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– Non, Foma! je ne te laisserai pas partir ainsi! s’écria mon oncle et, le rejoignant, il le prit par la main.

– Vous voulez donc employer la force? demanda l’autre avec arrogance.

– Oui, Foma, s’il le faut, j’emploierai la force! répondit mon oncle tremblant d’émotion. Tu en as trop dit: il faut t’expliquer. Tu as mal compris ma lettre, Foma!

– Votre lettre? hurla Foma en s’enflammant instantanément, comme s’il n’eût attendu que ces paroles pour faire explosion. – Votre lettre! La voici, votre lettre! la voici! Je la déchire, cette lettre! Je la piétine, votre lettre! et, ce faisant, j’accomplis le plus sacré devoir de l’humanité! Voilà ce que je fais, puisque vous me contraignez à des explications. Voyez! voyez! voyez!

Et les fragments de la lettre s’éparpillèrent dans la chambre.

– Foma, criait mon oncle en pâlissant de plus en plus, je te répète que tu ne m’as pas compris. Je veux me marier, je cherche mon bonheur…

– Vous marier! Vous avez séduit cette demoiselle et vous mentez en parlant de mariage, car je vous ai vu hier soir sous les buissons du jardin!

La générale fit un cri, et s’affaissa dans son fauteuil. Un tumulte effrayant s’ensuivit. L’infortunée Nastenka restait immobile sur son siège, comme morte. Sachenka, effrayée et qu’on eut dite en proie à un accès de fièvre, tremblait de tous ses membres en serrant Ilucha dans ses bras.

– Foma, criait furieusement mon oncle, si tu as le malheur de divulguer ce secret, tu commettras la plus basse action du monde!

– Je vais le divulguer, votre secret! hurlait Foma, et j’accomplirai la plus noble des actions! Je suis envoyé par Dieu lui-même pour flétrir les ignominies des hommes. Je monterai sur le toit de chaume d’un paysan et je crierai votre acte ignoble à tous les propriétaires voisins, à tous les passants!… Oui, sachez tous, tous! que, cette nuit, je l’ai surpris dans le parc, dans les taillis, avec cette jeune fille à l’air si innocent!

– Quelle horreur! minauda la demoiselle Pérépélitzina.

– Foma! tu cours à ta perte! criait mon oncle les poings serrés et les yeux étincelants. Mais Foma continuait à brailler:

– Et lui, épouvanté d’avoir été vu, il a osé tenter de me séduire, moi, honnête, loyal, par une lettre menteuse, afin de me faire approuver son crime… Oui, son crime! car, d’une jeune fille pure jusqu’alors, vous avez fait une…

– Encore un seul mot outrageant à son adresse, Foma, et je jure que je te tue!

– Ce mot, je le dis, oui, de la jeune fille la plus innocente jusqu’alors, vous êtes parvenu à faire la dernière des dépravées.

Foma n’avait pas encore prononcé ce dernier mot, que mon oncle l’empoignait et, le faisant pirouetter comme un fétu de paille le précipitait à toute volée contre la porte vitrée qui donnait sur la cour. Le coup fut si rude que la porte céda, s’ouvrit largement et que nous vîmes Foma, dégringolant les sept marches du perron, aller s’écraser dans la cour au milieu d’un grand fracas de vitres brisées.

– Gavrilo! ramasse-moi ça! cria mon oncle plus pâle qu’un mort, mets-le dans le chariot et que, dans deux minutes, ça ait quitté Stépantchikovo!

Quelle que fût la trame ourdie par Foma, il est assez probable qu’il était loin de s’attendre à un pareil dénouement.

Je ne saurais m’engager à décrire la scène qui suivit cette catastrophe: gémissement déchirant de la générale qui s’écroula dans son fauteuil, ébahissement de la Pérépélitzina devant cet inattendu coup d’énergie d’un homme toujours si docile jusque là, les oh! et les ah! des dames pique-assiettes, l’effroi de Nastenka qui faillit s’évanouir et autour de qui s’empressait mon oncle, trépignant à travers la pièce en proie à une indicible émotion devant sa mère sans connaissance, Sachenka folle de peur, les pleurs de Falaléi, tout cela formait un tableau impossible à rendre. Ajoutez qu’un orage formidable éclata juste à ce moment; les éclats du tonnerre se succédaient constamment tandis qu’une pluie furieuse fouettait les vitres.

– En voilà une fête! grommela Bakhtchéiev baissant la tête et écartant les bras.

– Ça va mal! murmurai-je, fort troublé à mon tour, mais, au moins, voilà Foma dehors et il ne rentrera plus!

– Ma mère! avez-vous repris vos sens? Vous sentez-vous mieux? Pouvez-vous enfin m’écouter? demanda mon oncle, s’arrêtant devant le fauteuil de la vieille dame qui releva la tête et attacha un regard suppliant sur ce fils qu’elle n’avait jamais vu dans une telle colère.

– Ma mère, reprit-il, la coupe vient de déborder; vous l’avez vu. Je voulais vous exposer cette affaire tout autrement et à loisir; mais le temps presse et je ne puis plus reculer. Vous avez entendu la calomnie, écoutez à présent la justification. Ma mère, j’aime cette noble jeune fille, je l’aime depuis longtemps et je l’aimerai toujours. Elle fera le bonheur de mes enfants et sera pour vous la fille la plus respectueuse; en présence de tous mes parents et amis, je dépose à vos pieds ma demande, et je prie mademoiselle de me faire l’immense honneur de devenir ma femme.

Nastenka tressaillit. Son visage s’empourpra. Elle se leva avec précipitation. Cependant, la générale ne quittait pas des yeux le visage de son fils; elle semblait en proie à une sorte d’ahurissement, et, soudain, avec un sanglot déchirant, elle se jeta à ses genoux devant lui. Elle criait:

– Yégorouchka! mon petit pigeon! fais revenir Foma Fomitch! Envoie-le chercher tout de suite ou je mourrai avant ce soir!

Mon oncle fut atterré de voir agenouillée devant lui, sa vieille mère si tyrannique et si capricieuse. Une expression de souffrance passa sur son visage. Enfin, revenu de son étonnement, il se précipita pour la relever et l’installer dans le fauteuil.

– Fais revenir Foma Fomitch, Yégorouchka! continuait à gémir la générale, fais-le revenir, le cher homme, je ne peux vivre sans lui!

– Ma mère! exclama douloureusement mon oncle, n’avez-vous donc rien entendu de ce que je vous ai dit? Je ne peux faire revenir Foma, comprenez-le! Je ne le puis pas et je n’en ai pas le droit après la basse et lâche calomnie qu’il a jetée sur cet ange d’honnêteté et de vertu. Comprenez, ma mère, que l’honneur m’ordonne de réparer le tort causé à cette jeune fille! Vous avez entendu: je demande sa main et je vous supplie de bénir notre union.

La générale se leva encore de son fauteuil et alla se jeter à genoux devant Nastenka.

– Petite mère! ma chérie! criait-elle, ne l’épouse pas! Ne l’épouse pas et supplie-le de faire revenir Foma Fomitch! Mon ange! chère Nastassia Evgrafovna! Je te donnerai, je te sacrifierai tout si tu ne l’épouses pas. Je n’ai pas dépensé tout ce que je possédais; il me reste encore quelque argent de mon défunt mari. Tout est à toi; je te comblerai de biens; Yégorouchka aussi! mais ne me mets pas vivante au cercueil! demande-lui de ramener Foma Fomitch!

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