Pour être juste, il faut dire qu’en revanche la petite Juana ne voyait ni la servante, ni le Chico, ni personne. Elle paraissait suivre un rêve intérieur plutôt douloureux.
Et de ce rêve, une question vint la tirer brusquement.
– M. de Pardaillan est-il rentré? demanda le Torero.
La petite Juana tressaillit violemment, et c’est à peine si elle put balbutier d’une voix étranglée:
– Non, seigneur César.
– J’en étais sûr! murmura le Torero en regardant Cervantès d’un air consterné.
La petite Juana put faire un gros effort, et pâle comme une cire elle demanda:
– Le sire de Pardaillan était avec vous pourtant. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé de fâcheux?
– Nous l’espérons aussi, petite Juana, mais nous ne le saurons vraiment que demain, dit Cervantès d’un air très préoccupé.
Juana chancela. Elle fût tombée si elle n’avait rencontré une table à laquelle elle se cramponna. Et personne ne remarqua cette défaillance soudaine.
Personne, hormis la servante, qui clama:
– Vous tombez de fatigue, notre demoiselle! Êtes-vous donc devenue le bourreau de votre corps que vous ne voulez pas aller vous coucher, cette nuit?
El Chico avait vu, lui aussi. Il ne dit rien, lui, mais il s’approcha vivement comme s’il eût voulu lui prêter l’appui de sa faiblesse.
Sans rien remarquer, Cervantès reprit:
– Mon enfant, faites-nous préparer des lits. Nous achèverons la nuit ici, et demain, ajouta-t-il en se tournant vers don César et la Giralda, nous reprendrons nos recherches.
Le Torero approuva d’un signe de tête.
Juana, heureuse peut-être d’échapper à une contrainte pénible, suivit la servante malgré ses protestations énergiques, lesquelles eurent le sort réservé à toutes les protestations: celui de ne pas être entendues.
Cervantès, après un geste amical à l’adresse de Chico, se hâta de regagner la chambre qui lui était destinée.
Le Torero ne voulut pas le suivre avant de l’avoir chaudement remercié et de l’avoir assuré encore une fois qu’il se chargeait désormais de pourvoir à ses besoins. La Giralda joignit ses protestations à celles de son fiancé. Le petit homme accueillit ces marques d’amitié avec cet air fier et détaché qui lui était particulier. Mais l’éclat de son regard montrait clairement qu’il était content de cette amitié.