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— Une nuit exaltante, vous voulez dire, comtesse ? sourit l’archéologue.

— Eh bien, j’espère avoir le plaisir de vous recevoir tous deux un autre jour et dans des circonstances plus paisibles.

Souriante, détendue, infiniment gracieuse, la jeune comtesse était redevenue l’exquise créature et la parfaite hôtesse qu’elle était dans la vie quotidienne. Alberto, pour sa part, rayonnait de voir s’achever de si heureuse façon une aventure qui aurait pu briser sa vie à tout jamais. Écartant Giuseppe qu’il venait d’envoyer se coucher, il raccompagna lui-même les deux hommes jusqu’à la voiture laissée par Morosini en dehors de la propriété.

— Je n’oublierai jamais ce que je vous dois, mon ami, fit-il en serrant avec force la main de celui-ci. Le voudrais-je d’ailleurs, qu’un simple regard posé sur la chapelle le rappellerait à ma mémoire…

— Ce ne sera pas une croix trop lourde à porter que cette double présence ? Et vos servantes sauront-elles se taire ?

— Rien à craindre. Elles me sont dévouées et puis Giuseppe les tient bien en main. Elles aimeraient mieux mourir que lui faire de la peine et Giuseppe est mon plus vieux serviteur. Partez tranquilles ! Tout ira bien à présent… et je vous dois beaucoup de mercis…

On se quitta sur ces mots et de chaleureuses poignées de mains. La voiture fit demi-tour et repartit dans le paysage nocturne où la pluie faisait trêve. Pelotonné dans le siège du passager, Adalbert bâillait à se décrocher la mâchoire, exténué par la nuit qu’il venait de passer. En revenant avec Annalina, en effet, il s’était interdit le moindre petit somme craignant que la jeune femme n’en profitât pour lui fausser compagnie d’une manière ou d’une autre. À présent il s’accordait avec volupté la joie de la détente. Au bout d’un instant, un léger ronflement renseignait Aldo amusé sur le degré de profondeur de cette détente. Soudain, Adalbert, comme réveillé d’un cauchemar, sursauta et ouvrit un œil un peu hagard :

— Les émeraudes ! Est-ce qu’on les a ?

— Je me demandais quand tu allais me poser la question, fit Aldo en riant. Rassure-toi, elles sont là ajouta-t-il en posant une main sur sa poitrine. On va pouvoir aller délivrer Lisa…

— Ah ! Tant mieux.

Avec un soupir heureux, Adalbert reprit son somme…

Quand M. Pettygrew ouvrit les yeux, il se sentit un peu perdu. Il faisait toujours nuit mais on était en gare de Milan et la plupart des voyageurs avaient quitté le train. Naturellement, plus trace de ceux qu’il était chargé de surveiller ! En pensant à ce qu’allait dire son employeur principal, M. Alfred Ollard, pourvu d’un caractère irascible, il se sentit un peu froid dans le dos. Comme s’il n’avait pas eu déjà suffisamment froid à Lucerne dans les courants d’air qui tournoyaient autour de cette fichue église où s’était retranché le Français ! Aussi, en retrouvant la chaleur d’un compartiment confortable, il avait cédé à la fatigue.

N’ayant même pas remarqué que le train s’arrêtait, stoppé par la sonnette d’alarme, il se mit à arpenter la gare à la recherche de son gibier mais, naturellement, ne trouva personne et, très déprimé se rendit au buffet de la gare pour se remonter le moral avec deux ou trois cafés accompagnés de petits verres de « grappa ». Quand il se sentit suffisamment fort pour affronter son destin, il se mit en quête d’un téléphone puis, l’ayant trouvé, se ravisa. M. Ollard n’aimait pas qu’on le réveille en pleine nuit. Or on en était peut-être au matin mais le jour n’avait pas encore fait son apparition. Après tout, le téléphone n’arrangerait pas ses affaires ! Le mieux serait peut-être de prendre un train pour Lugano et d’aller rendre compte de vive voix. Il aurait au moins l’avantage de la surprise tandis que, s’il téléphonait, M. Ollard aurait tout le temps de remâcher sa rancune jusqu’à leur réunion.

