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— Dis-moi, quand vous êtes allés à Londres, toi et Hilary, comment s’est-elle arrangée avec le British Muséum puisque, si je me souviens bien, tu m’as dit y être allé avec elle ?

— Oui, je l’ai dit mais en fait, nous n’y sommes pas allés, avoua Adalbert en rougissant furieusement. Elle… avait hâte de me présenter à sa famille. Et ne me regarde pas comme ça. Je me suis fait avoir sur toute la ligne. Mais je ne suis pas le premier à qui ça arrive, ajouta-t-il avec amertume.

— Je le sais puisque j’ai brillamment inauguré la série et je t’offre mes excuses. Remarque, je ne serais pas surpris qu’elle ait des relations avec les gens du musée. Ce genre de fille assure toujours ses arrières. De toute façon qu’elle soit qui elle veut, Margot la Pie ou la reine d’Angleterre, cela n’a plus d’importance puisque Goldberg est mort. Il ne nous reste plus qu’à espérer qu’Ézéchiel aura des choses intéressantes à nous dire.

— Quoi qu’il en soit, fit Adalbert d’un ton rêveur, j’aimerais bien, quand nous serons sortis de cette affreuse histoire – ce que je veux espérer – j’aimerais bien, dis-je, aller bavarder de Margot la Pie avec Gordon Warren, notre ami de Scotland Yard…

Dix heures sonnaient au clocher de Notre-Dame de France, la grande église catholique proche, quand, avec une ponctualité exemplaire, le jeune garçon sortit des bougainvilliers et prit pied sur le balcon. S’il était armé, cela ne se voyait pas mais il semblait plus soucieux encore que tout à l’heure. Inquiet, Morosini l’interrogea aussitôt. N’avait-il pas réussi à retrouver la dépouille du rabbin ?

— Si. Il est bien à l’endroit que vous m’avez décrit et je vous remercie des soins que vous avez pris. Il restera d’ailleurs là-bas jusqu’à ce que je sache qui l’a fait tuer… Non, ce qui me tourmente c’est que Mme Morosini ait disparu de la maison où nous l’avions mise. Et pas seulement elle ! Ses gardiens eux aussi se sont volatilisés…

— Cela n’a rien de surprenant, fit remarquer Morosini. Ne vous ai-je pas dit qu’elle accompagnait le rabbin Goldberg la nuit dernière et que l’Anglaise l’a prise comme otage afin d’assurer sa retraite ? Dès lors les gardiens n’avaient plus aucune raison de rester.

— Vous ne comprenez pas. Il s’agit d’un couple qui habite toute l’année une maison dans les collines de Galilée et, même si le renfort qu’on leur avait donné ne présentait plus d’utilité, eux n’avaient aucune raison de quitter leur domicile.

— Les collines de Galilée alors que nous la croyions hors des frontières, fit Aldo avec amertume. Vous vous êtes bien moqués de nous !

— Même pas ! Il était seulement bon que vous le croyiez et elle aussi. On l’y a conduite par un chemin suffisamment détourné pour qu’elle se croie en Syrie ou même plus loin… Elle ne pouvait savoir où elle était.

— Si elle est restée enfermée dans une cave pendant des mois, ce devait être difficile en effet !

— Non. Ne croyez pas cela ! Elle était bien traitée, servie même par une femme dévouée à Rabbi Abner mais bonne. Je ne suis pas allé là-bas avant aujourd’hui et je ne l’ai pas approchée une seule fois, cependant je peux vous jurer qu’elle n’a jamais eu à souffrir d’autre chose que du manque de liberté.

— C’est déjà suffisant ! Et j’espère qu’à présent elle n’endure pas un traitement pire…

Visiblement agacé, Adalbert intervint :

— Cette discussion n’a aucun sens. Nous avons mieux à faire que palabrer sur des éventualités. Nous avons, nous, une idée sur l’endroit où peuvent se trouver la princesse Morosini et vos sacrées émeraudes. Alors la question est celle-ci : voulez-vous nous aider à les récupérer oui ou non ?

— Votre question est de celles qui ne se posent pas ! fit le jeune garçon avec dédain. Bien entendu je vous suis !

