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— C’est ça ou Dijon ! conclut l’archéologue. On essaie ?

Morosini haussa des épaules désabusées :

— Au point où l’on en est !… Ça a, au moins, l’avantage d’être moins loin !

On resta encore un moment comme si l’on hésitait à repartir dans l’espoir qu’une présence quelconque se manifesterait mais, en réalité, Adalbert observait attentivement la maison et ses alentours :

— Je passerai par le jardin et la terrasse, murmura-t-il. Pas question de s’attaquer au porche !

— Tu crois que la grande baie sera plus facile à ouvrir ? Il y a peut-être des volets ? Surtout si le maître est parti !

— Il n’y en a pas. Vois-tu, quand je visite la maison d’un confrère, j’ai la manie d’observer toujours un tas de détails : la fermeture des portes, les protections, les accès au toit… Ça peut toujours servir, ajouta-t-il suave…

— Heureusement qu’ils ne sont pas tous comme toi, observa Morosini.

Le soir venu on dîna comme convenu avec les compagnons d’aventures de la nuit précédente. Un dîner agréable, sans plus. Aldo et Douglas Mac Intyre pensaient à Lisa, quant à Marie-Angéline, si elle montra une vive reconnaissance des peines que l’on avait prise pour elle… il lui était impossible d’oublier qu’il allait lui falloir quitter un pays aussi passionnant pour retrouver le train-train de la rue Alfred-de-Vigny en hiver avec les potins du quartier et la messe de six heures à Saint-Augustin.

— On se retrouvera peut-être tous à Venise pour Noël ? lui dit Aldo pour la consoler et, de toute façon, je vous promets de vous appeler ou d’aller vous voir si nous avons besoin de vous !

Elle lui offrit un regard désolé :

— J’espérais tant pouvoir vous suivre jusqu’au bout !

— Nous ne savons pas où il est, le bout, mais soyez sûre que nous allons tout faire pour que Lisa me soit rendue le plus vite possible…

Il était environ une heure du matin quand Aldo arrêta le moteur de la voiture à l’abri d’un vieil olivier d’où il pourrait surveiller les abords de la maison et éteignit les phares. Il avait été convenu qu’il ferait la guet tandis qu’Adalbert s’introduirait dans la place. Silencieusement, celui-ci ôta sa veste de smoking pour la remplacer par un chandail noir à col roulé, échangea ses souliers vernis contre une paire de chaussures à semelles de caoutchouc, enfila des gants noirs et cacha sa toison couleur paille sous une casquette enfoncée jusqu’aux sourcils. Muni d’un petit sac en peau contenant ses outils, il fit à son ami un signe d’adieu et courut vers l’ancien couvent sans faire plus de bruit qu’un chat. Aldo le vit escalader le mur du jardin et disparaître enfin de l’autre côté. L’attente commençait qui lui parut interminable. Tapi dans l’ombre de la voiture dont la capote était relevée, il fumait cigarette sur cigarette, détestant ce rôle de guetteur et l’idée qu’Adalbert affrontait seul l’inconnu de cette maison qui, à présent, lui semblait hostile. La cinquième cigarette éteinte, il n’y put tenir, sortit de la voiture et refermant la portière sans la faire claquer, s’avança de quelques pas. Rien ne bougeait, tout était tranquille. Le silence était si complet qu’on pouvait se croire sur une planète éteinte. C’était au point que Morosini accueillit avec un vague soulagement la cloche d’un couvent sonnant matines sur la route de Béthanie et de Jéricho.

Assis sous un olivier en face du mur du jardin, Aldo chercha une nouvelle cigarette mais ses doigts ne rencontrèrent que le vide. Il en fut si contrarié que, dans sa nervosité, il faillit jeter avec colère le précieux étui d’or gravé à ses armes, se retint à temps en jurant à voix basse…

Enfin la noire silhouette qu’il espérait se laissa tomber du mur d’en face et un énorme poids s’envola. Aldo courut vers son ami.