Ayant ainsi retardé le moment difficile, M. Pettygrew alla consulter l’affiche des départs, prit un billet et, comme il lui restait un peu de temps, retourna au buffet pour un quatrième café-grappa… Après quoi il se sentit beaucoup mieux. M. Pettygrew était un homme qui détestait se compliquer l’existence.

Il lui fallut pourtant bien faire face à ses responsabilités quand, pénétrant par un joli soleil d’hiver dans le hall de l’ex-villa Merlina, il se trouva inopinément en face de son employeur.

— Puis-je demander d’où vous venez ? demanda M. Ollard avec une douceur qui aurait inquiété quelqu’un de plus sensible.

— De… Milan.

— Et que faisiez-vous à Milan ?

— Je suivais qui vous savez. Il avait pris à Lucerne un billet pour Milan. Alors j’ai fait pareil…

— Et vous en aviez conclu que vous pouviez dormir jusqu’au terminus ?… Seulement, il a dû descendre avant, votre gibier, parce que, tel qu’il vient de m’apparaître, il était d’une charmante humeur et se hâtait d’aller prendre le train pour Paris avec son complice. Ce qui fait qu’à présent plus personne ne les suit !

— Vous voulez dire qu’il faut que je reparte ? gémit M. Pettygrew accablé par ce nouveau coup du sort.

— Il est trop tard ! Même pour moi ! Il faut un minimum de temps pour quitter un hôtel comme celui-là et je viens seulement de les voir passer.

— On fait quoi, alors ?

— On prend le prochain train. Vous ne pensez tout de même pas que je vais vous offrir des vacances dans un palace ? D’ailleurs vous rentrez à Londres je vous ai assez vu… Maintenant allez vous laver : vous empestez un de ces horribles alcools italiens douceâtres…

— Et… les autres ? fit M. Pettygrew pas tellement fâché à l’idée d’en finir avec le chemin de fer et de retrouver son cher Pimlico.

— Je vais téléphoner pour qu’il y ait quelqu’un à l’arrivée du train… Ils avaient l’air tellement contents !… je me demande s’ils n’ont pas réussi à se procurer les émeraudes ? Et si c’est le cas…

— Vous allez les attaquer ?

— Tss Tss !… Ce ne sont pas les ordres. S’ils vont prendre le prochain Orient-Express avec correspondance sur le Taurus-Express, nous serons fixés. Cela voudra dire qu’ils les ont.

Quatre jours plus tard, en effet, ayant seulement changé le contenu de leurs valises et rassuré au passage Mme de Sommières, Aldo et Adalbert s’embarquaient pour la longue traversée de l’Europe et de l’Asie Mineure.

Quatrième partie

LA VOLEUSE

CHAPITRE XI

LA PISCINE DE SILOÉ

Quand, après un voyage exténuant, Morosini et Vidal-Pellicorne débarquèrent à Jérusalem et franchirent le seuil de l’hôtel King David, la première personne qu’ils rencontrèrent, avant même le portier, fut le lieutenant Douglas Mac Intyre, de l’état-major, qui, un stick sous le bras, arpentait le hall sur le mode agacé. Visiblement il attendait quelqu’un et ce quelqu’un ne venait pas !

L’apparition inattendue des deux voyageurs lui produisit l’effet d’un rayon de soleil perçant un ciel noir. Il s’arrêta net avec l’expression émerveillée que dut avoir saint Paul en voyant la lumière sur le chemin de Damas. Il était même si content qu’il en perdit sa raideur britannique et qu’Aldo crut qu’il allait se jeter à son cou :

— C’est vous ! s’exclama-t-il en français. Je suis si heureux ! Et notre princesse ?

Même si le pluriel employé ne l’enchantait pas, Aldo offrit un bon sourire à l’amoureux de Lisa :

— J’espère que nous la reverrons bientôt…

Sans lâcher son stick, Mac Intyre frappa vigoureusement sa paume gauche de son poing droit :

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