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«Docteur, vous qui m’avez si bien remis à neuf, est-ce que vous ne pourriez pas un peu rafistoler mon oncle?

— Qu’est-ce qu’il a, ton oncle?

— Six coups de sabre sur la figure, un œil crevé et les cheveux gris.

— Eh bien?

— Il voudrait n’avoir que vingt-cinq ans, les cheveux blonds, les lèvres roses et de petites moustaches en croc, histoire d’épouser une jeunesse qui le trouve trop laid pour le quart d’heure.

— Ce que tu me demandes est difficile, mais j’ai fait plus fort que cela. Seulement je ne sais vraiment pas pour qui tu me prends, en m’offrant de raccommoder ton oncle. Est-ce que tu crois que je travaille dans le vieux comme un savetier? Je ne fais que du neuf, entends-tu bien? Dis à ton oncle que je puis lui changer la tête; quant à la remettre à neuf, ce n’est pas mon affaire.

— Ce sera-t-il très cher?

— Cela dépend. Dis-lui qu’en argent cela reviendra bien à six mille francs; c’est coûteux et c’est lourd. Je lui conseillerais plutôt le buis: pour cinq cents francs on peut avoir une tête très présentable, avec les cheveux en soie, les yeux en émail et les dents en hippopotame.

— Les cheveux seront blonds?

— S’il y tient.

— Il y aura de petites moustaches?

— En croc.

— Il aura l’air d’avoir vingt-cinq ans?

— Quatorze, s’il préfère; c’est le même prix.

— Eh bien, préparez-lui une tête pour jeudi prochain. Je vous l’amènerai. Soignez cela comme pour moi.

— N’aie donc pas peur!»

Castagnette tout joyeux alla, en sortant de chez Desgenettes, trouver un orfèvre, qui lui acheta son œil droit cinq cents francs, et qui lui fournit un faux saphir pour le remplacer; puis il alla trouver son oncle:

«Vous pouvez engraisser, mon oncle: vous épouserez votre particulière.

— Comment cela?

— Dans huit jours vous aurez vingt-cinq ans!

— Tu veux dire cinquante-cinq.

— Je veux dire ce que je dis; et, de plus, vous aurez les cheveux blonds.

— Blonds!

— Avec de petites moustaches en croc et les lèvres roses. Seulement il faut vous laisser couper la tête.

— Oh! oh! cela mérite réflexion.

— Votre tête est commandée, et à jeudi la pose.»

En effet, le jeudi suivant, l’oncle et le neveu se rendirent chez Desgenettes à l’hieure indiquée. La tête était sur la cheminée, souriante et couverte d’une forêt de cheveux blonds à faire envie à une Suédoise. Barnabé, qui hésitait un peu en se rendant chez le chirurgien, n’y tint plus à la vue d’un pareil chef-d’œuvre.

«Quoi! cette tête pourrait être la mienne?

— A tout jamais.

— Vite, docteur, faites-moi l’extraction de cette horreur que j’ai sur les épaules; il me tarde de n’avoir que vingt-cinq ans.»

N’espérez pas, mes enfants, que je vous fasse la description de l’opération chirurgicale que Barnabé eut à subir; elle fut d’ailleurs si vite terminée, que le patient s’en aperçut à peine: le temps de scier le crâne, d’en enlever le sommet comme un couvercle d’un vol-auvent, d’en prendre la cervelle avec une cuiller et de la reporter dans la tête nouvelle, de couper le cou, de remplacer la tête par celle de buis, de coudre le tout, de mettre un clou d’argent par-ci, un clou d’argent par-là; ce fut moins long à faire qu’à raconter.

Quand Barnabé se regarda dans la glace, il jeta un cri d’admiration.

«Pas d’imprudence! lui dit le docteur: portez un cache-nez pendant huit jours, ou, sans cela, vous auriez d’affreux maux de gorge et des rages de dents.»

Un mois après, Barnabé épousait celle qu’il aimait, et Castagnette, enrubanné comme un mât de cocagne, disait à sa nouvelle tante:

«N’allez pas lui faire perdre la tête de nouveau! on ne réussit pas toujours des opérations comme celle-là.»

