Литмир - Электронная Библиотека

À voix contenue, Aldo appela en s’approchant du bassin.

— Vous êtes là ?

Rien ne lui répondit mais, soudain, il aperçut quelque chose :

— Ta lampe, Adal ! Vite !

Dans le mince pinceau lumineux apparut alors ce que, depuis une seconde, il craignait de voir : un corps flottant sur l’eau plate avec, à côté de lui, le chapeau noir tombé de sa tête. Un corps qui était celui d’Abner Goldberg. Le poignard qui l’avait tué était encore planté dans la blessure qu’il portait à la poitrine…

Les jambes d’Aldo se dérobèrent sous lui et il se laissa tomber à genoux, accablé par ce dernier coup du sort dont la signification était si terrible pour lui. Il se souvenait trop des termes de la lettre reçue au soir de l’enlèvement de Lisa : si Goldberg lui-même ne venait la délivrer ses gardiens avaient ordre de la tuer. Et Goldberg, lui-même, venait d’être tué…

Adalbert réalisa aussi vite l’horreur de la situation mais y résista mieux. Fondant sur Aldo, il l’obligea à se relever :

— Viens ! Il faut filer d’ici et vite ! Ceux qui ont fait ça sont très capables de nous envoyer la police pour nous mettre le meurtre sur le dos. Mieux vaut la prévenir nous-mêmes…

— Mais Lisa ?… Elle était peut-être là ?

— Si elle y était et qu’on l’a enlevée, raison de plus pour nous faire aider !

— Tu as raison, il n’y a plus de temps à perdre…

— Et pourtant, il vous faudra bien m’en consacrer encore un peu, fit une voix moqueuse qu’ils n’osèrent pas reconnaître sur le moment tant elle leur parut incroyable, invraisemblable…

Pourtant ce fut bien l’Honorable Hilary Dawson qui apparut soudain, descendant calmement l’escalier à rampe de fer faisant communiquer l’étage du bassin avec la terrasse qui l’entourait et d’où partait l’ancien minaret. Mais aucun des deux hommes n’eut l’exclamation de stupeur qu’elle attendait peut-être.

— Je savais bien que c’était une garce ! cracha dédaigneusement Morosini.

— J’aurais dû te croire, fit Adalbert en écho, mais la légère fêlure de sa voix trahit une douleur qu’Aldo supporta d’autant moins que, derrière la jeune femme, surgissaient deux Arabes armés jusqu’aux dents et que d’autres sortaient des arches au niveau de la piscine. Or, deux de ces hommes étaient des fils de Khaled, autrement dit les assassins de la Nabatéenne.

Cependant la voix qui savait pourtant se faire si douce reprenait :

— Vous devriez mieux cacher votre joie de me revoir, messieurs ! Vous surtout, cher Adalbert ! Vous pourriez admettre avec plus d’élégance que vous avez perdu. Je vous croyais beau joueur ?

— Je vous croyais une lady ! Vous n’êtes qu’une meurtrière à peine digne de la corde qui la pendra ! Car, bien sûr, c’est vous qui avez tué ce malheureux ?

— Pourquoi voulez-vous que je me salisse les mains quand Ali ou Karim savent jouer du poignard avec tant d’habileté ? Ce malheureux, comme vous dites – encore que je vous trouve bien indulgent à son égard ! –, a été tué à distance, d’une seule lancée mais en plein cœur.

— Dire que vous avez osé me présenter à votre famille ? ne put retenir Vidal-Pellicorne.

— Oh, ne vous souciez pas de ma… famille ! Elle en a vu d’autres. J’admets volontiers cependant que peu d’entre eux avaient votre valeur. Vous êtes un grand archéologue et un ennemi de qualité.

— Un ennemi ? releva Morosini méprisant. En bonne fille d’Albion vous savez mélanger les genres. Ne parliez vous pas de mariage ?

— J’aurais pu aller jusque-là ! La perspective n’était pas sans charme : un époux de bonne famille, riche, élégant, un savant qui m’aurait ouvert un accès privilégié à tous les musées de France et d’ailleurs, ce n’était pas à dédaigner. C’était même à étudier sérieusement et j’avoue que je me suis interrogée. Malheureusement pour vous, cher Adalbert, je suis trop attachée à mon indépendance… et à quelqu’un d’autre. Et puisque mon parti était pris, j’ai préféré lever le masque.

