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«Castagnette!.. arrête, Castagnette!.. c’est moi, Daumesnil… Où es-tu?

— Par ici, mon général. Vous arrivez à temps.

— Qu’est-ce que tu fais là?

— Je prends un bain de poudre pour ma santé. Quand vous êtes venu, j’allais le réchauffer en y laissant tomber ma pipe.

— Pas de bêtise!.. Tiens-la bien, au contraire. Lève-toi avec précaution et suis-moi.

— Je suis bien fâché de vous désobéir, mon général, mais cela m’est impossible, vu que j’ai les deux jambes cassées.»

Daumesnil, préoccupé, oublia un instant que Castagnette avait deux jambes de bois.

«Ils t’ont cassé les jambes, les brigands?.. Nous les leur ferons payer cher. Je vais t’envoyer un chirurgien.

— Si cela vous est égal, mon commandant, j’aimerais autant un menuisier. Un coup de rabot et quelques clous sur mes blessures me feraient le plus grand bien.»

Daumesnil rit de sa méprise, et, dix minutes plus tard, Castagnette, porté en triomphe, traversait les cours de la forteresse, salué par les vivats de la petite garnison.

XIV

DÉPART POUR L’ILE D’ELBE

RETOUR DE L’ILE D’ELBE

WATERLOO

20 avril 1811

1 mars 1815

18 juin 1815

Vous lirez dans des livres sérieux, mes chers enfants, cette campagne de France plus glorieuse pour les vaincus que pour les vainqueurs; vous serez émus, comme nous l’avons tous été au récit de ces désastres, et vous ne pourrez pas vous empêcher d’admirer Napoléon au moment de sa chute.

Castagnette voulut suivre son empereur à l’île d’Elbe; mais Daumesnil lui fit comprendre qu’il serait un embarras et non un aide; qu’il ne fallait à Napoléon que des gens valides et prêts à tout. Castagnette se résigna, et resta enfermé chez lui jusqu’au jour où il apprit que Napoléon avait débarqué, le 1er mars, au golfe Juan.

«Je savais bien que cela ne pouvait pas finir comme ça, s’écria notre ami, des larmes de joie dans les yeux. Allons, mon vieil uniforme, tu vas revoir le grand jour. Il y a longtemps que tu n’étais sorti.»

Le 6, Napoléon quittait Gap pour Grenoble, dont la population électrisée lui apportait les portes à défaut des clefs; le 9, il occupait Bourgoin; le 10, il entrait à Lyon à la tête de l’armée envoyée pour le combattre; le 20, à neuf heures du soir, l’exilé rentrait empereur à Paris, porté en triomphe par la multitude.

En quelques mois, Napoléon reforme une armée et tombe à l’improviste sur les forces alliées qui se concentraient en Belgique.

En apprenant le départ de l’Empereur, le vieil instinct guerrier de Castagnette se réveilla. Il y avait là un assortiment d’Anglais, de Prusiens, de Hollandais, de Saxons, à faire venir l’eau à la bouche; impossible de résister à une pareille tentation. Mais comment se rendre utile, mutilé comme l'était notre capitaine? Une promenade qu’il fit au Jardin des Plantes lui en fournit les moyens.

Depuis une heure il regardait les animaux, enviant la trompe de l’éléphant, à défaut de bras; les échasses de l’autruche ou les ailes de l’aigle, à défaut de jambes. Il s’arrêta devant un rhinocéros qui venait d’arriver d’Afrique et qui partageait alors avec la girafe toutes les faveurs du public.

«Voyez-vous, madame Potin, disait un honnête bourgeois à sa voisine, ces animaux-là ont toute leur force dans le nez: comme le bœuf dans le cou et le cheval dans les reins. C’est une fort méchante bête; aussi l'-t-on appelé le rhinoferoce. Gomme il n’a à sa disposition ni bras ni jambes pour combattre, la nature, cette mère toujours prévoyante, lui a mis ce petit instrument sur le bout du nez, et il s’en sert pour frapper ses ennemis sous le ventre.»

Cette démonstration fut pour Castagnette un trait de lumière.

«Je n’ai, comme le rhinocéros, ni bras ni jambes pour attaquer mes ennemis, qui sont ceux de la France; ce qui me manque, je vais me le procurer; et en avant le rhinocéros de la grande armée!..»

