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– Où donc est-elle – celle-là qui avait un si grand soin de nous? Et qu’as-tu fait de ta jeune amie?

– Ne reviendra-t-elle plus? disait la petite glace entourée d’un humble cadre de bois de sapin verni, ne reviendra-t-elle plus celle-là qui, coquette pour toi seul, venait me demander des conseils? J’étais l’innocent complice de sa beauté modeste, et quand elle ondulait devant moi ses cheveux blonds, j’aimais à lui dire: «Tu es belle, ma pauvre fille du peuple; le printemps de la jeunesse sourit dans tes yeux bleus comme le ciel d’une aube de mai, et l’amour qui bat dans ton cœur fait monter à ton front une pourpre charmante. Tu regardes tes mains, et tu fais une petite moue en voyant tes doigts mutilés par l’aiguille et les travaux du ménage. Ah! ne les cache pas ces marques de ton labeur diligent, sois-en fière et montre-les; pour celui qui t’aime elles te parent plus que les bijoux les plus chers.» – Hélas! ne reviendra-t-elle pas, et ne réfléchirai-je plus son image?

– Où donc est-elle, demandait la commode, où donc est-elle l’enfant soigneuse et économe, qui jadis était si heureuse en rangeant les frêles trésors de sa coquetterie? Il fut un temps où mes tiroirs étaient pleins, et sa joie était grande à cette époque de prospérité et d’abondance où elle avait peine à me faire contenir toutes ces petites choses qui la rendaient si heureuse. Mais tour à tour sont partis et le beau châle d’hiver, et la chaude robe de laine, et l’écharpe aux couleurs vives qui semblait un arc-en-ciel flottant, et les petits peignoirs d’été qu’elle mettait le dimanche pour aller cueillir les roses dans les plaines fleuries de Fontenay. Puis un jour mes tiroirs se sont trouvés vides, et ne contenaient plus que les papiers gris du mont-de-piété, contre lesquels toutes ces pauvres richesses avaient été échangées. Hélas! Où donc est-elle, et ne reviendra-t-elle plus, la fille sage et économe qui avait si soin de nous?

Et comme Ulric, pour fuir ces voix qui l’emplissaient de tristesse, s’était réfugié sur la terrasse, il aperçut, au milieu du petit jardin planté par son amie, un oranger en caisse dont il lui avait fait cadeau le jour de sa fête, et il entendit le frêle arbuste qui disait: «Où donc est-elle, celle à qui tu m’as donné par un beau jour de fête?» Il faut qu’elle soit malade ou morte, pour m’avoir oublié toute une nuit sur cette terrasse, où la neige glaciale m’a vêtu de blanc comme d’un linceul. Hier au matin je l’ai vue encore; elle m’avait mis là parce qu’il faisait un peu de soleil, et que j’avais froid dans la chambre où l’on ne faisait plus de feu. Où donc est-elle, pour m’avoir oublié, elle qui m’aimait tant et que j’ai rendue si heureuse à l’époque de ma floraison? Hélas! le froid de la nuit m’a tué et je ne refleurirai plus, et quand reviendra le printemps, ses premières brises trouveront mes rameaux morts et mes feuilles fanées. Hélas! où donc est-elle celle, à qui tu m’as donné par un beau jour de fête?

Sous l’impression des sentiments qu’il éprouvait en ce moment, Ulric s’épouvanta lui-même en voyant dégagé de tout raisonnement sophistique, le monstrueux égoïsme qui lui servait de mobile.

– Je suis fou, s’écria-t-il; ma conduite avec cette pauvre fille est plus que stupide, elle est odieuse… Je vais la perdre, et avec elle tout le bonheur, toute la jeunesse qu’elle avait su me rendre par cet amour dévoué qui ne s’est pas démenti jusqu’au dernier moment. Oh! non! non! ma pauvre Rosette, tu ne mourras pas!

