– Ah! enfin!… Voici donc M. de Pardaillan!
– Pardaillan! gronda Ponte-Maggiore…
– Monsieur de Pardaillan, continuait Henri IV, je suis bien heur de vous voir. Et la célérité avec laquelle vous avez répondu à mon invitation me fait présager que, cette fois, vous serez des nôtres.
– Votre Majesté sait bien que je lui suis tout acquis.
Henri IV posa un moment son œil rusé sur la physionomie souriante du chevalier et dit:
– À cheval, messieurs, nous rentrons au village de Montmartre. Monsieur de Pardaillan, veuillez vous placer près de moi.
Au moment de partir:
– Monsieur, dit Pardaillan à Ponte-Maggiore, s’il vous plaît de me dire votre nom, j’aurai l’honneur, en arrivant à Montmartre, de vous présenter à Sa Majesté, selon ma promesse…
– Vous voudrez donc bien présenter Hercule Sfondrato, duc de Ponte-Maggiore et Marciano, ambassadeur de S. S. Sixte Quint auprès de S. M. le roi Henri et auprès de M. le chevalier de Pardaillan!
Un léger tressaillement agita Pardaillan. Mais son naturel insoucieux et narquois reprenant le dessus:
– Peste! je ne m’attendais pas à un tel honneur!
Lorsque le roi s’éloigna, à la tête de son escorte, une immense acclamation partit du haut des remparts.
– Au revoir, mes amis, au revoir! cria Henri IV.
Et, se tournant vers Pardaillan qui chevauchait à son côté, avec un soupir:
– Quel dommage que de si braves gens s’entêtent à ne pas m’ouvrir leurs portes!
– Eh! Sire, dit le chevalier en haussant les épaules, ces portes tomberont d’elles mêmes quand vous le voudrez.
– Comment cela, monsieur?
– J’ai déjà eu l’honneur de le dire à Votre Majesté: Paris vaut bien une messe!
– Nous verrons… plus tard, dit Henri IV avec un fin sourire.
– Il faudra toujours bien en venir là, murmura le chevalier.
Cette fois Henri IV ne répondit pas.
Bientôt l’escorte s’arrêtait devant l’abbaye où le roi pénétra, suivi de Pardaillan, de Ponte-Maggiore et de quelques gentilshommes.
Le roi avant mis à terre, Pardaillan qui, sans doute, l’avait avisé de la venue d’un envoyé du pape, présenta le duc:
– Sire, j’ai l’honneur de présenter à Votre Majesté le seigneur Hercule Sfondrato, duc de Ponte-Maggiore et Marciano, ambassadeur de S. S. Sixte Quint auprès de S. M. le roi Henri et auprès de M. le chevalier de Pardaillan.
– Monsieur, dit le roi, veuillez nous suivre. Monsieur de Pardaillan, quand vous aurez reçu la communication que M. le duc est chargé de vous faire, n’oubliez pas que nous vous attendons.
Et, tandis que le chevalier s’inclinait, Henri IV se tourna vers des hommes occupés à transporter des sacs. Le heurt d’un de ces sacs avait produit un son argentin et ce bruit avait fait dresser l’oreille au Béarnais, toujours à court d’argent. Avisant un personnage qui surveillait le transport des précieux colis, le roi lui cria gaiement:
– Hé! Sancy, avez-vous enfin trouvé un acquéreur pour votre merveilleux diamant [5] et nous apportez-vous quelque argent pour garnir nos coffres vides?
– Sire, j’ai en effet trouvé, non pas un acquéreur, mais un prêteur qui, sur la garantie de ce diamant, a consenti à m’avancer quelques milliers de pistoles que j’apporte à mon roi.
– Merci, mon brave Sancy.
Et, avec une pointe d’émotion:
– Je ne sais quand, ni si jamais je pourrai vous les rendre, mais, ventre-saint-gris! argent n’est pas pâture pour des gentilshommes comme vous et moi [6] !
Et, à Ponte-Maggiore stupéfait:
– Venez, monsieur.
Quand il fut dans la salle qui lui servait de cabinet et où travaillaient encore ses deux secrétaires: Rusé de Beaulieu et Forget de Fresnes:
– Parlez, monsieur.
– Sire, dit Ponte-Maggiore en s’inclinant, je suis chargé par Sa Sainteté de remettre à Votre Majesté cette copie d’un document qui l’intéresse au plus haut point.
Henri IV lut avec la plus extrême attention la copie de la proclamation d’Henri III que l’on connaît. Quand il eût terminé, impassible:
– Et l’original, monsieur?
