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Quant à la porte visible, en cœur de chêne, renforcée de clous et de pentures énormes, jamais Pardaillan, malgré sa force et sa bravoure, ne pourrait traverser cette salle encombrée pour arriver jusqu’à elle.

Et même s’il parvenait à accomplir ce miracle, il n’en serait pas plus avancé, la porte étant fermée à triple tour.

Pardaillan était bien pris cette fois.

Que pourrait sa courte dague contre les longues et bonnes rapières dont il allait être menacé?

Pas grand-chose, assurément.

Pardaillan s’était prêté avec une bonne grâce, dont lui seul était capable en pareil moment, à la petite manœuvre de Fausta.

Il serait certes téméraire d’affirmer qu’il n’avait rien remarqué de ces dispositions inquiétantes. Mais Fausta le connaissait bien.

Elle savait qu’il n’était pas homme à reculer sur n’importe quel terrain. Puisqu’il lui plaisait d’agir dans cette manière de cave comme elle aurait fait dans une salle de réception, puisqu’il lui plaisait de l’accabler de marques d’estime et d’avoir recours aux artifices de la politesse la plus raffinée, il se fût cru déshonoré à ses propres yeux en essayant de se dérober par crainte ou par prudence.

Fausta savait cela et, sans scrupule comme sans remords, elle exploitait habilement ce qu’elle considérait comme une faiblesse.

Donc Pardaillan s’assit sur la dernière banquette, à la place même qu’elle désignait. Elle-même s’assit sur une autre banquette, en face de lui.

Ils se regardèrent en souriant.

On eût dit deux amis heureux de se retrouver.

Cependant son sourire, à lui, avait on ne sait quoi de narquois, insaisissable pour tout autre qu’elle. Instinctivement, elle jeta un rapide coup d’œil autour d’elle comme si elle n’eût pas connu le lieu où elle le recevait – nous ne trouvons pas d’autre expression, puisqu’en réalité elle avait tout à fait les manières d’une femme qui reçoit. Elle ne vit rien, elle ne perçut rien, elle ne devina rien, elle ne sentit rien.

Car ce qu’il y avait de remarquable chez ces deux antagonistes, exceptionnellement doués, c’est que, en de certaines circonstances, ils ne voyaient pas qu’avec leurs yeux, comme le commun des mortels. Non.

Il semblait qu’ils eussent à leur disposition des sens spéciaux qui leur permettaient de percevoir ce qui échappait à leurs sens ordinaires.

Ne percevant rien d’anormal, elle se rassura.

Alors d’une voix très calme, douce et chantante, en fixant sur lui son œil grave, un sourire aux lèvres, comme on s’informe de la santé d’une personne qui vous est chère, elle dit:

– Ainsi vous avez pu échapper au poison dont l’air de votre cachot était saturé?

Elle disait cela simplement, comme si ce n’était pas elle qui eût, selon son expression, saturé l’air de son cachot d’un poison qu’elle avait tout lieu d’espérer mortel, comme si elle n’eût pas été, elle, l’empoisonneuse, lui la victime.

Et lui, souriant aussi, soutint son regard sans provocation, sans arrogance, mais avec fermeté et assurance.

Il dit, en prenant cet air d’étonnement ingénu qui rendait sa physionomie indéchiffrable:

– Ne vous avais-je pas prévenue?

Elle dit, en hochant doucement la tête, avec un air rêveur:

– C’est vrai. Vous aviez bien vu?

Ainsi, dans son idée, Pardaillan avait vu qu’il échapperait à la mort qu’elle lui préparait. Visionnaire comme elle l’était, sincèrement persuadée qu’elle n’était pas d’une essence commune au troupeau des ordinaires humains, elle était convaincue que lui aussi, comme elle, était un être exceptionnel et que ce qui eût paru surnaturel chez tout autre devenait normal chez eux.

Un long moment elle le considéra en silence et elle reprit:

– Ce poison n’était qu’un narcotique. À vrai dire, j’en avais le soupçon. Ce qui m’étonne, c’est que vous ayez pu sortir de ce cachot où vous étiez emmuré comme dans une tombe. Comment avez-vous fait?

– Cela vous intéresse-t-il vraiment?

– Rien de ce qui vous touche ne me laisse indifférente, croyez-le bien.

Elle disait cela gravement, et elle était sincère. Son œil noir, rivé sur le sien, n’exprimait ni colère, ni dépit. Il était doux et presque caressant.