Ulric courut tout d’une haleine chez son notaire, et le rencontra au moment même où celui-ci se disposait à aller en soirée.

– Monsieur, lui dit Ulric, les raisons pour lesquelles j’avais quitté le monde n’existent plus; je quitte mon incognito et je rentre dans la société; je reprends possession de ma fortune; je vous prie donc, dans le plus court délai qui vous sera possible, de réunir les fonds que j’ai déposés chez vous. En attendant, et pour l’heure présente, de quelle somme pouvez-vous disposer?

– Monsieur le comte, répondit le notaire, je puis sur-le-champ vous remettre vingt-cinq mille francs.

– C’est bien, dit Ulric: je vais vous en signer la quittance. Mais ce n’est pas tout, j’ai un autre service à vous demander.

– Je suis entièrement à vos ordres.

– Il faut, dit Ulric, que d’ici à deux jours vous m’ayez procuré un appartement habitable pour deux personnes. Comme je n’ai pas le temps de m’occuper de tous ces détails, je vous prierai également de me trouver un homme d’affaires intelligent, qui s’occupera de l’ameublement. Je veux que tout y soit sur le pied le plus confortable, qu’on n’épargne rien. Je ne puis pas accorder plus de deux jours.

– Je prends l’engagement de ne point dépasser ce délai d’une heure, répondit le notaire; dans deux jours, j’aurai l’honneur de vous faire prévenir.

Le lendemain matin Ulric courut à l’hôpital pour voir sa maîtresse, et lui avouer qui il était. Elle était hors d’état de le comprendre; la fièvre cérébrale s’était déclarée pendant la nuit, et elle avait le délire.

Ulric voulait l’emmener, mais les médecins s’opposèrent au transport; néanmoins ils donnèrent quelque espérance.

Au jour fixé, l’appartement du comte Ulric de Rouvres était préparé. Ulric y donna rendez-vous pour le soir même à trois des plus célèbres médecins de Paris. Puis il courut chercher Rosette.

Elle venait de mourir depuis une heure. Ulric revint à son nouveau logement, où il trouva son ancien ami Tristan, qu’il avait fait appeler, et qui l’attendait avec les trois médecins.

– Vous pouvez vous retirer, messieurs, dit Ulric à ceux-ci. La personne pour laquelle je désirais vous consulter n’existe plus.

Tristan, resté seul avec le comte Ulric, n’essaya pas de calmer sa douleur, mais il s’y associa fraternellement. Ce fut lui qui dirigea les splendides obsèques qu’on fit à Rosette, au grand étonnement de tout l’hôpital. Il racheta les objets que la jeune fille avait emportés avec elle, et qui, après sa mort, étaient devenus la propriété de l’administration. Parmi ces objets se trouvait la petite robe bleue, la seule qui restât à la pauvre défunte. Par ses soins aussi, l’ancien mobilier d’Ulric, quand il demeurait avec Rosette, fut transporté dans une pièce de son nouvel appartement.

Ce fut peu de jours après qu’Ulric, décidé à mourir, partait pour l’Angleterre.

Tels étaient les antécédents de ce personnage au moment où il entrait dans les salons du café de Foy.

L’arrivée d’Ulric causa un grand mouvement dans l’assemblée. Les hommes se levèrent et lui adressèrent le salut courtois des gens du monde. Quant aux femmes, elles tinrent effrontément pendant cinq minutes le comte de Rouvres presque embarrassé sous la batterie de leurs regards, curieux jusqu’à l’indiscrétion.

– Allons, mon cher trépassé, dit Tristan en faisant asseoir Ulric à la place qui lui avait été réservée auprès de Fanny, signalez par un toast votre rentrée dans le monde des vivants. Madame, ajouta Tristan en désignant Fanny, immobile sous son masque, madame vous fera raison. Et vous, dit-il tout bas à l’oreille de la jeune femme, n’oubliez pas ce que je vous ai recommandé.

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