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– Je comprends, dit vivement celui-ci, qui paraissait décidé à se faire jusqu’au bout l’interprète de la jeune femme. Votre Altesse doute et veut savoir si le billet est bien d’elle. Soit: Votre Altesse sera éclaircie par elle même. Lorenza, répondez: qui a écrit ce billet?

Il prit le billet, le mit dans la main de sa femme, qui appliqua aussitôt cette main sur son cœur.

– C’est Lorenza, dit-elle.

– Et Lorenza sait-elle ce qu’il y a dans cette lettre?

– Sans doute.

– Eh bien, dites à la princesse ce qu’il y a dans cette lettre, afin qu’elle ne croie pas que je la trompe quand je lui dis que vous m’aimez. Dites-lui. Je le veux.

Lorenza parut faire un effort; mais, sans déplier le billet, sans le porter à ses yeux, elle lut:

«Reviens, Acharat; tout me manque quand tu me quittes. Mon Dieu! quand donc serai-je à toi pour l’éternité?

«Lorenza»

– C’est à ne pas croire, dit la princesse, et je ne vous crois pas, car il y a dans tout ceci quelque chose d’inexplicable, de surnaturel.

– Ce fut cette lettre, continua le comte de Fœnix, comme s’il n’eût point entendu Madame Louise, ce fut cette lettre qui me détermina à presser notre union. J’aimais Lorenza autant qu’elle m’aimait. Notre position était fausse. D’ailleurs, dans cette vie aventureuse que je mène, un malheur pouvait arriver: je pouvais mourir, et si je mourais, je voulais que tous mes biens appartinssent à Lorenza: aussi, en arrivant à Strasbourg, nous nous mariâmes.

– Vous vous mariâtes?

– Oui.

– Impossible!

– Pourquoi cela, Madame? dit en souriant le comte, et qu’y avait-il d’impossible, je vous le demande, à ce que le comte de Fœnix épousât Lorenza Feliciani?

– Mais elle m’a dit elle-même qu’elle n’était point votre femme.

Le comte, sans répondre à la princesse, se retourna vers Lorenza:

– Vous rappelez-vous quel jour nous nous mariâmes? lui demanda-t-il.

– Oui, répondit-elle, ce fut le 3 de mai!

– Où cela?

– À Strasbourg.

– Dans quelle église?

– Dans la cathédrale même, à la chapelle Saint-Jean.

– Opposâtes-vous quelque résistance à cette union?

– Non; j’étais trop heureuse.

– C’est que, vois-tu, Lorenza, continua le comte, la princesse croit qu’on t’a fait violence. On lui a dit que tu me haïssais.

Et, en disant ces paroles, le comte prit la main de Lorenza.

Le corps de la jeune femme frissonna tout entier de bonheur.

– Moi, dit-elle, te haïr? Oh! non; je t’aime. Tu es bon, tu es généreux, tu es puissant!

– Et depuis que tu es ma femme, dis, Lorenza, ai-je jamais abusé de mes droits d’époux?

– Non, tu m’as respectée comme ta fille, et je suis ton amie pure et sans tache.

Le comte se retourna vers la princesse, comme pour lui dire: «Vous entendez?»

Saisie d’épouvante, Madame Louise avait reculé jusqu’aux pieds du Christ d’ivoire appliqué sur un fond de velours noir au mur du cabinet.

– Est-ce là tout ce que Votre Altesse désire savoir? dit le comte en laissant retomber la main de Lorenza.

– Monsieur, monsieur, s’écria la princesse, ne m’approchez pas, ni elle non plus.

En ce moment, on entendit le bruit d’un carrosse qui s’arrêtait à la porte de l’abbaye.

– Ah! s’écria la princesse, voilà le cardinal; nous allons savoir enfin à quoi nous en tenir.

Le comte de Fœnix s’inclina, dit quelques mots à Lorenza et attendit avec le calme d’un homme qui aurait le don de diriger les événements.

Un instant après, la porte s’ouvrit et l’on annonça Son Éminence M. le cardinal de Rohan.

La princesse, rassurée par la présence d’un tiers, vint reprendre sa place sur son fauteuil en disant:

– Faites entrer.

Le cardinal entra. Mais il n’eut pas plutôt salué la princesse, qu’apercevant Balsamo:

– Ah! c’est vous, monsieur! dit-il avec surprise.

– Vous connaissez monsieur? demanda la princesse de plus en plus étonnée.

– Oui, dit le cardinal.

– Alors, s’écria Madame Louise, vous allez nous dire qui il est?

– Rien de plus facile, dit le cardinal: monsieur est sorcier.

– Sorcier! murmura la princesse.

– Pardon, Madame, dit le comte, Son Éminence s’expliquera tout à l’heure, et à la satisfaction de tout le monde, je l’espère.

– Est-ce que monsieur aurait fait aussi quelque prédiction à Son Altesse royale, que je la vois bouleversée à ce point? demanda M. de Rohan.

– L’acte de mariage! L’acte, sur-le-champ! s’écria la princesse.

Le cardinal regardait étonné, car il ignorait ce que pouvait signifier cette exclamation.

– Le voici, dit le comte en le présentant au cardinal.

– Qu’est-ce là? demanda celui-ci.

– Monsieur, dit la princesse, il s’agit de savoir si cette signature est bonne et si cet acte est valide.

Le cardinal lut le papier que lui présentait la princesse.

– Cet acte est un acte de mariage parfaitement en forme, et cette signature est celle de M. Remy, curé de la chapelle Saint-Jean; mais qu’importe à Votre Altesse?

– Oh! il m’importe beaucoup, monsieur. Ainsi la signature…?

– Est bonne; mais rien ne me dit qu’elle n’ait pas été extorquée.

– Extorquée, n’est-ce pas? c’est possible, s’écria la princesse.

– Et le consentement de Lorenza aussi, n’est-ce pas? dit le comte avec une ironie qui s’adressait directement à la princesse.

– Mais par quels moyens, voyons, monsieur le cardinal, par quels moyens aurait-on pu extorquer cette signature? Dites, le savez-vous?

– Par ceux qui sont au pouvoir de monsieur par des moyens magiques.

– Magiques! Cardinal, mais est-ce bien vous?…

– Monsieur est sorcier; je l’ai dit et je ne m’en dédis pas.

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