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Il y a aussi quelques bribes d’information sur l’enquête, mais les déclarations de la police ne vont pas bien loin : les inspecteurs ont « interrogé un certain nombre de témoins » et « étudient diverses pistes d’investigation ». Le seul commentaire intéressant est celui du capitaine Gaskill, qui confirme que deux hommes aident la police dans son enquête. Je suis presque sûre que cela signifie qu’ils sont suspects. L’un d’entre eux est forcément Scott. Est-ce que l’autre pourrait être A ? Est-ce que Rajesh est A ?

J’étais tellement absorbée par les journaux que je n’ai pas fait attention au trajet autant qu’à l’accoutumée ; j’ai l’impression que je viens à peine de m’asseoir quand je sens le train ralentir pour son arrêt habituel au feu de signalisation. J’aperçois des gens dans le jardin de Scott : deux policiers en uniforme au niveau de la porte de derrière. Ma tête se met à tourner : est-ce qu’ils ont découvert quelque chose ? est-ce qu’ils l’ont retrouvée ? est-ce qu’il y a un cadavre enterré dans le jardin ou dissimulé sous le parquet ? Je n’arrête pas de penser aux vêtements empilés au bord des rails, ce qui est idiot parce que je les avais repérés avant la disparition de Megan. Et, de toute façon, si quelqu’un lui a fait du mal, ce n’est pas Scott, impossible. Il est fou amoureux d’elle, c’est ce que tout le monde dit.

La lumière n’est pas très bonne, aujourd’hui, le temps a changé, le ciel est gris, menaçant. Je n’arrive pas à voir dans la maison, à distinguer ce qui se passe. C’est trop difficile, je ne supporte pas de rester à l’extérieur – je suis impliquée dans cette histoire, à présent, pour le meilleur et pour le pire. Il faut que je sache ce qui se passe.

Au moins, j’ai un plan. D’abord, il faut que je découvre s’il existe un moyen de m’aider à retrouver ce qui s’est passé samedi soir. À la bibliothèque, je vais faire des recherches pour savoir si l’hypnose pourrait me rendre mes souvenirs, s’il est réellement possible de recouvrer ce temps perdu. Ensuite – et je suis persuadée que c’est important, parce que je ne pense pas que la police m’ait crue quand je leur ai parlé de l’amant de Megan –, il faut que j’arrive à entrer en contact avec Scott Hipwell. Il faut que je lui dise. Il a le droit de savoir.

Soir

Le train est bondé de gens trempés par la pluie. De la vapeur s’échappe de leurs vêtements pour se condenser sur les vitres, et l’odeur des corps, des parfums et des lessives flotte au-dessus des têtes encore humides. Les nuages qui menaçaient ce matin se sont faits plus lourds et noirs au fil de la journée, jusqu’à éclater ce soir, telle une mousson, juste à l’heure de pointe, alors que les travailleurs quittaient leurs bureaux, créant des embouteillages monstres sur les routes et aux entrées des stations de métro, où des gens s’agglutinent pour ouvrir ou fermer leur parapluie.

Moi, je n’ai pas de parapluie, et je suis trempée jusqu’aux os ; j’ai l’impression qu’on m’a renversé un seau d’eau sur la tête. Mon pantalon en coton me colle aux cuisses et ma chemise bleu délavé est devenue beaucoup trop transparente. J’ai couru tout le long du chemin entre la bibliothèque et la station de métro en serrant mon sac à main contre ma poitrine pour me cacher du mieux que je pouvais. Je ne sais pas trop pourquoi, mais j’ai trouvé ça drôle – il y a quelque chose de ridicule à se retrouver piégée par la pluie – et, arrivée en haut de Gray’s Inn Road, je riais tellement fort que j’avais du mal à reprendre mon souffle. Je ne me souviens pas de la dernière fois où j’ai ri ainsi.

