Et soulevé par les tenailles d’acier, sentant son bras se désarticuler sous la puissante pesée, les traits contractés, livide de honte, écumant de fureur et de douleur, Barba Roja sauta.
Impitoyable, Pardaillan l’obligea à se retourner et à sauter dans le sens contraire.
Ils se trouvaient alors placés face au cabinet du roi.
Haletant, râlant, le visage inondé de sueur, les yeux exorbités, Barba Roja paraissait sur le point de s’évanouir.
Alors Pardaillan le lâcha.
Mais de la main gauche, saisissant à pleine main l’opulente barbe du colosse, sans un mot, sans regarder derrière, comme une bête qu’on traîne à l’abattoir, il le traîna, à peu près inerte, vers le cabinet du roi.
Et Philippe II, qui le vit venir, n’eut que le temps de se reculer précipitamment, sans quoi il eut reçu en plein visage le battant de la porte, que Pardaillan repoussa d’un violent coup de pied.
Alors laissant la porte grande ouverte derrière lui, d’une dernière poussée envoyant Barba Roja rouler évanoui aux pieds du roi:
– Sire, dit Pardaillan d’une voix claironnante, je vous ramène ce mauvais drôle… Une autre fois, ne le laissez pas aller sans sa gouvernante, car s’il s’avise encore de me vouloir jouer ses farces incongrues, je serai forcé de lui arracher un à un les poils de sa barbe… et ce sera fâcheux pour lui, car alors il sera hideux.
Et dans la stupeur et l’effarement généraux, il sortit sans se presser, jetant autour de lui des regards étincelants.
Alors une voix murmura à l’oreille de Philippe, médusé:
– Je vous avais bien dit, Sire, que vous vous y preniez mal!… Me laisserez-vous agir maintenant?
– Vous aviez raison, monsieur l’inquisiteur… Allez, faites à votre idée, répondit le roi d’une voix tremblante de fureur.
Et avec une admiration mêlée de stupeur et de sourde terreur:
– Mais, quel homme!… Il a à moitié occis ce pauvre Barba Roja.
Lorsque gentilshommes et officiers, enfin revenus de leur stupeur, se décidèrent à courir sus à l’insolent, il était trop tard, Pardaillan avait disparu.