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— Ici ? À l’hôtel ?

— Oui. Il y a ses habitudes depuis longtemps quand il vient à Istanbul…

— Je croyais qu’il logeait au palais de Dolmabahce, sur le Bosphore ?

— Officiellement, oui, et il lui arrive d’y résider mais quand il vient seulement prendre la température d’une ville qu’il aime, il a ici cet appartement qu’on lui réserve et où il se sent bien. Il y a même ses pendules préférées. Naturellement, il est toujours sévèrement gardé mais j’ai réussi, tout de même, à être reçu par lui en faisant semblant de me tromper de chambre. Je ne te cache pas qu’il s’en est fallu de peu que je devienne ton voisin de cellule à la prison mais enfin je me suis fait entendre… et tu connais la suite. Maintenant sors de là, viens manger ce que j’ai fait monter et raconte-moi ton aventure !…

— Encore un mot ! Tu lui as dit ce que nous cherchions au juste, ici ?

— Oui. Ce n’est pas un personnage à qui il faut risquer de mentir et je crois n’avoir jamais rencontré quelqu’un d’aussi froid et d’aussi distant : le pôle Nord en personne, mais il sait écouter et trier le vrai du faux. Et la seule condition qu’il a mise à son intervention était que jamais les émeraudes ne devaient reparaître ici.

— Il sait aussi pourquoi nous les cherchons ?

— Oui et il souhaite que nous réussissions. Retournées en Palestine, elles ne seront plus dangereuses car le rabbin les cachera et plus personne, en remontant leur histoire, ne risquera d’apprendre que Mehmed le Conquérant était juif puisque né de mère juive. Naturellement, ledit rabbin ne devra rien savoir de leur parcours et j’ai engagé notre parole d’en garder le secret.

— Tu as bien fait de tout lui dire. Ta franchise est la meilleure garantie de notre parole…

À son tour et tout en dégustant avec un plaisir infini une nourriture décente, Morosini retraça pour son ami, sans en rien omettre, sa nuit dans la maison de Salomé. À sa surprise, Adalbert ne réagit pas lorsqu’il en vint au moment crucial. Pas aussi énergiquement qu’il aurait pu le craindre même en picorant un loukhoum à la rose :

— Tu y as pris plaisir ?

— Oui. Même si cela doit te faire horreur, j’avoue l’avoir désirée violemment et avoir connu une intense jouissance…

— Si elle vivait encore, tu retournerais vers elle ?

— Jamais. Je lui avais dit adieu et rien au monde ne m’aurait ramené…

— Coucher avec une femme pour sauver celle que l’on aime, c’est une situation peu banale. Pour un homme, tout au moins. Pas mal de femmes l’on connue dans l’Histoire. Pourquoi me ferais-tu horreur ? À cause de Lisa ?

— Bien entendu. Je l’aime tant que je n’aurais jamais cru possible de désirer une autre femme et plus encore de la posséder… J’en éprouve une honte infinie…

— Eh bien, essaie de l’oublier et ne va surtout pas, quand tu reverras ta femme, te livrer aux joies dostoïevskiennes de la confession avec battements de coulpe et cendres sur la tête. Salomé est morte et nous sommes seuls à connaître le prix que tu as payé un renseignement. Tu m’as bien compris ?

— Je t’ai compris. Sois tranquille, je n’ai pas d’ancêtres russes !

— Parfait. Alors, ce renseignement ?

En quelques phrases Aldo fit un récit concis de ce que lui avait appris la voyante :

— Il n’y a aucune raison qu’elle se trompe. Les émeraudes doivent être chez la descendante de Vlad Drakul…

Les sourcils d’Adalbert remontèrent jusque sous la mèche folle qui lui tombait toujours sur le front :

— Vlad Drakul ? Ne me dis pas que tu vas me traîner chez la fille de Dracula ?

— Pas du tout ! Vlad l’Empaleur était un seigneur…

— Je sais de qui il s’agit mais je sais aussi qu’il a servi de modèle à l’Américain Bram Stoker pour créer son personnage. Ne me dis pas que tu n’as jamais lu le bouquin ?

— Ma foi, non. Pour moi, Dracula c’est un personnage fabriqué par le cinéma…

— Grosse erreur ! Il a été fabriqué par un écrivain à partir d’une espèce de croquemitaine de Transylvanie. Elle habite où ta descendante ?