— Nous ne voulons pas vous prendre en traître, dit Aldo. Réfléchissez encore ! Nous allons chez un homme riche, puissant, un Anglais respecté de tous. Il vit ici comme vous-même et il pourrait vous causer de grands dommages !

— S’il a tué Rabbi Abner, il est mon ennemi, s’écria Ézéchiel avec orgueil. Et s’il a fait tuer Rabbi Abner il aura à redouter ma vengeance si je ne le tue pas cette nuit ! Qui est-il ?

— Sir Percival Clark. Vous venez toujours ?

— Plus que jamais ! Il est trop l’ami des Arabes pour être le nôtre.

CHAPITRE XII

UNE FEMME ARABE…

La nuit était froide et silencieuse quand on approcha de l’ancien couvent. C’était comme si toute la nature retenait son souffle dans l’attente d’un drame. Haut dans le ciel, une lune ronde, dessinée avec la précision d’un pinceau japonais, suscitait des ombres bizarres à travers les grands arbres du mont des Oliviers ajoutant au décor un côté fantasmagorique, un peu inquiétant.

Comme lors de leur précédente visite, Morosini arrêta la voiture assez en contrebas et à l’abri d’un buisson – un endroit faisant suite à une petite descente qui lui avait permis de rouler sans moteur.

— Du grand art ! apprécia Vidal-Pellicorne. Si les occupants de la maison ont entendu la voiture ils penseront qu’elle se dirige sur Jéricho.

— C’est ce que j’espérais. Comme tu vois, sir Percy n’est pas encore couché : il y a de la lumière dans sa bibliothèque. À son âge, on dort peu : je ne me voyais pas braquer la lumière d’une torche électrique sur le visage effaré d’un infirme tiré du sommeil.

— On est toujours à Fontenoy, à ce que je vois ? On ne va tout de même pas aller jusqu’à sonner ?

— Idiot ! grogna Aldo en haussant les épaules. On va entrer comme tu sais si bien le faire. Montre-nous le chemin ! Prêt, Ézéchiel ?

— À tout, monsieur ! Je vous l’ai dit.

Et dans la main du jeune homme apparut soudain un pistolet prouvant que servir Jéhovah n’empêchait pas de pratiquer l’instinct de conservation ;

— Rangez ça ! On s’en servira plus tard si besoin est.

L’un après l’autre les trois visiteurs nocturnes franchirent le mur d’enceinte et, sans faire plus de bruit que des chats, ils arrivèrent au pied de la terrasse d’où, quelques mois plus tôt, Aldo et Adalbert avaient contemplé un beau soleil en train de se coucher sur Jérusalem.

La lumière qui éclairait la grande pièce était douce et suggérait l’intimité ainsi que le repos du soir. Et, de fait, rien n’était plus paisible que l’image de ce vieil homme assis dans le grand fauteuil de son bureau – la chaise roulante était poussée sur le côté – en train de compulser des notes en face de cette belle jeune femme qui buvait du champagne à demi étendue sur un divan et plus exquise que jamais dans une robe de velours bleu nuit sans autre ornement que le collier de perles à triple rang qui serrait son cou mince et les magnifiques perles en poire de ses oreilles.

Si la vue d’Hilary surprit les deux amis, ce fut moins parce qu’elle semblait installée comme chez elle puisqu’ils en étaient venus à la conclusion que sir Percy était son employeur, que de la voir « encore » là ! N’aurait-elle pas dû, après avoir mis sa prisonnière en lieu sûr, prendre le premier train ou le premier bateau en direction de n’importe où ? Eh bien non, elle était là, buvant tranquillement son champagne en souriant à l’homme dont la belle tête se relevait à cet instant même pour envelopper la gracieuse silhouette d’un regard dont l’intensité frappa les observateurs invisibles : c’était celui d’un homme à la fois passionnément épris et infiniment heureux.

— Moi qui m’étais imaginé, souffla Aldo, qu’elle pouvait être pour lui une autre fille naturelle, ou une nièce ou…

— … ou une maîtresse ! fit Adalbert. Il n’est peut-être pas aussi paralysé qu’on le croit.

— Mais tu m’as dit qu’il était dans ce fauteuil roulant depuis des années… un accident de fouilles si ma mémoire est fidèle ?

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