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«Alors Salomon d'Ondes s'en alla à la synagogue, où il rencontra des juifs ruinés comme lui, et d'autres qui avaient pu sauver une part de leurs biens. Hier soir, quand je vous ai quitté, dit frère Bernard (et Novelli l'écoutait en ruminant sombrement), j'y fus tout droit, pensant bien l'y trouver. En effet, je le vis sortir de ce mauvais lieu en compagnie d'un jeune rabbin nommé Eliezer. Il me raconta ce que vous venez d'entendre, frère Novelli. Je lui dis que vous seriez sans doute très contrarié de le voir revenir à son judaïsme, mais il ne voulut pas me croire. Il prétendit que le neveu de monseigneur Arnaud ne pouvait être un homme injuste et mesquin, et s'en alla avec Eliezer. Ce matin, je vous ai cherché partout pour vous demander ce qu'il convenait de faire, mais je ne vous ai pas trouvé.

– Il convient de le tenir ferme et de ne point l'abandonner, dit Novelli. Il convient de le persuader qu'il aurait à souffrir de grands maux s'il crachait maintenant au visage du Christ, après avoir reçu Sa grâce. Quand Dieu a conduit, de gré ou de force, un homme dans son Église, il convient de faire en sorte qu'il ne retourne pas à ses manigances de païen.

Il parla avec une hauteur austère et lente qui fit lever une tourmente de rides inquiètes sur la grosse figure de frère Bernard, puis se remit à compulser rageusement les parchemins qui lui avaient si fort embrouillé l'esprit jusqu'à ce crépuscule.

– Cependant, dit le moine, tout hésitant et timide, comment l'obliger à détester la religion de ses pères, s'il ne l'a point reniée de bon coeur? Ce juif n'est pas un fanatique, il est trop occupé de tranquilles études pour haïr qui que ce soit au monde, je le connais, c'est un philosophe de bon renom. Il a perdu ses biens et la paix du coeur, en ce mauvais jour que nous venons de vivre. Frère Novelli, ne pensez-vous pas qu'il a souffert assez pour mériter au moins qu'on lui tourne le dos?

– Salomon d'Ondes est chrétien, Bernard, l'oublies-tu? Il est ton frère, désormais. As-tu jamais laissé se perdre l'âme d'un frère, dis-moi? Avant d'être baptisé, il n'était qu'un espoir d'homme, mais maintenant le voilà fils de notre Église, comme nous le sommes, toi et moi. Il viendra à notre amitié. Il le faut, bon moine. Je lui parlerai, un jour prochain. Es-tu certain au moins qu'il n'a pas l'intention de quitter Toulouse?

– Si Dieu veut, il partira demain matin pour Cordoue, où il a vécu autrefois. Le rabbin Eliezer lui a donné de l'argent et une vieille mule infirme, je l'ai vue: elle le portera peut-être jusqu'à la première auberge, mais guère plus loin. A l'heure qu'il est, il doit boucler ses bagages dans les gravats de sa maison. Il espérait sauver des décombres quelques livres et un antique bâton de pèlerin qu'il voulait à toute force retrouver, car il le tenait, à ce qu'il m'a dit, d'un grand sage aveugle qui fut son maître.

Jacques s'accouda sur ses genoux, enfouit le visage dans ses mains et resta ainsi, immobile et silencieux, jusqu'à ce que frère Bernard, rajoutant une bûche au feu, réveille les braises mourantes dans de grands claquements de bois et bondissements d'étincelles. Alors Novelli le Jeune releva la tête. Ses tempes battaient, sa bouche tremblait, et dans ses yeux luisaient des pensées très sèches et dures.

– Va chez le viguier chercher un soldat, dit-il. Conduis-le chez Salomon d'Ondes. Je veux qu'il arrête ce pauvre homme et l'amène à la prison de l'Écarlate, où j'irai le voir demain matin.

– Il n'est pas juste de persécuter ce juif, maître Novelli, répondit frère Bernard Lallemand en contenant à peine des sanglots dans sa gorge. Voyez, j'ose vous regarder droit pour la première fois de ma vie, moi, fils de brute épaisse et de mère sans esprit, pour vous dire que vous faites mal, je le sens.

– Selon la loi, Salomon est chrétien. Il doit être tenu pour hérétique, s'il retourne à ses sabbats. Où est ma faute?

– Je ne la vois pas mieux que vous. J'ai peur, simplement. J'ai peur de vous voir tomber au fond de votre intelligence de grand clerc. Votre science est pure, je le sais, elle est de bonne et belle source. Mais dans l'eau claire aussi on peut mourir noyé. Ordonnez maintenant ce qu'il vous plaira, je vous obéirai, car je vous aime assez pour vous servir fidèlement, malgré les peines que vous me faites.

Frère Bernard trouva Salomon d'Ondes dans une ruine d'écurie, couché parmi la paille avec la selle de sa mule sous la tête et son maigre bagage serré contre son flanc.

– Venez avec moi, lui dit-il doucement. Je vais vous abriter comme il faut.

Le juif se dressa, éveillé, à la lueur de la lanterne, comme si de sa vie il n'avait jamais dormi. Il eut un petit rire pitoyable et demanda:

– En quelle prison?

– L'Écarlate, maître Salomon. Elle n'est pas méchante, et guère peuplée. Vous n'y resterez pas longtemps.

L'heure de minuit était proche. Jacques Novelli veillait encore dans sa chambre éteinte, pensant à Stéphanie et croyant ne penser à rien.

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