– Je suis chargé de dire à Votre Majesté que l’original se trouve entre les mains de Mme la princesse Fausta, laquelle, accompagnée de S. E. le cardinal Montalte, doit être, à l’heure présente, en route vers l’Espagne pour le remettre aux mains de Sa Majesté Catholique.
– Ensuite, monsieur?
– C’est tout, Sire. Le souverain pontife a cru devoir donner à Votre Majesté ce témoignage de son amitié en l’avertissant. Quant au reste, le Saint-Père connaît trop bien la vaste intelligence de Votre Majesté pour n’être pas assuré que vous saurez prendre telles mesures que vous jugerez utiles.
Henri IV inclina la tête en signe d’adhésion. Puis, après un léger silence, en fixant Ponte-Maggiore:
– Le cardinal Montalte n’est-il pas parent de Sa Sainteté?
Le duc s’inclina.
– Alors?
– Le cardinal Montalte est en état de rébellion ouverte contre le Saint Père! dit rudement Ponte-Maggiore.
– Bien!…
Et s’adressant à un des deux secrétaires:
– Rusé, conduisez M. le duc auprès de M. le chevalier de Pardaillan, et faites en sorte qu’ils se puissent entretenir librement. Puis, quand ils auront terminé, vous m’amènerez M. de Pardaillan.
Et, avec un gracieux sourire:
– Allez, monsieur l’ambassadeur, et n’oubliez pas qu’il me sera agréable de vous revoir avant votre départ.
Quelques instants après, Ponte-Maggiore se trouvait en tête-à-tête avec le chevalier de Pardaillan, assez intrigué au fond, mais dissimulant sa curiosité sous un masque d’ironie et d’insouciance.
– Monsieur, dit le chevalier d’un ton très naturel, vous plairait-il de me dire ce qui me vaut l’insigne honneur que veut bien me faire le Saint-Père en m’adressant, à moi, pauvre gentilhomme sans feu ni lieu, un personnage illustre tel que M. le duc de Ponte-Maggiore et Marciano?
– Monsieur, Sa Sainteté m’a chargé de vous faire savoir que la princesse Fausta est vivante… vivante et libre.
Le chevalier eut un imperceptible tressaillement et, tout aussitôt:
– Tiens! tiens! Mme Fausta est vivante!… Eh bien, mais… en quoi cette nouvelle peut-elle m’intéresser?
– Vous dites, monsieur? dit Ponte-Maggiore abasourdi.
– Je dis: qu’est-ce que cela peut me faire à moi, que Mme Fausta soit vivante? répéta le chevalier d’un air si ingénument étonné que Ponte-Maggiore murmura:
– Oh! mais… il ne l’aime donc pas?… Mais alors ceci change bien les choses!
Pardaillan reprit:
– Où se trouve la princesse Fausta, en ce moment?
– La princesse est en route pour l’Espagne.
– L’Espagne! songea Pardaillan, le pays de l’Inquisition!… Le génie ténébreux de Fausta devait fatalement se tourner vers cette sombre institution de despotisme… oui, c’était fatal!
– La princesse porte à Sa Majesté Catholique un document qui doit assurer le trône de France à Philippe d’Espagne.
– Le trône de France?… Peste! monsieur. Et qu’est-ce donc, je vous prie, que ce document qui livre ainsi tout un pays?
– Une déclaration du feu roi Henri troisième, reconnaissant Philippe II pour unique héritier.
Un instant, Pardaillan resta plongé dans une profonde méditation, puis relevant sa tête fine et narquoise:
– Est-ce tout ce que vous aviez à me dire de la part de Sa Sainteté?
– C’est tout, monsieur.
– En ce cas, veuillez m’excuser, monsieur, mais S. M. le roi Henri m’attend, comme vous savez… Veuillez donc transmettre à Sa Sainteté l’expression de ma reconnaissance pour le précieux avis qu’elle a bien voulu me faire passer et agréer pour vous-même les remerciements de votre très humble serviteur.
* * * * *
Henri IV avait accueilli la communication de Ponte-Maggiore avec une impassibilité toute royale, mais en réalité, le coup était terrible et à l’instant il avait entrevu les conséquences funestes qu’il pouvait avoir pour lui.
Il avait aussitôt convoqué en conseil secret ceux de ses fidèles qu’il avait sous la main, et lorsque le chevalier fut introduit, il trouva auprès du roi, Rosny, du Bartas, Sancy et Agrippa d’Aubigné, accourus en hâte.