— Autrement dit : je vous dois une fière chandelle ? fit Adalbert qui retrouvait à la fois son aplomb et un certain sens de l’humour. Recevez mes remerciements pour une lourde sottise évitée ! Moi aussi j’aime mon indépendance, ma chère Hilary ! Si toutefois c’est bien votre nom ?

La jeune femme éclata de rire.

— Ah ! Il y a là une question intéressante. Suis-je Hilary ou bien Violet, Sandra, Daisy ou Pénélope ? Il m’arrive en effet de changer d’identité. C’est indispensable dans mon métier.

Triomphante, l’Anglaise semblait prendre un vif plaisir à s’étaler devant ceux qu’à cet instant elle tenait si bien en son pouvoir. Mais comme tous ceux qui n’ont pas la gloire modeste, elle parlait trop, occupée de son autosatisfaction et, tout à coup, il y eut comme un trait de lumière dans l’esprit d’Aldo : depuis deux ou trois ans, des vols de joyaux, toujours anciens et même souvent antiques, s’étaient produits dans des collections particulières, voire dans des musées moins bien défendus que les grands ensembles nationaux. Le voleur, ou plutôt la voleuse car on savait que c’était une femme, était habile et disparaissait toujours sans laisser de traces autres que, dans le souvenir d’un témoin quelconque, la présence, à un endroit ou à un autre, d’une créature vêtue d’un tailleur noir – comme l’était ce soir Hilary – sous lequel se montrait discrètement la blancheur d’un corsage. En résumé, une tenue comme en portaient beaucoup d’autres femmes et qui n’avait jamais permis de la prendre sur le fait ou même de l’identifier. Faute de mieux, la presse l’avait surnommée Margot la Pie et un début de légende se tissait…

— Dans l’énumération de vos noms, n’y a-t-il pas Margot ? demanda-t-il presque négligemment, satisfait cependant de la voir tressaillir.

— Quelle drôle d’idée ? fit-elle avec un petit rire nerveux. C’est un nom trop vulgaire pour moi…

— Peut-être. Il est vrai aussi que Margot la Pie n’a jamais tué et qu’il y a ici un cadavre. Cependant, que vous n’ayez pas frappé vous-même ne change rien à la chose : la meurtrière, c’est vous…

— On peut aussi supposer que cette Margot n’avait pas encore donné toute la mesure de son talent, coupa Adalbert. Le meurtre, tu sais, il suffit de s’y mettre ! J’imagine même que ce pourrait être bientôt notre tour. Nous en savons trop sur elle.

L’éclat de rire d’Hilary lui coupa la parole et c’était une chose étonnante que cette jeune femme blonde et élégante, riant de si bon cœur dans ce décor sinistre habité par un cadavre et des hommes à la mine sombre…

— Que vous êtes donc mélodramatique, cher Adalbert ! Je crois, décidément, que je vous aime bien. Aussi pourquoi voulez-vous que je vous tue ?

— Parce que c’est la logique des choses, fit Morosini en haussant les épaules. Il vient de vous le dire : nous en savons trop !

— Ce que vous savez ne vous servirait à rien. Je vous dirai pourquoi tout à l’heure. Auparavant je tiens tout de même – à cause de cette tendresse que je vous porte – à me justifier à vos yeux, mes bons amis. J’ai dit tout à l’heure que je n’avais pas tué Goldberg et c’est vrai. Non seulement je n’ai pas accompli l’acte mais ce n’est pas moi qui en ai donné l’ordre.

— Qui, alors ?

— Vous n’imaginez pas que je vais vous le dire ? À présent, il serait peut-être temps de mettre un terme à cette agréable réunion. Me ferez-vous la grâce, mon cher prince, de me remettre les belles émeraudes pour lesquelles vous vous êtes donné tant de mal ?

Dans la nuit paisible, la réponse claqua comme une balle :

— Non !

— Vous n’avez pas le choix, soupira Hilary. Ne m’obligez pas à vous faire fouiller. Ce serait… déplaisant !

— Faites ce que vous voulez ! Vous ne les aurez pas de bon gré. Il faut que vous le sachiez… Ces pierres sont la rançon de ma femme que votre victime avait enlevée…

— Je le sais.

— Comment pouvez-vous le savoir ?

— Je le sais, vous dis-je ! De toute façon cet homme est mort. Votre femme n’a plus rien à craindre de lui.

67
{"b":"155380","o":1}