X

ESSLING ET WAGRAM

22 mai et 6 juillet 1809

A Essiing, le second jour, au lever du soleil, l’archiduc Charles dirige les efforts désespérés des masses autrichiennes. Les Français résistent à ces forces, infiniment supérieures en nombre, avec autant de fermeté et d’intrépidité que la veille. Napoléon prend l’offensive et enfonce le centre de la ligne ennemie. Le généralissime autrichien saisit le drapeau du régiment de Zach, et s’élance dans la mêlée pour ramener ses troupes au combat. Castagnette le voit, il se jette sur lui comme un lion, et finit, après avoir lutté seul contre dix, par enlever le drapeau. Que croyez-vous qu’il en fit, mes enfants? Vous auriez, à sa place, crié victoire, et vous l’auriez porté à l’Empereur, fier de renouer ainsi connaissance sur le champ de bataille avec un ancien ami devenu le maître du monde. Notre capitaine, lui, n’agit pas ainsi.

Son oncle (la fameuse tête de bois) combattait à ses côtés. Le pauvre homme n’avait pas eu de chance; malgré son courage, il n’était encore que sergent. Castagnette lui donna son drapeau et lui dit:

«Tenez, mon oncle, vous êtes marié, père de famille, vous avez besoin d’avancement; moi, je suis garçon et je n’ai pas d’ambition; prenez ce drapeau, portez-le à l’Empereur, vous reviendrez avec l’épaulette, et ça flattera joliment ma tante d’avoir un mari officier.»

N’est-ce pas une noble action? et combien d’entre vous auraient agi ainsi?

A Wagram, son cheval l’emporte au milieu des rangs ennemis; il se trouve un moment seul et désarmé au centre des masses autrichiennes. Un coup de sabre lui déchire les entrailles sans lui faire de mal; une balle s’aplatit sur sa joue droite et lui enlève une oreille.

«Ah! brigands, s’écrie Castagnette furieux, vous en voulez à mes oreilles, vous abîmez mon visage d’honneur et déchirez de superbes boyaux de cuir verni, présent de mon ami Desgenettes… Cela ne se passera pas comme cela.»

Il défait une de ses jambes de bois; elle devient dans sa main une arme terrible, et il rentre dans les rangs avec trois prisonniers.

XI

RETRAITE DE MOSCOU

PASSAGE DE LA BÉRÉSINA

KOWNO

21 octobre 1812;

29 novembre 1812

La fatale année 1812 arrivée, nous retrouvons notre héros sur les bords de la Bérésina.

Comme il ne lui restait qu’un bras, la poitrine et la cervelle, il avait fait le commencement de la campagne sans trop souffrir du froid.

Tandis que ses camarades avaient les pieds gelés, il bénissait ses jambes de bois; tandis que des milliers de martyrs mouraient de faim ou de maladie, il bénissait son estomac de cuir. Mais il lui arriva un grand malheur: son cheval fut emporté au gué de Stoudziancka, et il dut continuer sa route à pied.

Alors les forces lui manquèrent; il suivit quelque temps l’armée, mais il se trouva bientôt avec les traînards. Une dizaine de mutilés formèrent une triste arrière-garde: l’avant-garde de la mort.

Ils essayèrent quelque temps de suivre les traces de leurs compagnons plus heureux, mais sans succès; ils tombèrent un à un sur la neige qui allait les recouvrir, et ceux qui continuaient leur route, les voyant de loin devenir la proie des loups, frissonnaient en pensant que c’était là le sort qui les attendait.

Castagnette se trouva seul à son tour dans ce désert glacé, sans force pour suivre son chemin, sans espoir d’être secouru, ne demandant plus à Dieu qu’une mort rapide. Il tomba dans la neige, et bientôt les corbeaux, ces cosaques de l’air, vinrent voleter autour de lui. Il fit tous ses efforts pour se relever; mais le froid l’envahit tout entier et il eut bientôt perdu toute sensibilité.

Des oiseaux de proie vinrent en tournoyant se poser sur lui, comptant faire un bon repas. Quel ne fut pas leur désappointement en trouvant un visage d’argent, des jambes de bois et un estomac de cuir!

Une bande de cosaques, voyant de loin cette nuée de corbeaux s’abattre sur le sol, devina la présence d’un corps à dépouiller.

Ils arrivèrent au galop et entourèrent notre pauvre capitaine, après avoir chassé leurs rivaux ailés à coups de lance.

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