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— Il a raison, dit Aldo. Ce qui vient d’arriver à notre amie donne à réfléchir. Pour rien au monde je ne veux que vous courriez quelque danger que ce soit !

— Vous voulez vous séparer de nous ? gémit Plan-Crépin au bord des larmes. Où allez-vous ?

— Je l’ignore, dit Aldo, mais nous ne restons pas…

— Alors, pourquoi ne partirions-nous pas ensemble ?

Avec une soudaine gentillesse, la marquise couvrit de sa main celle de sa fidèle suivante :

— Il faut vous faire une raison, ma chère ! Nous serions plus encombrantes qu’autre chose. Aldo se tourmente déjà suffisamment pour sa femme. Il n’a nul besoin d’en faire autant pour nous. Envoie un télégramme au capitaine du yacht, mon garçon nous rallierons Jaffa demain matin…

En regagnant leurs chambres respectives pour y prendre un peu de repos et une bonne douche, Adalbert gardait un silence inhabituel tandis qu’Aldo qui tenait toujours à la main la lettre de Lisa la caressait doucement du bout des doigts. Finalement, il demanda :

— As-tu une idée de ce qu’on va faire maintenant ? Tu penses à Damas ?

De sous les mèches rebelles où il fourrageait tout en marchant, Adalbert lui offrit un sourire moqueur :

— Je pencherais plutôt pour… Dijon !

— Dijon ? En France ?

— Tu en connais une autre ? La ville de la moutarde !

— Ce n’est vraiment pas le moment de plaisanter.

— Mais je ne plaisante pas. C’est Dijon… ou bien nous allons, la nuit prochaine, cambrioler la bibliothèque de sir Percy.

— Tu sais que tu deviens obscur ?

— Je vais éclairer ta lanterne. As-tu remarqué avec quelle rapidité, quelle virtuosité aussi, il a récupéré le bouquin de La Broquière dès que tu as fini de lire la page qu’il t’indiquait ?

— Oui, je l’ai trouvé un peu vif mais enfin…

— Il ne t’est pas venu à l’idée qu’il n’avait pas envie que tu lises plus avant ?

— Pourquoi l’aurait-il fait ?

— Peut-être parce qu’il ne souhaite pas nous en apprendre davantage au sujet des fameuses pierres ? Après tout, ton ami le rabbin n’est peut-être pas le seul à vouloir se les approprier ?

— Sauf ton respect, tu dérailles, mon bon ! Tu as vu dans quel état il est ? Paralysé jusqu’à la taille, comment veux-tu qu’il entreprenne la moindre recherche ? D’ailleurs nous sommes payés pour le savoir puisque nous l’avons suppléé à Massada…

— Mon cher prince, quand on est riche et que l’on est bien servi, on peut encore faire pas mal de choses prendre un bateau, un train, une voiture, pourquoi pas un avion…

— Mais pas, par exemple, faire de la reptation dans un boyau souterrain ou descendre avec une corde comme nous l’autre soir. En outre…

— On peut toujours le faire faire par quelqu’un d’autre…

— … en outre, s’il reste quelque chose d’intéressant dans ce sacré livre, il n’avait pas besoin de nous attendre.

— J’en conviens. Reste à savoir depuis quand il le possède ? Il nous a dit qu’il l’avait acheté depuis la fuite de Kypros mais ça peut très bien être il y a quinze jours.

— Possible, pourtant je te rappelle qu’il n’a aucune raison de se méfier de nous puisqu’il ignore ce que nous cherchons au juste. Il a même mis… je ne dirais pas une certaine condescendance à nous raconter l’affaire Bérénice.

— Tu ne crois pas que tu exagères ? On dirait que tu l’as soudain pris en grippe ?

— Pas du tout. Je le trouve même plutôt sympathique mais… mais c’est un archéologue et Anglais de surcroît ! Avec ces gens-là on en est toujours plus ou moins à Fontenoy ! Cela dit, je persiste et signe : quelque chose me dit qu’on aurait tout intérêt à lire jusqu’au bout ce passage des aventures de Bertrandon. C’est pourquoi je songe à Dijon : il y a là-bas les archives du duché de Bourgogne, plus la bibliothèque avec au moins un exemplaire…

— Je te crois sans peine, cependant il serait plus simple de retourner chez sir Percy et de lui demander tout simplement de revoir son livre.

— Dix contre un qu’on n’y arrivera pas !

— Pari tenu ! On y va cet après-midi une fois le plus gros de la chaleur passé… Inutile de l’indisposer en tombant au milieu de sa sieste !