On eût dit qu’elle se réjouissait de le voir sain et sauf. Et peut-être, dans le désarroi où se débattait sa pensée, se réjouissait-elle en effet.

Il répondit, en s’inclinant gracieusement:

– Vous me comblez, vraiment! Prenez garde! vous allez me rendre outrecuidant et fat. Vous me voyez tout confus de l’intérêt que vous voulez bien me porter. J’aurai cependant assez de raison pour ne pas vous ennuyer avec des détails qui n’ont rien de bien intéressant, je vous assure.

Il n’y avait nulle raillerie dans sa voix, et il la contemplait encore d’un œil vaguement étonné.

Il avait beau la connaître à fond, elle le déroutait toujours.

Elle paraissait si sincèrement intéressée qu’il en arrivait à oublier que c’était sa mort, à lui, Pardaillan, qu’il était question.

Il en arrivait à oublier que c’était elle qui, toujours, en toutes circonstances, avait de longue main prémédité cette mort, et que ce n’était pas sa faute, certes, s’il était encore vivant.

Au surplus, ils étaient aussi sincères l’un que l’autre.

Ils en arrivaient à se persuader presque qu’ils ne parlaient pas d’eux-mêmes, mais de quelque autre auquel tous deux ils s’intéressaient.

Et ils se disaient ces choses terribles, effroyables, avec un air souriant et paisible, avec des gestes doux et mesurés, avec des poses et des attitudes telles qu’on eût dit deux amoureux heureux de coqueter librement, loin de tout importun.

Elle répondit:

– Ce qui vous paraît très simple et dénué d’intérêt paraît prodigieux à d’autres. Tout le monde ne peut pas avoir votre rare mérite, ni votre modestie plus rare encore.

– De grâce, madame, ménagez cette modestie! Vous tenez donc à savoir?

Elle fit: oui! doucement de la tête.

– Soit. Vous savez qu’une partie du plafond de ce cachot s’abaisse au moyen d’un mécanisme.

– Je sais.

– Vous ignorez sans doute que dans le cachot même un ressort caché permet de faire descendre ce plafond qui remonte ensuite automatiquement?

– Je l’ignorais, en effet.

– Eh bien, c’est par là que je suis sorti. Ma bonne fortune m’a fait trouver ce ressort sur lequel j’ai appuyé de façon tout à fait fortuite. Le plafond est descendu, à mon grand ébahissement. Cela constituait un petit plateau sur lequel je me suis placé. Le plafond, en remontant, l’a ramené dans la chambre d’où j’avais été précipité. Vous voyez que c’est très simple.

– Très simple, en effet.

– Vous désirez peut-être savoir où est dissimulé le ressort qui m’a permis de m’évader?

– Si vous n’y voyez pas d’inconvénient…

– Aucun. Je comprends l’intérêt qui vous guide. Sachez donc que ce ressort est placé tout en haut de la dernière des plaques de marbre qui tapissent le bas des murs, juste en face de cette porte de fer dont la clé a été jetée dans le Guadalquivir. Vous verrez, cette plaque est fendue. Il y a là un petit morceau qui a l’air d’avoir été cimenté après coup. En appuyant sur ce petit morceau de marbre, le mécanisme fonctionne. Vous pouvez maintenant le faire briser, ce mécanisme, en sorte que si, par hasard, il m’arrivait de nouveau de m’égarer dans ce cachot, je serais cette fois dans l’impossibilité d’en sortir.

– Ainsi ferai-je.

Pardaillan approuva en souriant.

– Je comprends comment vous êtes sorti. Mais comment avez-vous eu l’idée de descendre dans les sous-sols?

– Toujours par hasard, dit-il de son air le plus naïf. J’ai trouvé toutes les portes ouvertes. Je ne connaissais pas la maison. Sans savoir comment, je me suis retrouvé dans les caves. Je suis assez observateur, vous le savez.

– Vous êtes un profond observateur, je le sais.

il s’inclina en signe de remerciement et continua:

– J’ai pensé qu’une maison que vous aviez choisie devait posséder plus d’une issue secrète semblable à celle par où j’étais sorti. J’ai cherché. Et toujours favorisé par le hasard, j’ai été amené dans un couloir où mon attention a été sollicitée par quelques lumières qui transparaissaient à travers le mur. Est-il nécessaire de vous en dire plus long?

– C’est inutile. Je comprends maintenant.

– Ce que je ne comprends pas, moi, c’est qu’une femme telle que vous ait pu commettre cette faute impardonnable de laisser sa maison déserte, toutes portes ouvertes.

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