— En… Transylvanie. Attends, je l’ai noté parce que ce n’est pas un nom facile…

Aldo alla prendre sur la table le calepin qu’on lui avait rendu avec ses autres possessions et le feuilleta. Mais il eut beau chercher et reprendre le petit livret page par page, il ne retrouva pas celle où il avait écrit sous la dictée de Salomé. Il releva sur son ami un regard soucieux :

— Il n’y est plus. La page a été arrachée…

— Ah !… Et toi, l’homme à la fabuleuse mémoire, tu ne t’en souviens pas ?

— J’ai un trou. Ça peut arriver à tout le monde… Tout ce dont je me souviens c’est que ça commençait par si et finissait en ra…

— On devrait trouver ça en consultant une carte de Roumanie. Je vais chez le portier voir si par hasard il en aurait une et en même temps je retiens nos places pour ce soir sur l’Orient-Express…

— C’est idiot ! On ne va qu’à Bucarest pour commencer…

— On nous a dit de partir par l’Orient-Express, on part par l’Orient-Express… quitte à descendre en route. Je retiens aussi pour Hilary.

— Elle repart déjà ?

— Ben… oui. Elle aussi est plus ou moins éjectée puisqu’on lui a conseillé de revenir « plus tard » ! Et puis, je ne sais pas trop pourquoi, mais elle a peur et aimerait autant rester sous ma protection, fit Adalbert la mine un peu gênée.

La nouvelle ne causait aucun plaisir à Aldo mais il devait trop à son ami pour discuter. Il se contenta de remarquer :

— Peur ? Dis-moi, elle n’aurait pas, elle aussi, quelque chose à cacher sous ses porcelaines ? Elle est assez jolie pour faire une bonne espionne et le British Muséum est une couverture idéale.

— Pas tant que ça, tu le vois bien ! D’ailleurs ce genre de femme ne connaît pas la peur, en principe. Et elle est vraiment effrayée… La pauvre petite a besoin d’aide, conclut Adalbert en bombant le torse.

Le côté terre-neuve de l’archéologue amusait toujours Morosini qui le trouvait attendrissant. Cette fois pourtant, il l’inquiétait un peu : emmener Hilary était une chose, mais réussirait-on à la convaincre de rester dans le train jusqu’à son terminus lorsqu’on le quitterait ? La page de carnet déchirée laissait deviner qu’on allait se trouver en terrain miné puisque quelqu’un devait savoir à cette heure où l’on se rendrait en quittant Istanbul. Une petite fille arrogante accrochée fermement à son gros Nounours pouvait s’y révéler singulièrement encombrante…

Remettant la question à plus tard, Aldo opta pour quelques heures de sommeil dans un bon lit. Il avait tout le temps de refaire ses valises…

CHAPITRE VII

UNE FILLE DE DRACULA

Morosini comprit que Vidal-Pellicorne avait eu raison de s’obstiner à prendre le transeuropéen quand il vit que leur départ était observé, suivi et qu’en gare d’Haydarpaça d’autres gens de police les escortaient à distance jusqu’à ce qu’ils eussent embarqué et attendirent même le départ. Il eût été, en effet, plus simple et plus court de prendre le bateau jusqu’à Varna et, de là, un nouveau train jusqu’à Bucarest mais le Ghazi avait ordonné, il fallait lui obéir et Aldo lui devait trop pour contester. On avait donc décidé d’aller jusqu’à Belgrade et d’y prendre l’autre tronçon de la ligne qui reliait la Suisse à l’Autriche, la Hongrie et la Yougoslavie pour aboutir dans la capitale roumaine. Une fois hors de la juridiction turque, on avait les mains libres, mais, bien entendu, Hilary Dawson n’était pas au courant de cet incident de parcours : pour elle on allait tous à Paris.

Cependant, à voir la manière frileuse dont elle traversa la gare d’Istanbul pendue au bras d’Adalbert en jetant autour d’elle des regards effrayés, Morosini éprouvait des doutes sur ce qui se passerait quand on quitterait le train sans elle à Belgrade. Tandis qu’elle s’installait dans son « single » alors que lui-même et Adalbert avaient opté pour une cabine double, il s’en ouvrit à son ami :

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