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— Je ne sais pas, je ne sais pas du tout.

Il y a dans sa voix une note de désespoir qui fait peine à entendre, mais je n’ai pas de réconfort à lui offrir. Sa respiration est trop rapide à l’autre bout du fil ; il a le souffle court, comme s’il avait peur. J’ai envie de lui demander s’il a quelqu’un pour lui tenir compagnie, mais je ne peux pas : ça serait mal compris, comme si je lui faisais des avances.

— J’ai croisé votre ex, aujourd’hui, reprend-il.

Les poils de mes bras se dressent.

— Ah ?

— Oui, je suis sorti prendre le journal et je l’ai vu dans la rue. Il m’a demandé comment j’allais, et si j’avais des nouvelles.

— Ah, dis-je encore.

C’est tout ce que je parviens à prononcer, les mots ne se forment pas dans ma bouche. Je ne veux pas qu’il discute avec Tom. Tom sait que je ne connais pas Megan Hipwell. Tom sait que j’étais à Blenheim Road le soir de sa disparition.

— Je n’ai pas parlé de vous. Je ne… vous voyez. Je ne sais pas si j’aurais dû lui dire qu’on s’était rencontrés.

— Non, je ne pense pas, enfin, je ne sais pas. Ce serait peut-être bizarre.

— D’accord.

Après ça, un long silence s’installe. J’attends que mon cœur se calme. Au moment où je crois qu’il va raccrocher, il me demande :

— Elle ne parlait jamais de moi, alors ?

— Bien sûr… bien sûr que si. Enfin, on ne bavardait pas si souvent que cela, mais…

— Mais vous êtes venue à la maison. Megan n’invite presque jamais ses amis à passer. Elle est très réservée, elle ne partage pas son espace personnel avec beaucoup de gens.

Je cherche une bonne raison. Je regrette de lui avoir dit que j’étais venue.

— J’étais juste passée lui emprunter un livre.

— Ah bon ?

Il ne me croit pas. Elle ne lit pas. Je repense à leur maison, et il n’y avait pas de livres sur les étagères.

— Quel genre de choses elle disait ? À mon sujet ?

— Euh, elle était très heureuse. Avec vous, je veux dire. Dans votre couple.

Tout en parlant, je me rends compte que c’est un peu bizarre, comme phrase, mais je ne peux pas être plus précise, alors j’essaie de me rattraper :

— Pour être honnête, les choses n’allaient vraiment pas bien entre mon mari et moi, à cette époque, alors c’était surtout histoire de comparer nos relations. Elle s’illuminait dès qu’elle parlait de vous.

Quel cliché ridicule.

— Ah oui ?

Il ne semble pas l’avoir remarqué, et il y a maintenant une touche de nostalgie dans son ton.

— Ça fait plaisir à entendre.

Il se tait, et j’entends sa respiration saccadée à l’autre bout de la ligne.

— On a… on a eu une dispute terrible, dit-il alors. Le soir où elle est partie. Je ne supporte pas de penser qu’elle ait pu m’en vouloir quand…

Sa voix s’éteint.

— Je suis sûre qu’elle ne vous en a pas voulu longtemps. Dans un couple, on se dispute, c’est comme ça. On se dispute tout le temps.

— Mais c’était une grosse dispute, affreuse, et je ne peux pas… J’ai l’impression que je ne peux pas en parler à qui que ce soit parce que, sinon, on va me regarder comme si j’étais coupable.

Sa voix a changé : désormais, elle paraît hantée, lourde de culpabilité.

— Je ne me souviens pas de comment ça a commencé, continue-t-il.

Sur le coup, je ne le crois pas, puis je repense à toutes les disputes que j’ai oubliées et je me mords la langue.

— Le ton est monté. J’ai été très… j’ai été cruel avec elle. Un connard. Un vrai connard. Elle était très affectée, alors elle est montée mettre des affaires dans un sac. Je ne sais pas quoi exactement mais, plus tard, j’ai remarqué que sa brosse à dents avait disparu, c’est comme ça que j’ai su qu’elle ne comptait pas rentrer. J’ai cru… je me suis dit qu’elle avait dû partir passer la nuit chez Tara. Elle l’avait déjà fait une fois. Juste une. Ce n’est pas comme si ça arrivait tout le temps.

« Je ne lui ai même pas couru après.

Une nouvelle fois, je suis frappée par cette impression qu’il ne me parle pas vraiment, non, il se confesse. Il est assis d’un côté du confessionnal et, moi, je suis de l’autre côté, sans visage, invisible.

