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– Oui, continuez, duc, vous me ferez plaisir.

– Plaisir, je ne crois pas, comtesse; n’importe, je dois continuer. Le roi visitait donc hier Trianon.

– Le petit ou le grand?

– Le petit. Madame la dauphine était à son bras.

– Ah!

– Et madame la dauphine, qui est charmante, comme vous savez…

– Hélas!

– Lui faisait tant de cajoleries, de petit papa par-ci, de grand papa par-là, que Sa Majesté, dont le cœur est d’or, n’y put résister, de sorte que le souper a suivi la promenade, que les jeux innocents ont suivi le souper. Enfin…

– Enfin, dit madame du Barry pâle d’impatience, enfin le roi n’est pas venu à Luciennes, n’est-ce pas, voilà ce que vous voulez dire?

– Eh bien, mon Dieu, oui.

– C’est tout simple, Sa Majesté avait là-bas tout ce qu’elle aime.

– Ah! non point, et vous êtes loin de penser un seul mot de ce que vous dites; tout ce qui lui plaît, tout au plus.

– C’est bien pis, duc, prenez garde: souper, causer, jouer, c’est tout ce qu’il lui faut. Et avec qui a-t-il joué?

– Avec M. de Choiseul.

La comtesse fit un mouvement d’irritation.

– Voulez-vous que nous n’en parlions pas, comtesse? reprit Richelieu.

– Au contraire, monsieur, parlons-en.

– Vous êtes aussi courageuse que spirituelle, madame; attaquons donc le taureau par les cornes, comme disent les Espagnols.

– Voilà un proverbe que madame de Choiseul ne vous pardonnerait pas, duc.

– Il ne lui est pas applicable cependant. Je disais donc, madame, que M. de Choiseul, puisqu’il faut l’appeler par son nom, tint les cartes, et avec tant de bonheur, tant d’adresse…

– Qu’il gagna?

– Non pas, qu’il perdit, et que Sa Majesté gagna mille louis au piquet, jeu où Sa Majesté a beaucoup d’amour-propre, attendu qu’elle le joue fort mal.

– Oh! le Choiseul! le Choiseul! murmura madame du Barry. Et madame de Grammont, elle en était, n’est-ce pas?

– C’est-à-dire, comtesse, qu’elle était sur son départ.

– La duchesse?

– Oui, elle fait une sottise, je crois.

– Laquelle?

– Voyant qu’on ne la persécute pas, elle boude; voyant qu’on ne l’exile pas, elle s’exile elle-même.

– Où cela?

– En province.

– Elle va intriguer.

– Parbleu! Que voulez-vous qu’elle fasse? Donc, étant sur son départ, elle a tout naturellement voulu saluer la dauphine, qui naturellement l’aime beaucoup. Voilà pourquoi elle était à Trianon.

– Au grand?

– Sans doute, le petit n’est pas encore meublé.

– Ah! madame la dauphine, en s’entourant de tous ces Choiseul, montre bien quel parti elle veut embrasser.

– Non, comtesse, n’exagérons pas; car enfin, demain la duchesse sera partie.

– Et le roi s’est amusé là où je n’étais pas! s’écria la comtesse avec une indignation qui n’était pas exempte d’une certaine terreur.

– Mon Dieu! oui; c’est incroyable, mais cependant cela est ainsi, comtesse. Voyons, qu’en concluez-vous?

– Que vous êtes bien informé, duc.

– Et voilà tout?

– Non pas.

– Achevez donc.

– J’en conclus encore que, de gré ou de force, il faut tirer le roi des griffes de ces Choiseul, ou nous sommes perdus.

– Hélas!

– Pardon, reprit la comtesse; je dis nous, mais tranquillisez-vous, duc, cela ne s’applique qu’à la famille.

– Et aux amis, comtesse; permettez-moi donc à ce titre d’en prendre ma part. Ainsi donc…

– Ainsi donc, vous êtes de mes amis?

– Je croyais vous l’avoir dit, madame.

– Ce n’est point assez.

– Je croyais vous l’avoir prouvé.

– C’est mieux, et vous m’aiderez?

– De tout mon pouvoir, comtesse; mais…

– Mais quoi?

– L’ouvre est bien difficile, je ne vous le cache point.

– Sont-ils donc indéracinables, ces Choiseul?

– Ils sont vigoureusement plantés, du moins.

– Vous croyez, vous?

– Je le crois.

– Ainsi, quoi qu’en dise le bonhomme La Fontaine, il n’y a contre ce chêne ni vent ni orage.

– C’est un grand génie que ce ministre.

– Bon! voilà que vous parlez comme les encyclopédistes, vous.

– Ne suis-je pas de l’Académie?

– Oh! vous en êtes si peu, duc.

– C’est vrai, et vous avez raison; c’est mon secrétaire qui en est, et non pas moi. Mais je n’en persiste pas moins dans mon opinion.

– Que M. de Choiseul est un génie?

– Eh! oui.

– Mais en quoi éclate-t-il donc, ce grand génie? Voyons.

– En ceci, madame: qu’il a fait une telle affaire des parlements et des Anglais, que le roi ne peut plus se passer de lui.

– Les parlements, mais il les excite contre Sa Majesté!

– Sans doute, et voilà l’habileté.

– Les Anglais, il les pousse à la guerre!

– Justement, la paix le perdrait.

– Ce n’est pas du génie, cela, duc.

– Qu’est-ce donc, comtesse?

– C’est de la haute trahison.

– Quand la haute trahison réussit, comtesse, c’est du génie, ce me semble, et du meilleur.

– Mais, à ce compte, duc, je connais quelqu’un qui est aussi habile que M. de Choiseul.

– Bah!

– À l’endroit des parlements du moins.

– C’est la principale affaire.

– Car ce quelqu’un est cause de la révolte des parlements.

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