Castagnette passa chez un armurier et lui dit: «Faites-moi un joli petit casque bien léger, prenant exactement la forme de la tête; matelassez-le bien à l’intérieur; ajustez-у des gourmettes et surmontez-le, comme d’un paratonnerre, d’une forte lame quadrangulaire bien aiguë, de sept pouces de long.»

Lorsqu’il fut ainsi équipé, Castagnette alla trouver son ancienne connaissance de Kowno, le maréchal Ney, et lui demanda la permission de le suivre en amateur. Le brave capitaine fut bien accueilli, et le 15 juin il arrivait aux Quatre-Bras, cinq lieues en avant de Charleroi.

«Il faut avouer que le sort a parfois de drôles de fantaisies, se disait Castagnette en partant: si je meurs dans la prochaine affaire, on mettra sur mon tombeau:

CIGÎT LE CAPITAINE CASTAGNETTE, CUL-DE-JATTE, MORT AUX QUATRE-BRAS.»

A Ligny, notre ami, pour se mettre en train, éventra, à la façon du rhinocéros, six Anglais, trois Prussiens et deux Saxons. Il n’avait jamais été’si joyeux.

Quelques jours après eut lieu la désastreuse bataille de Waterloo. Jamais l’enthousiasme des troupes ne promit un plus beau succès, et si la trahison et la fatalité n’étaient pas venues prêter leur aide à nos ennemis, c’en était fait de Blücher et de Wellington. C’est à ce dernier surtout que Castagnette en voulait, et peu s’en fallut que notre capitaine ne changeât la face des choses. A l’attaque de la ferme de la Haie-Sainte, profitant de la mêlée, il se glissa sous le cheval du général anglais, et lui enfonça la lame de son casque dans le ventre. L’animal fit un bond qui désarçonna Wellington. C’en était fait de notre plus mortel ennemi, sans le général Pirch, qui le dégagea. Castagnette s’élance sur ce dernier et l’étend mort à côté du cheval du héros qui prit la place si longtemps occupée par Marlborough dans le Panthéon de l’Angleterre.

Quelques heures plus tard, grâce à l’inaction du maréchal Grouchy, tout tourne contre nous. Blücher, à la tête de trente mille Prussiens, avait fait sa jonction avec Wellington; le plus grand désordre se met dans les rangs français, le cri fatal de: «Sauve qui peut!» est poussé par quelques traîtres, la déroute commence. Les huit bataillons de la garde, que soutenaient Cambronne et le maréchal Ney, sont entraînés à leur tour par la masse des fuyards. En vain Napoléon se jette au milieu d’eux, l’obscurité empêche de le voir, le tumulte couvre sa voix. Alors le prince Jérôme s’écrie: «Ici doit mourir tout ce qui porte le nom de Bonaparte!» L’Empereur le comprend, il met l’épée à la main et cherche la mort, que ses généraux écartent malgré lui. Cependant un soldat anglais blessé, le voyant passer, se relève à moitié, saisit un pistolet et l’ajuste; le coup part, mais ce n’est pas Napoléon qui le reçoit; Castagnette avait eu le temps de couvrir l’Empereur de son corps. Il reçut la balle en pleine poitrine, elle se logea dans son estomac de cuir, d’où notre ami la fit retirer, et l’offrant à Napoléon en riant:

«Elle vous était destinée, sire, acceptez-la.

— Volontiers, reprit l’Empereur, et je ne pense pas la payer trop cher en te donnant ceci en échange.»

Et il tendit à notre ami la croix qui brillait sur sa poitrine. Gastagnette couvrit de baisers la main de Napoléon. Le casque étrange du capitaine frappa seulement alors l’attention de l’Empereur.

«A quel régiment appartiens-tu donc?

— Ne cherchez pas, sire, c’est moi qui suis tout le régiment. Appelez-le, si vous voulez, les culs-de-jatte de la garde: il n’a jamais tourné les talons, celui-là.»

L’Empereur reconnut alors son ancien ami d’Égypte et du Directoire, et lui attacha sa croix sur la poitrine.

«Ce n’est plus votre Castagnette d’autrefois, sire; on vous l’a tout dépareillé; il n’y a que le cœur qui est toujours resté le même, tout à vous.

— Si des jours meilleurs peuvent jamais recommencer pour moi, à revoir, mon pauvre Castagnette; adieu! si le ciel m’entend, si la mort ne se joint pas à ceux qui me trahissent aujourd’hui et me frappe sur ce champ de bataille.»

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