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Ulric courut au rendez-vous que lui donnait l’orpheline. Elle venait seulement d’arriver. Sans parler, elle prit le bras d’Ulric, et le jeune homme s’aperçut que son cœur battait avec violence. Son visage était pâle, fatigué, et laissait voir des traces d’une rosée de larmes. Il la conduisit dans une allée peu fréquentée, et la fit asseoir auprès de lui sur un banc désert.

– Qu’est-il arrivé, Rosette? demanda Ulric.

– Ne l’avez-vous pas deviné en lisant ma lettre? répondit la jeune fille en baissant les yeux. Oh! c’est horrible, ce qu’on a dit! ajouta-t-elle précipitamment, et une rougeur d’indignation empourpra son visage.

– Et bien, dit Ulric, qu’a-t-on pu dire? que j’étais votre amant, n’est-ce pas?

– Si on n’avait dit que cela, je ne souffrirais pas tant, continua Rosette, – car ce serait seulement ma vertu qu’on attaquerait; – mais c’est plus horrible. On a dit que nous avions joué tous les deux une comédie, le jour même où ma mère est morte. Ce service que vous m’avez si généreusement rendu sans me connaître, on a dit que c’était une spéculation, un marché… conclu et payé… devant le corps de ma mère…

– C’est odieux! On a dit cela? fit Ulric.

– Et depuis quelques jours tout le monde le répète dans la maison, dit Rosette.

– Eh bien, ma pauvre enfant, que voulez-vous y faire? Ce que vous m’apprenez ne m’étonne pas. Je comprends que vous vous soyez indignée de cette monstrueuse calomnie; mais, à vrai dire, j’eusse été surpris davantage si elle n’avait pas été faite. Il y a des gens qui ne peuvent pas comprendre qu’on fasse le bien seulement pour le bien; nous avons affaire à ces gens-là, et quoi que nous disions, quoi que nous fassions, l’honnêteté de nos relations sera toujours criminelle à leurs yeux.

En ce moment une ombre passa rapidement devant le banc sur lequel ils étaient assis, et une voix leur jeta ces mots en passant: Bonsoir, les amoureux!

Rosette tressaillit et se serra auprès d’Ulric.

Tous deux venaient de reconnaître la voix d’une de leurs voisines.

IV

Peu de jours après leur entrevue au jardin des plantes, Ulric et Rosette quittaient ensemble la maison où ils s’étaient connus, et emménageaient dans un logement commun, situé dans une des rues désertes et tranquilles qui avoisinent le Luxembourg.

Sa liaison avec Rosette n’avait été dans le principe pour Ulric que le résultat d’une affection tranquille et presque protectrice que la jeune orpheline lui avait tout d’abord inspirée. Mais peu à peu, à sa grande surprise et à sa grande joie, comme un homme qui recouvre tout à coup un sens perdu, il comprit qu’il aimait Rosette.

Alors une nouvelle existence commença pour lui. Cette misanthropie amère, ce dégoût obstiné des hommes et des choses qui auparavant se trahissaient dans toutes ses réflexions et dans ses moindres paroles, s’adoucirent graduellement, et son esprit retrouva le chemin qui conduit aux bonnes pensées.

Cependant quelquefois, par une brusque transition, il lui arrivait de retomber dans les ombres de l’incertitude, un souvenir importun des jours passés apparaissait tout à coup devant lui, comme une fatale prophétie de l’avenir. Il voyait alors se dresser devant lui le fantôme jaloux des femmes qu’il avait aimées jadis, et toutes lui criaient: «Souviens-toi de nos leçons! Comme toutes celles qui ont tenté de faire battre ton cœur si bien pétrifié, ta nouvelle idole te prépare une déception: fuis-la donc aussi, celle-là qui est notre sœur à nous toutes, qui t’avons trompé. D’ailleurs, tu te trompes toi-même en croyant l’aimer: – les cadavres remuent quelquefois dans leur tombe; – tu as pris un tressaillement de ton cœur pour une résurrection, ton cœur est bien mort…»

Mais, en relevant la tête, Ulric apercevait devant lui Rosette, heureuse et belle, Rosette, dont le cœur, gonflé d’amour et de juvénile gaieté, semblait, comme un vase trop plein, déborder par ses lèvres en flots de sourires. Alors, en regardant ce doux visage, en écoutant cette voix vibrante d’une douceur sonore, Ulric croyait voir dans sa maîtresse la fée souriante de sa vingtième année, et il l’entendait lui dire:

– C’est moi qui suis ta jeunesse, ta jeunesse dont tu t’es si mal servi. Tu m’as renvoyée avant l’heure, et pourtant je reviens vers toi. J’ai de grands trésors à prodiguer, et quand tu les auras dépensés, j’en aurai encore d’autres. Laisse-toi conduire où je veux te mener: c’est à l’amour. Tu t’es trompé, et l’on t’a trompé, toutes les fois que tu as cru aimer; cette fois ne repousse pas l’amour sincère. Celle qui te l’apporte a les mains pleines de bonheur, et elle veut partager avec toi. Laisse-toi rendre heureux; il est bien temps.

Alors Ulric, couvrant de baisers insensés le visage et les mains de sa petite Rosette, entrait dans une exaltation dont la jeune fille s’étonnait et s’effrayait presque. Il lui parlait avec un langage dont le lyrisme, souvent incompréhensible pour elle, faisait craindre à Rosette que son amant ne fût devenu fou.

– Merci! mon dieu! s’écriait Ulric, vous êtes bon! La vie a longtemps été pour moi un lourd fardeau, vous le savez. Il est arrivé un moment où nulle force humaine n’aurait pu le supporter; j’ai failli fléchir et m’en débarrasser par un crime. Vous l’avez vu. J’ai douté un instant de votre justice souveraine; puis au bord de l’abîme où j’étais penché déjà, j’ai crié vers vous du fond de mon âme: «Ayez pitié de moi!» Vous m’avez entendu, vous avez envoyé cette femme à mon côté, et vous m’avez sauvé par elle. Merci! mon dieu! vous êtes bon!

– Comme tu m’as aimé à temps, ma pauvre Rosette! et comme tu as bien fait de m’aimer! si tu savais… Maintenant, je ne suis plus le même qu’autrefois. Le bain de jouvence de ton amour m’a métamorphosé. Dans moi, hors moi, tout est changé. J’ai laissé au fond de mon passé ténébreux tout ce que j’avais de flétri: passions mauvaises, instincts haineux, mépris des hommes. Je renais à la lumière du jour, pur comme un enfant; je salue la vie comme une bonne chose que j’ai longtemps maudite, dédaignée; et cela, je le dis en vérité, parce que je t’aime, et parce que tu m’aimes.

Rosette, dont l’esprit n’avait pas fréquenté le dictionnaire familier aux passions exaltées, comme l’était devenue celle d’Ulric, ne comprenait peut-être pas bien les mots dont il se servait, mais sous l’obscurité du langage elle devinait le sens, et, à défaut de paroles, elle répondait par des caresses.

Pendant près d’un an ce fut une belle vie.

Ulric et Rosette continuaient à travailler chacun de son côté; et comme ils menaient l’existence régulière et tranquille des ménages d’ouvriers laborieux et honnêtes, on les croyait mariés, et plus d’une fois leurs voisins leur firent des avances pour établir entre eux des relations de voisinage.

Mais l’un et l’autre avaient préféré rester dans la solitude de leur amour, et s’étaient obstinément efforcés à vivre en dehors de toute relation avec les étrangers.

Un jour, pendant l’absence de Rosette, Ulric reçut la visite d’un jeune homme qui lui apportait une lettre.

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