Mais les relevant aussitôt comme s’il eut craint d’être aussi d’une trop grande humilité:
– Madame, je rends grâce à Votre Altesse royale de la faveur qu’elle veut bien me faire. J’y comptais cependant, connaissant que Votre Altesse soutient généreusement tout ce qui est malheureux.
– En effet, monsieur, j’y essaie, dit la princesse avec dignité, car elle comptait terrasser, après dix minutes d’entretien, celui qui venait impudemment réclamer la protection d’autrui après avoir abusé de ses propres forces.
Le comte s’inclina sans paraître avoir compris le double sens des paroles de la princesse.
– Que puis-je donc pour vous, monsieur? continua Madame Louise sur le même ton d’ironie.
– Tout, Madame.
– Parlez.
– Votre Altesse, que je ne fusse point, sans de graves motifs, venu importuner dans la retraite qu’elle s’est choisie, a donné, je le crois du moins, asile à une personne qui m’intéresse en tout point.
– Comment nommez-vous cette personne, monsieur?
– Lorenza Feliciani.
– Et que vous est cette personne? Est-ce votre alliée, votre parente, votre sœur?
– C’est ma femme.
– Votre femme? dit la princesse en élevant la voix, afin d’être entendue du cabinet; Lorenza Feliciani est la comtesse de Fœnix?
– Lorenza Feliciani est la comtesse de Fœnix, oui, Madame, répondit le comte avec le plus grand calme.
– Je n’ai point de comtesse de Fœnix aux Carmélites, monsieur, répliqua sèchement la princesse.
Mais le comte ne se regarda point comme battu et continua:
– Peut-être bien, Madame, Votre Altesse n’est-elle pas bien persuadée encore que Lorenza Feliciani et la comtesse de Fœnix sont une seule et même personne?
– Non, je l’avoue, dit la princesse, et vous avez deviné juste, monsieur; ma conviction n’est point entière sur ce point.
– Votre Altesse veut-elle donner l’ordre que Lorenza Feliciani soit amenée devant elle, et alors elle ne conservera plus aucun doute. Je demande à Son Altesse pardon d’insister ainsi; mais je suis tendrement attaché à cette jeune femme, et elle-même regrette, je crois, d’être séparée de moi.
– Le croyez-vous?
– Oui, Madame, je le crois, si pauvre que soit mon mérite.
«Oh! pensa la princesse, Lorenza avait dit vrai, et cet homme est effectivement un homme dangereux.»
Le comte gardait une contenance calme et se renfermait dans la plus stricte politesse de cour.
«Essayons de mentir», continua de penser Madame Louise.
– Monsieur, dit-elle, je n’ai point à vous remettre une femme qui n’est point ici. Je comprends que vous la cherchiez avec tant d’insistance, si vous l’aimez véritablement comme vous le dites; mais, si vous voulez avoir quelque chance de la trouver, cherchez-la ailleurs, croyez-moi.
Le comte, en entrant, avait jeté un regard rapide sur tous les objets que renfermait la chambre de Madame Louise, et ses yeux s’étaient arrêtés un instant, rien qu’un instant, c’est vrai, mais ce seul regard avait suffi, sur la table placée dans un angle obscur de l’appartement, et c’était sur cette table que Lorenza avait placé ses bijoux, qu’elle avait offerts pour entrer aux Carmélites. Aux étincelles qu’ils jetaient dans l’ombre, le comte de Fœnix les avait reconnus.
– Si Votre Altesse royale voulait bien rappeler ses souvenirs, insista le comte, et c’est une violence que je la prie de vouloir bien se faire, elle se rappellerait que Lorenza Feliciani était tout à l’heure dans cette chambre, et qu’elle a déposé sur cette table les bijoux qui y sont, et qu’après avoir eu l’honneur de conférer avec Votre Altesse, elle s’est retirée.
Le comte de Fœnix saisit au passage le regard que jetait la princesse du côté du cabinet.
– Elle s’est retirée dans ce cabinet, acheva-t-il.
La princesse rougit, le comte continua:
– De sorte que je n’attends que l’agrément de Son Altesse pour lui ordonner d’entrer; ce qu’elle fera à l’instant même, je n’en doute pas.
La princesse se rappela que Lorenza s’était enfermée en dedans, et que, par conséquent, rien ne pouvait la forcer de sortir que l’impulsion de sa propre volonté.
– Mais, dit-elle, ne cherchant plus à dissimuler le dépit qu’elle éprouvait d’avoir menti inutilement devant cet homme à qui l’on ne pouvait rien cacher, si elle entre, que fera-t-elle?
– Rien, Madame; elle dira seulement à Votre Altesse qu’elle désire me suivre, étant ma femme.
Ce dernier mot rassura la princesse, car elle se rappelait les protestations de Lorenza.
– Votre femme! dit-elle, en êtes-vous bien sûr?
Et l’indignation perçait sous ses paroles.
– On croirait, en vérité, que Votre Altesse ne me croit pas, dit poliment le comte. Ce n’est pas cependant une chose bien incroyable que le comte de Fœnix ait épousé Lorenza Feliciani, et que, l’ayant épousée, il redemande sa femme.
– Sa femme, encore! s’écria Madame Louise avec impatience; vous osez dire que Lorenza Feliciani est votre femme?
– Oui, Madame, répondit le comte avec un naturel parfait, j’ose le dire, car cela est.
– Marié, vous êtes marié?
– Je suis marié.
– Avec Lorenza?
– Avec Lorenza.
– Légitimement?
– Sans doute, et, si vous insistez, Madame, dans une dénégation qui me blesse…
– Eh bien, que ferez-vous?
– Je mettrai sous vos yeux mon acte de mariage parfaitement en règle et signé du prêtre qui nous a unis.
La princesse tressaillit; tant de calme brisait ses convictions.
Le comte ouvrit un portefeuille et développa un papier plié en quatre.
– Voilà la preuve de la vérité de ce que j’avance, Madame, et du droit que j’ai de réclamer cette femme; la signature fait foi… Votre Altesse veut elle lire l’acte et interroger la signature?
– Une signature! murmura la princesse avec un doute plus humiliant que ne l’avait été sa colère; mais si cette signature…?
– Cette signature est celle du curé de Saint-Jean de Strasbourg, bien connu de M. le prince Louis, cardinal de Rohan, et si Son Éminence était ici…
– Justement M. le cardinal est ici, s’écria la princesse attachant sur le comte des regards enflammés. Son Éminence n’a pas quitté Saint-Denis; elle est dans ce moment-ci chez les chanoines de la cathédrale; ainsi rien n’est plus aisé que cette vérification que vous nous proposez.