— Tu en as mis du temps !

— Si tu veux que je te donne des leçons sur l’art d’entrer chez les gens sans y être invité, tu verras que, si l’on veut faire les choses proprement, ça demande du soin, donc du temps !

— D’accord, mais selon moi tu as pris celui de lire le livre en entier.

— Il aurait fallu que je le trouve.

— Il n’y est plus ?

— Non. J’avais pourtant bien repéré l’endroit de la bibliothèque où il a sa place mais impossible de mettre la main dessus. J’ai cherché un peu partout, tu penses bien !… même dans la chambre de sir Percy en pensant que peut-être il l’avait à son chevet…

— Tu as osé ?

— Pourquoi pas ? La maison est vide comme ma main. Allez ! On rentre !

Sans plus parler, les deux hommes rejoignirent leur voiture. Aldo se réinstalla au volant, effectua une rapide marche arrière et reprit le chemin de l’hôtel.

Le lendemain matin, Mme de Sommières, Marie-Angéline, Morosini et Vidal-Pellicorne quittaient Jérusalem en voiture pour rejoindre Jaffa et le bateau de Louis de Rothschild qui allait remonter sur Tripoli afin de laisser les deux hommes à la gare du Taurus-Express avant de ramener les deux dames à Nice où la marquise venait de décider de faire une halte :

— Ce sera moins triste ! dit-elle. Après tout ce soleil, je n’ai aucune envie de regarder pleurer les arbres du parc Monceau…

Le soleil en question brillait joyeusement sur l’indigo scintillant de la Méditerranée, pourtant en regardant s’éloigner le vieux minaret de Jaffa, Aldo ressentit une sorte de déchirure parfaitement désagréable. La lettre de Lisa disait qu’elle n’était plus dans la Ville Sainte et il voulait bien la croire mais il n’en était pas moins persuadé qu’elle était quelque part dans cette terre de Palestine qui s’étirait jusqu’aux déserts derrière les sables et les rochers de cette côte séduisante. Un jour – le plus tôt possible ! – il faudrait bien qu’elle la lui rende… En attendant, c’était bigrement dur de s’éloigner !…

Deuxième partie

LA VOYANTE

CHAPITRE IV

LA MAISON VIDE

La bibliothèque municipale de Dijon se partageait avec l’école de droit, dans la rue du même nom, les bâtiments de l’ancien collège des Godrans où les Jésuites dispensaient jadis la culture solide dont bénéficièrent Bossuet, Buffon, Crébillon, La Monnoye, Piron et quelques autres grands esprits des XVIIe et XVIIIe siècles. Les maîtres avaient disparu, chassés par une République sourcilleuse mais le savoir restait dans les multiples armoires et rayonnages dont étaient garnis les murs de l’ancienne chapelle aux belles voûtes arrondies. C’est là qu’au terme d’un voyage ferroviaire épuisant en dépit du confort raffiné de l’Orient-Express, atterrirent Morosini et Vidal-Pellicorne.

Le maître des lieux était alors un charmant vieux monsieur à barbiche poivre et sel, tiré à quatre épingles dans un veston noir de bon faiseur et qui, avec ses guêtres grises et ses mains soignées, s’accordait au noble décor. Il reçut ses visiteurs avec cette courtoisie, ce grand ton de politesse dont la province semblait avoir gardé le secret après une guerre dévastatrice sur tous les plans et dans ces années folles où il paraissait urgent d’oublier le passé, tous les passés. M. Gerland, lui, savait encore accueillir, avec un solide accent bourguignon, un archéologue connu et une altesse vénitienne experte en joyaux célèbres qui ne l’était pas moins.

Naturellement, l’ouvrage du voyageur bourguignon du XVe siècle faisait partie de ses trésors et, après une courte attente, il vint déposer sur son bureau un superbe in-quarto portant sur sa couverture de velours rouge orné de plaques d’argent les grandes armes du duc de Bourgogne, Philippe le Bon. Morosini leva un sourcil surpris :

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