Литмир - Электронная Библиотека
A
A

Dunes, rochers, salines sont absorbés. Tout passe au laminoir. Et allez donc! Des contours s’élargissent, s’ouvrent, se ferment. Au ras des roues: débâcle. Ces rochers noirs là-bas, groupés, serrés, qui semblent venir avec lenteur, tout à coup s’emballent. On leur tombe dessus, on les éparpille.

1.430 tours.

«Si je me casse la gueule…» Une tôle qu’il frôle du doigt le brûle. Le radiateur vaporise par saccades. L’avion, péniche trop chargée, pèse.

1.400 tours.

Les derniers sables jetés en hâte à vingt centimètres des roues. Pelletées rapides. Pelletées d’or. Une dune sautée démasque le poste. Ah! Bernis coupe. Il était temps.

L’élan du paysage se freine et meurt. Ce monde en poussière se recompose.

Un fortin français dans le Sahara. Un vieux sergent reçut Bernis et riait de joie à la vue d’un frère. Vingt Sénégalais présentaient les armes: un blanc, c’est au moins un sergent; c’est un lieutenant s’il est jeune.

– Bonjour, sergent!

– Ah! venez chez moi, je suis si heureux! Je suis de Tunis…

Son enfance, ses souvenirs, son âme: il livrait tout ça, d’un coup, à Bernis.

Une petite table, des photographies piquées au mur:

– Oui, c’est des photos de parents. Je ne les connais pas encore tous, mais j’irai à Tunis, l’année prochaine. Là? C’est l’amoureuse de mon copain. Je l’ai toujours vue sur sa table. Il parlait toujours d’elle. Quand il est mort, j’ai pris la photo, j’ai continué, moi je n’avais pas d’amoureuse.

– J’ai soif, sergent.

– Ah buvez! Ça me fait plaisir d’offrir du vin. Je n’en avais plus pour le capitaine. Il est passé voilà cinq mois. Ensuite, bien sûr, pendant longtemps, je me suis fait des idées noires. J’écrivais pour qu’on me relève: j’avais trop honte.

– Ce que je fais? J’écris des lettres toutes les nuits: je ne dors pas, j’ai des bougies. Mais lorsque le courrier m’arrive, tous les six mois, ça ne va plus comme réponse: je recommence.

Bernis monte fumer avec le vieux sergent sur la terrasse du fortin. Quel désert vide au clair de lune. Que surveille-t-il de ce poste? Sans doute les étoiles. Sans doute la lune…

– C’est vous le sergent des étoiles?

– Ne me refusez pas, fumez, j’ai du tabac. Je n’en avais plus pour le capitaine.

Bernis apprenait tout de ce lieutenant, de ce capitaine. Il eût pu redire leur unique défaut, leur unique vertu: l’un jouait, l’autre était trop bon. Il apprenait aussi que la dernière visite d’un jeune lieutenant à un vieux sergent perdu dans les sables est presque un souvenir d’amour.

– Il m’a expliqué les étoiles…

– Oui, fit Bernis, il vous les passait en consigne.

Et maintenant, il les expliquait à son tour. Et le sergent, apprenant les distances, pensait à Tunis aussi qui est loin. Apprenant l’étoile polaire, il jurait de la reconnaître à son visage, il n’aurait qu’à la maintenir un peu à gauche. Il pensait à Tunis qui est si proche.

«Et nous tombons vers celle-ci avec une vitesse vertigineuse…» Et le sergent se retenait à temps au mur.

– Vous savez donc tout!

– Non, sergent. J’ai eu un sergent qui me disait même: Vous n’avez pas honte, vous, un fils de famille si instruit, si bien élevé, de faire si mal les demi-tours?

– Eh! N’ayez pas honte, c’est si difficile…

On le consolait.

– Sergent, sergent! Ton falot de ronde…

Il montrait la lune.

– Connais-tu ça, sergent, cette chanson:

Il pleut, il pleut, bergère…

Il fredonna l’air.

– Ah! oui, je la connais: c’est une chanson de Tunis…

– Dis-moi la suite, sergent. J’ai besoin de m’en souvenir.

– Attendez voir:

Rentre tes blancs moutons

Là-bas dans la chaumière…

– Sergent, sergent, ça me revient:

Entends sous le feuillage

L’eau qui coule à grand bruit,

Déjà voici l’orage…

– Ah comme c’est vrai! fit le sergent.

Ils comprenaient les mêmes choses…

– Voici le jour, sergent, allons travailler.

– Travaillons.

– Passe-moi la clef à bougies.

– Ah! Bien sûr.

– Appuie ici avec la pince.

– Ah! commandez… je ferai tout.

– Tu vois, ce n’était rien, sergent, je vais partir.

Le sergent contemple un jeune dieu, venu de nulle part, pour s’envoler.

… Venu lui rappeler une chanson, Tunis, lui-même. De quel paradis, au-delà des sables, descendent sans bruit ces beaux messagers?

– Adieu, sergent!

– Adieu…

Le sergent remuait les lèvres, ne se devinant pas lui-même. Le sergent n’aurait pas su dire qu’il gardait au cœur pour six mois d’amour.

VII

«De Saint-Louis du Sénégal pour Port-Étienne: Courrier pas arrivé Saint-Louis stop. Urgence nous communiquer nouvelles.»

«De Port-Étienne pour Saint-Louis: Ne savons rien depuis départ hier 16 h. 45 stop. Effectuerons immédiatement recherches.»

«De Saint-Louis du Sénégal pour Port-Étienne: Avion 632 quitte Saint-Louis 7 h. 25 stop. Suspendez votre départ jusqu’à son arrivée Port-Étienne.»

* * * * *

«De Port-Étienne pour Saint-Louis: Avion 632 bien arrivé 13 h. 40 stop. Pilote signale rien vu malgré visibilité suffisante stop. Pilote estime aurait trouvé si courrier sur trajet normal stop. Troisième pilote nécessaire pour recherches échelonnées en profondeur.»

«De Saint-Louis pour Port-Étienne: D’accord. Donnons des ordres.»

«De Saint-Louis pour Juby: Sans nouvelles France-Amérique stop. Descendez urgence Port-Étienne.»

* * * * *

Juby.

Un mécanicien revient à moi:

– Je vous mets l’eau dans le coffre avant gauche, les vivres dans le coffre droit, à l’arrière une roue de secours et la boîte de pharmacie. Dix minutes. Ça va?

21
{"b":"125324","o":1}