— Avec le plus vif plaisir… à condition que tu nous trouves une voiture ! Après les galopades de cette nuit, je ne sens plus mes pieds !

— Ça te fera au moins un sujet de conversation avec ce pauvre Clark, fit Morosini féroce.

— Oh bravo ! C’est d’un goût !

Aldo l’admettait volontiers mais la notion des plus élémentaires convenances lui échappait à ce moment où il souhaitait surtout rester seul pour lire et relire encore la lettre, si courte, de Lisa. Uniquement parce qu’elle s’achevait sur un « je t’aime »… De quoi rêver pendant des semaines !

Longuement, il examina le papier, l’enveloppe : tous deux d’un très beau vélin à la forme dont il n’aurait pas désavoué l’usage. L’écriture aussi ferme, nette ne montrant aucun signe révélant une nervosité quelconque. Lisa, très certainement, était en pleine possession d’elle-même. Elle semblait accepter la captivité qu’on lui imposait mais tous deux avaient connu ensemble trop d’aventures pour qu’elle se laisse aller à la panique ou même à la simple inquiétude. En digne continuatrice des princesses Morosini du temps passé, elle faisait face, tout simplement…

La journée parut longue à Aldo, soudain saisi d’un grand besoin d’activité plus fort que sa fatigue, mais il n’y avait rien d’autre à faire que prendre un bon bain, dormir, déjeuner avec « la famille » et errer dans les jardins de l’hôtel en attendant l’heure convenable pour se rendre chez un vieil homme infirme. Enfin, elle vint et à cinq heures pile la voiture fournie par l’hôtel s’arrêtait devant l’entrée de l’ancien couvent byzantin au flanc du mont des Oliviers… mais l’appel de la cloche fit taire en vain le chant des oiseaux dans les arbres : personne ne se montra.

Pendu à l’antique chaîne, Adalbert réitéra son appel encore et encore sans plus de résultat :

— C’est impossible, s’énerva-t-il. Même si le domestique est allé chercher le pain, le lait ou Dieu sait quoi, même si sir Percy est seul, il peut parfaitement venir ouvrir puisque tout est de plain-pied dans sa maison.

— Il est peut-être parti ? N’est-ce pas toi qui, ce matin, me faisait observer qu’un infirme riche garde bien des moyens de se déplacer ?

— Un peu précipité, ce départ ! Et pour aller où ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Il n’a parlé de rien hier mais rien ne l’y obligeait : nous ne sommes pas intimes. Maintenant, je peux te proposer une autre hypothèse : il sait que c’est nous, et il n’a aucune envie de nous voir !

— Je pencherais volontiers vers ton idée. Parce qu’elle est tout à fait conforme à ce que je pensais. Souviens-toi que nous avons parié !

— Circonstance fortuite ! grogna Morosini. Alors ? On prend le train pour Dijon ?

— Pas avant d’avoir effectué une dernière tentative. Si sir Percy est vraiment parti, il n’a tout de même pas déménagé sa bibliothèque… et j’ai bien l’intention de m’en assurer. Pas plus tard que cette nuit !

Morosini sursauta :

— Tu n’es pas en train de me dire que tu vas…

L’innocent sourire de Vidal-Pellicorne frisa l’angélisme :

— Visiter ce vieux couvent aux alentours d’une heure du matin ? Mais si, mon bon !

— Tu es fou ?… Comment feras-tu ? Ce vieux couvent est solide et il faut un minimum d’outils pour pratiquer ce genre d’activité…

— Bof ! Un archéologue digne de ce nom emporte toujours avec lui quelques menus objets… une sorte de trousse bien utile… en cas !

— En cas ?… Et si sir Percy est retranché dans son logis, tu vas nous faire pincer et expédier en prison ! Sans compter le ridicule…

— Qui ne risque rien n’a rien ! fit Adalbert sentencieusement. Et puis tu sais très bien que je ne suis pas si maladroit !

C’était le moins qu’on puisse dire ! Aldo n’ignorait rien des talents de cambrioleur de son ami, complétant de si heureuse façon une activité occulte d’agent secret occasionnel. Comment oublier que leur première rencontre avait eu lieu dans le jardin d’un hôtel du parc Monceau à Paris quand Adalbert, qui venait de visiter le bureau d’un célèbre marchand de canons, lui était pratiquement tombé dessus depuis le premier étage ? Et dans la suite de leur quête des quatre pierres précieuses manquant au Pectoral du Grand Prêtre, les doigts si agiles d’Adalbert s’étaient souvent révélés fort utiles, voire déterminants.

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