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À l’heure dite, pourtant, tous deux pénétraient, tirés à quatre épingles, sur la terrasse aux lauriers roses éclairée par les petites lampes posées sur les tables fleuries. Le maître d’hôtel les guida vers la partie la plus éloignée et là ils reçurent le choc de leur vie : Aldo en smoking blanc caressait des lèvres la main d’une éblouissante créature dont la vue les plongea dans une profonde stupeur : coiffée à ravir avec des épingles d’or piquées dans ses cheveux noués bas sur la nuque, vêtue d’une sorte de dalmatique de soie blanche brodée d’or, Lisa, rayonnante, leur souriait en tendant vers eux ses mains aux poignets chargés de multiples anneaux d’or, récent cadeau d’Aldo qui, pour sa femme retrouvée, avait dévalisé la boutique d’un bijoutier yéménite. Des bijoux qu’elle portait lors de son enlèvement, elle n’avait pu garder que sa bague de fiançailles…

Tétanisé par la stupeur, Mac Intyre se figea :

— C’est… c’est la reine de Saba ! bredouilla-t-il.

Mais chez Adalbert la joie balayait déjà l’étonnement :

— Non. C’est Lisa ! Notre Lisa ! s’écria-t-il en se précipitant pour embrasser la jeune femme.

— Eh oui, c’est bien elle ! fit Aldo en riant. Elle nous est revenue toute seule, comme une grande, et avec un petit âne !

Le dîner fut des plus gais, des plus passionnants aussi car chacun raconta ses aventures qui, dans cette ambiance élégante, fleurie et confortable, prenaient des airs de contes fantastiques mais on oubliait déjà les peines, les angoisses et les peurs pour la joie de cet instant où l’on se retrouvait ensemble…

Dès qu’il eut remarqué la grossesse de Lisa, Adalbert réclama l’honneur d’être parrain :

— Cela vous revient de droit, dit Lisa, mais je crois qu’il nous en faudra un autre puisque nous aurons sans doute des jumeaux ! Serez-vous celui-là, lieutenant Mac Intyre ?

Le jeune homme rougit furieusement, balbutia quelques mots incompréhensibles mais il était, de toute évidence, profondément heureux à l’idée que, par ce lien, il aurait une petite part dans la vie d’une femme qui l’avait ébloui pour toujours…

L’odeur du café emplissait l’air et le ballet discret des grands Soudanais en robes blanches déroulait son rite quand un groom s’approcha de Morosini, le salua et lui tendit un message sur un plateau d’argent :

— Une lettre pour Son Excellence !

Lisa se figea, sa coupe de champagne à la main tandis que ses yeux s’agrandissaient :

— Oh non ! émit-elle presque douloureusement. Pas encore !…

Aldo prit la lettre d’une main et posa l’autre sur le poignet de sa femme :

— Je t’avais dit que plus personne ne pourrait nous séparer.

D’un geste rapide il ouvrit l’enveloppe, déplia la feuille sans en-tête et parcourut le texte des yeux :

« J’aimerais beaucoup vous revoir, disait-il. Que diriez-vous du mois de septembre à Paris ? On y vendra, je crois, quelques pièces séduisantes. Il me semble, depuis longtemps, que nous sommes faits pour nous entendre, vous et moi… » Pas de signature, sinon un petit dessin à la plume représentant une pie à longue queue.

— Eh bien ? s’impatienta Lisa la voix un peu étranglée.

Aldo lui sourit tendrement, prit sa main soudain froide, en baisa la paume puis, reprenant la lettre, la déchira en petits morceaux qu’il jeta dans le cendrier :

— Rien d’important, mon cœur !… Et surtout, rien d’intéressant.

FIN

Saint-Mandé, février 1999.

{1}amerlan.

{2}Plat d'aubergines aux oignons et à la tomate.

{3}Viande de bœuf finement tranchée saupoudrée de piment et séchée.

{4}Il résidait généralement au Pera Palace où il avait son appartement.

{5}Conseil secret composé de dix membres, qui régissait Venise, le Grand Conseil et même le Doge.

{6}Elle était fille d'Albert, duc d'Édimbourg, quatrième enfant de la reine Victoria, et de la grande-duchesse Marie de Russie.

{7}La Mingrélie était la partie occidentale de la Géorgie.

{8}Le logis des femmes dans les grandes familles russes.

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