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– N’êtes-vous jamais allé dans l’église de Spirito Santo à Naples? lui demanda l’inquisiteur.

– Si, répondit le jeune homme.

– N’y avez-vous pas montré du mépris pour la foi catholique?

– Jamais.

– Rappelez vos souvenirs. N’y avez-vous jamais insulté un ministre de la sainte Église?

Vivaldi garda le silence. Il commençait à reconnaître que la principale accusation portée contre lui pouvait bien être le crime d’hérésie.

L’inquisiteur répéta sa question:

– Parlez, dit-il, n’avez-vous pas insulté un ministre de la religion dans l’église de Spirito Santo?

– Et ne l’avez-vous pas insulté, dit une autre voix, pendant qu’il accomplissait un acte de pénitence?

Vivaldi tressaillit: cette voix était celle du moine des ruines de Paluzzi.

– Qui m’a posé cette dernière question? demanda-t-il.

– Vous êtes ici pour répondre et non pour interroger, reprit l’inquisiteur. Répondez.

– J’ai pu en effet offenser un ministre de l’Église, dit le jeune homme, je n’ai jamais eu l’intention d’insulter notre sainte religion. Vous ne savez pas, mes révérends pères, par quelles injures j’avais été provoqué.

– Il suffit. Répondez seulement à ma question. N’avez-vous pas, par des insultes et des menaces, forcé un saint religieux à interrompre un acte de pénitence et à sortir de l’église?

– Non, mon père, répliqua l’accusé. S’il eût répondu à des questions que j’avais le droit de lui poser, s’il m’eût promis de me rendre la personne qu’il m’avait enlevée par une lâche trahison, rien ne l’eût obligé de quitter l’église.

– Où avez-vous vu, pour la première fois, Elena Rosalba? demanda la même voix qui s’était déjà fait entendre en dehors du tribunal.

– Je demande encore, dit Vivaldi, quelle est la personne qui me pose cette question?

– Et moi, je vous répète, reprit l’inquisiteur, qu’un criminel n’a pas le droit d’interroger. Répondez, ou les serviteurs du Saint-Office vont faire leur devoir.

– C’est dans l’église de San Lorenzo que j’ai vu pour la première fois Elena Rosalba.

– Était-elle déjà religieuse? demanda le grand inquisiteur.

– Elle ne l’a jamais été, répondit le jeune homme, et n’a jamais eu la volonté de l’être.

– En quel lieu demeurait-elle alors?

– Elle vivait avec une parente à la villa Altieri, et elle y serait encore sans les artifices et les violences d’un moine qui l’a arrachée de sa maison pour la jeter dans un couvent.

– Le nom de ce moine? dit le questionneur d’un ton pressant.

– Si je ne me trompe, répondit Vivaldi, vous le connaissez fort bien sans que je le nomme. C’est le père Schedoni, dominicain du couvent de Spirito Santo à Naples, le même qui m’accuse de l’avoir insulté dans son église.

– Pourquoi le reconnaissez-vous pour votre accusateur? ajouta la voix de l’inconnu.

– Parce qu’il est mon seul ennemi.

– Votre ennemi? s’étonna l’inquisiteur. Mais, dans votre première déposition, vous avez dit que vous ne vous en connaissiez aucun. Je vous surprends en contradiction avec vous-même.

– On vous avait averti de ne pas aller à la villa Altieri, reprit encore l’inconnu. Pourquoi n’avez-vous pas profité de cet avis?

– Cet avis? C’est vous-même qui me l’avez donné! s’écria Vivaldi. À présent je vous reconnais bien.

– Moi! dit celui qu’on interpellait.

– Vous-même. C’est vous aussi qui m’avez prédit la mort de la signora Bianchi. Ne seriez-vous pas cet ennemi, le père Schedoni lui-même, mon accusateur?

Un murmure confus venant du tribunal succéda à ces paroles, et la voix imposante de l’inconnu s’éleva de nouveau.

– Je déclare ici solennellement, dit-il, que je ne suis pas le père Schedoni.

Le ton et la fermeté avec lesquels l’inconnu fit cette déclaration persuadèrent Vivaldi de sa sincérité. D’ailleurs, quoiqu’il reconnût toujours la voix du moine, il n’y retrouvait pas celle de Schedoni. Il demeura frappé d’étonnement. S’il eût eu les mains libres, il eût tâché d’écarter le voile qui enveloppait sa tête pour voir ce mystérieux personnage. Mais tout ce qu’il put faire fut de le conjurer de révéler son nom et les motifs de sa conduite. Il ne reçut point de réponse, mais un nouveau murmure parcourut la salle. Bientôt après, il entendit quelqu’un s’avancer et donner ordre de le reconduire dans sa prison.

On le ramena au lieu où on l’avait reçu et on le rendit à ses premiers gardiens.

Ceux-ci l’enfermèrent de nouveau dans sa chambre. Là, Vivaldi, épuisé par les diverses émotions qu’il venait d’éprouver, se jeta sur son grabat et tomba bientôt dans un profond assoupissement.

Il y avait environ deux heures qu’il était dans cet état lorsqu’il en fut tiré par la voix qu’il avait entendue aux ruines de Paluzzi et au tribunal. Quelle ne fut pas sa surprise, en ouvrant les yeux, d’apercevoir, debout à côté de son lit, un moine dont le capuchon relevé laissa voir la figure qui lui était apparue dans les ruines. Il tenait à la main une lampe qui, éclairant les profondes rides dont son visage était sillonné, semblait révéler les traces des passions ardentes qui avaient agité sa vie.

Comme Vivaldi se soulevait sur sa couche pour s’assurer de la réalité de cette apparition, ces mots résonnèrent à son oreille:

– On vous a épargné hier, jeune homme, mais aujourd’hui…

– Au nom du ciel, interrompit Vivaldi, au nom de tout ce qu’il y a de plus sacré, qui êtes-vous? Et que me voulez-vous?

– Point de question, répliqua le moine avec autorité. Mais répondez-moi.

Frappé de ce ton impérieux, Vivaldi n’osa renouveler sa demande, et l’étranger continua:

– Depuis quand connaissez-vous le père Schedoni? Quand l’avez-vous vu pour la première fois?

– Je le connais depuis environ un an. Il est le confesseur de ma mère.

– Savez-vous quel est cet homme? reprit le moine. N’avez-vous rien ouï dire de sa vie passée?

Vivaldi hésita un moment. Il se rappela confusément l’histoire incomplète et obscure que Paolo lui avait racontée dans les souterrains de Paluzzi, au sujet d’une confession reçue dans l’église des Pénitents Noirs. Mais il n’osait assurer que ce récit se rapportât à Schedoni.

Le moine renouvela sa question:

– N’avez-vous jamais rien ouï dire d’extraordinaire concernant le père Schedoni?

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