Je ne ris plus : dès que je me suis trouvé un siège, j’ai pris mon téléphone pour voir s’il y avait des nouvelles concernant Megan, et c’est ce que je craignais. « Un homme de trente-cinq ans a été placé en garde à vue au poste de police de Witney pour y être interrogé au sujet de la disparition de Megan Hipwell, qui n’est pas réapparue à son domicile depuis samedi soir. » C’est Scott, j’en suis sûre. Je n’ai plus qu’à espérer qu’il a lu mon e-mail avant d’être arrêté, parce qu’une garde à vue, c’est sérieux : ça veut dire qu’ils pensent que c’est lui. Même si, évidemment, reste la question de savoir de quoi on l’accuse. Peut-être qu’il n’est rien arrivé du tout, et que Megan va parfaitement bien. De temps en temps surgit dans mon esprit l’idée que Megan est en vie, en pleine forme. Qu’elle est assise sur un balcon avec vue sur la mer, les pieds sur la rambarde en fer, une boisson fraîche posée près de son coude.

Cette image d’elle ainsi me ravit et me déçoit à la fois, et je m’en veux tout de suite de ce second sentiment. Je ne lui souhaite aucun mal, même si j’étais très en colère quand je l’ai vue tromper Scott, quand elle a brisé mon illusion du couple parfait. Non, c’est que j’ai l’impression de faire partie d’un mystère, d’être connectée. Je ne suis plus juste la fille du train, qui fait ses allers et retours sans raison et sans but. Je veux que Megan revienne saine et sauve. Vraiment. Mais pas tout de suite.

J’ai envoyé un e-mail à Scott ce matin. Je n’ai pas eu de mal à trouver son adresse : j’ai cherché son nom sur Google et je suis tombée sur le site www.shipwellconsulting.co.uk, où il propose « une gamme complète de services Internet, d’expertise et de création de cloud pour les entreprises comme pour les organismes à but non lucratif ». J’ai su que c’était lui parce que l’adresse postale de sa société était celle de son domicile.

J’ai envoyé un court message à l’adresse fournie sur le site :

Cher Scott,

Je m’appelle Rachel Watson. Vous ne me connaissez pas. Je voudrais vous parler de votre femme. Je ne dispose pas d’informations sur l’endroit où elle se trouve, je ne sais pas ce qui lui est arrivé. Mais je pense être en possession d’informations qui pourraient vous être utiles.

Si vous ne souhaitez pas me parler, je le comprendrai tout à fait mais, dans le cas contraire, vous pouvez me répondre à cette adresse.

Cordialement,

Rachel Watson

De toute façon, même s’il l’avait lu, je ne sais pas s’il aurait répondu. À sa place, je ne crois pas que je l’aurais fait. Comme la police, il penserait que je suis une cinglée, ou une fille bizarre qui a entendu parler de cette affaire dans les journaux. Maintenant, je ne saurai jamais – s’il a été arrêté, il n’aura peut-être plus jamais l’occasion de voir mon message. S’il a été arrêté, les seules personnes qui pourront le lire, ce seront les inspecteurs de police, ce qui ne sera pas bon pour moi. Mais il fallait bien que j’essaie.

Et maintenant, je suis coincée, désespérée. La foule de gens dans le train m’empêche de voir de leur côté des rails – de mon côté. Mais, même s’il n’y avait personne, il pleut si fort que je n’arriverais pas à voir au-delà du grillage. Je me demande si des preuves sont effacées par la pluie, en ce moment même, si des indices cruciaux vont disparaître à jamais : des taches de sang, des traces de pas, des mégots de cigarette et leurs échantillons d’ADN. J’ai tellement envie d’un verre que je peux presque sentir le goût du vin sur ma langue. J’arrive à imaginer en détail ce que je ressentirai quand l’alcool pénétrera dans mon sang et me fera tourner la tête.

J’en ai envie et, en même temps, je n’en ai pas envie parce que, si je ne bois pas aujourd’hui, ça fera trois jours, et je n’arrive pas à me souvenir de la dernière fois où je suis restée sobre trois jours d’affilée. Un autre goût a surgi dans ma bouche, un entêtement lointain. À une époque, j’avais de la volonté, je pouvais courir dix kilomètres avant le petit déjeuner et tenir des semaines entières avec mille trois cents calories par jour. Tom disait que c’était une des choses qu’il aimait, chez moi : ma ténacité, ma force. Je me souviens d’une de nos disputes, à la toute fin, quand notre couple était au plus bas. Il s'était énervé contre moi :

— Qu’est-ce qui t’arrive, Rachel ? avait-il craché. Quand es-tu devenue aussi faible ?

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