— Je l’ai laissée partir.

— Et c’était samedi soir ?

— Oui. C’est la dernière fois que je l’ai vue.

Un témoin l’a vue (ou a vu « une femme correspondant à sa description ») se diriger vers la gare de Witney vers dix-neuf heures trente, c’est ce que j’ai lu dans les articles des journaux. C’est la dernière personne à l’avoir vue. Personne ne se souvient de l’avoir vue sur le quai ou dans le train. Il n’y a pas de caméra de surveillance à Witney, et les caméras à Corly ne l’ont pas non plus sur leurs bandes, mais, d’après les articles, cela ne prouve rien parce qu’il y a « d’importants angles morts » dans cette gare.

— Et quelle heure était-il quand vous avez essayé de la contacter ? je demande.

Un autre long silence.

— Je… je suis allé au pub. Le Rose, vous voyez lequel, au coin de Kingly Road ? J’avais besoin de me reprendre, de remettre de l’ordre dans mes idées. J’ai bu deux pintes, puis je suis rentré à la maison. C'était un peu avant vingt-deux heures. Je crois que j’espérais qu’entre-temps elle se serait calmée, et qu’elle serait rentrée. Mais elle n’était pas là.

— Alors il était environ vingt-deux heures quand vous avez essayé de l’appeler ?

— Non.

Sa voix est à peine plus audible qu’un murmure, à présent.

— Non, j’ai encore bu une ou deux bières à la maison, j’ai regardé un peu la télé, et puis je suis allé me coucher.

Je repense à toutes les disputes que j’ai eues avec Tom, toutes les choses affreuses que je pouvais lui dire quand j’avais trop bu, toutes les fois où je suis partie en claquant la porte et en lui hurlant que je ne voulais plus jamais le revoir. Malgré tout cela, il ne manquait jamais de m’appeler, de m’aider à me calmer, de me cajoler pour que je rentre à la maison.

— Je m’imaginais qu’elle était avec Tara, dans sa cuisine, vous savez, à lui raconter quel sale con j’étais. Alors j’ai lâché l’affaire.

Il a « lâché l’affaire ». À entendre la dureté, l’indifférence de cette phrase, ça ne me surprend pas qu’il n’en ait parlé à personne. D’ailleurs, ça me surprend qu’il m’en parle, même à moi. Ce n’est pas le Scott que j’imaginais, le Scott que je connaissais, celui qui se tenait derrière Megan sur le balcon, ses grandes mains posées sur les fines épaules de sa femme, prêt à la protéger de tout.

Je m’apprête à raccrocher, mais Scott n’a pas fini.

— Je me suis réveillé tôt. Je n’avais pas de message sur ma boîte vocale. Je n’ai pas paniqué, j’en ai juste déduit qu’elle devait être avec Tara et qu’elle m’en voulait encore. Je l’ai appelée et je suis tombé sur son répondeur, mais je n’ai toujours pas paniqué. Je me suis dit qu’elle devait probablement encore dormir, ou qu’elle m’ignorait. Je n’ai pas trouvé le numéro de Tara, mais j’avais son adresse sur une carte de visite sur le bureau de Megan. Alors j’ai pris la voiture et je suis allé là-bas.

Je me demande pourquoi il a ressenti le besoin d’aller jusque chez Tara s’il n’était pas inquiet, mais je ne veux pas l’interrompre. Je le laisse parler.

— Je suis arrivé un peu après neuf heures. Tara a mis du temps à venir m’ouvrir et, une fois là, elle a eu l’air vraiment surprise de me voir. De toute évidence, j’étais la dernière personne qu’elle s’attendait à trouver sur le pas de sa porte à cette heure-là, et c’est là que j’ai su… C’est là que j’ai su que Megan n’était pas là. Et que j’ai commencé à penser… Que j’ai commencé…

Sa voix s’étrangle dans sa gorge et j’ai honte d’avoir douté de lui.

— Elle m’a dit que la dernière fois qu’elle avait vu Megan, c’était à leur cours de Pilates de vendredi soir. Et là, j’ai commencé à paniquer.

Après avoir raccroché, je songe que, pour quelqu’un qui ne le connaîtrait pas, quelqu’un qui n’aurait pas vu la manière dont il se comportait avec elle comme j’ai pu le voir, beaucoup de ce qu’il m’a dit ne semblerait pas tout à fait vrai.

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