insalubre?

Glacé du froid profond de la terre lugubre,

Informe et châtié,

Aveugle, même aux feux que la nuit réverbère,

Il pense et se souvient… – Quoi! ce n’est que Tibère!

Seigneur, ayez pitié!

Ce dur silex noyé dans la terre, âpre, fruste,

Couvert d’ombre, pendant que le ciel s’ouvre au juste

Qui s’y réfugia,

Jaloux du chien qui jappe et de l’âne qui passe,

Songe et dit: Je suis là! – Dieu vivant, faites grâce!

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