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Au moment où elle s’y attendait le moins, Clarisse, qui était appuyée contre la porte, la sentit fléchir sous elle…

– Il a ouvert! Il a ouvert. Merci, messieurs, je rentre bien vite… Ah! j’ai eu bien peur, ajouta-t-elle en regardant Octave, qui paraissait tout stupéfait. Adieu! dit-elle; et elle disparut, fermant la porte derrière elle.

– Eh bien, dit le bonhomme Jadis à Octave, qui ne bougeait pas, est-ce que nous allons coucher là, mon jeune ami?

– Non, non, répondit machinalement Octave en regardant toujours la porte; le portier avait pourtant dit qu’il n’ouvrirait pas, ajouta-t-il.

– Oui, mais il a ouvert; c’est égal, dit le vieillard, vous êtes en bon chemin maintenant. C’est toujours tout droit; et comme vous allez d’un assez bon pas, à ce que j’ai pu voir, vous arriverez. Et maintenant, allons nous coucher.

Arrivés à leur porte, Octave et le bonhomme Jadis recommencèrent le même manège qu’ils venaient de faire à la porte de Mademoiselle Clarisse. Ce ne fut qu’au bout d’un grand quart d’heure que le portier consentit à leur ouvrir.

Octave se jeta sur son lit et ne dormit presque pas. Le lendemain, dès le matin, – il était installé à la petite fenêtre donnant sur le jardin de l’institution de demoiselles. À l’heure de la récréation des élèves, Octave aperçut enfin mademoiselle Clarisse. Elle était assise sur un petit banc appuyé au mur, et justement situé dans une perpendiculaire directe au-dessous de la fenêtre du jeune homme. Tout à coup un petit papier attaché à un petit morceau de bois tomba sur le livre qu’elle tenait à la main. La jeune fille releva la tête et aperçut Octave; – elle lui sourit en mettant un doigt sur sa bouche, ramassa le petit papier et le mit dans sa poche; puis, la cloche ayant sonné pour la rentrée en classe, elle disparut avec ses élèves. Octave sauta en bas de la fenêtre et exécuta une danse folle.

– Bravo!… bravo! cria une voix qui venait d’une fenêtre de la cour.

Octave courut à sa croisée – qui était resté ouverte – et il aperçut le bonhomme Jadis qui jardinait comme de coutume.

– Eh bien, nous savons donc danser maintenant? dit le vieillard.

Octave lui répondit par un sourire accompagné par un geste amical.

Le soir du même jour, le portier monta tout essoufflé et tout effaré…

– Monsieur Octave, dit-il… c’est extraordinaire… ce qui arrive…

– Quoi donc? demanda le jeune homme avec inquiétude.

– Une lettre… une lettre pour vous!… C’est une dame qui l’a apportée… Nous en avons été saisis, ma femme et moi…

– Donnez donc vite, s’écria Octave en prenant la lettre des mains du portier, sur qui il referma sa porte.

Quelques jours après, – le matin, – comme le bonhomme Jadis arrosait ses fleurs, il entendit un duo d’éclats de rire qui s’échappait de la chambre d’Octave.

– Ah! dit le bonhomme en se frottant les mains, je n’ai plus besoin de déménager; j’ai mon affaire en face de moi, ça me rappellera Jacqueline. Vingt ans! et pas d’amourettes! c’était trop fort aussi… À la bonne heure, maintenant. – Il faut bien se ranger. Tra deri, deri dera.

Les amours d’Olivier

I

Olivier avait vingt ans. La poésie n’avait d’abord été chez lui qu’une maladie de la première jeunesse, qu’un premier amour avait fort envenimée, et que plus tard la fréquentation de jeunes gens voués à l’art avait rendue chronique. Le père d’Olivier, homme très rigide et très positif, voulait faire suivre à son fils la carrière du commerce, et dans cette intention il avait envoyé Olivier prendre des leçons de tenue de livres chez un professeur du quartier. C’était un homme déjà vieux, ayant mené longtemps la vie des joueurs et des débauchés, et le moins habile physionomiste aurait lu facilement sur sa figure la carte de tous les mauvais penchants. À quarante-cinq ans cet homme, qui s’appelait M. Duchampy, avait épousé une jeune fille qu’il avait séduite. À l’époque où Olivier vint prendre des leçons chez lui, M. Duchampy était marié depuis quelques années; sa femme avait vingt-quatre ans. C’était une femme de cette race frêle et maladive, où les poètes de l’école poitrinaire vont ordinairement chercher leur idéal. Madame Duchampy possédait toutes les grâces langoureuses et attractives de ces sortes de tempéraments, hypocrites quelquefois, et qui, sous une apparence de faiblesse, cachent de grandes provisions de force et d’ardeur. Ses yeux d’un bleu indécis s’allumaient parfois d’un éclair fugace aux lueurs duquel son visage, ordinairement calme et pâle, s’animait et se colorait à la fois. Mais ce n’étaient là que de rares accidents, de passagères éruptions de vie, résultant peut-être d’un flux de jeunesse et de passion comprimées. Sans être précisément un appel à la pitié, son sourire excitait l’intérêt, et paraissait accuser confusément une vie de souffrances ignorées dont la confidence, faite de sa voix lente et douce, pouvait être souhaitée par un jeune homme enclin à l’élégie. Madame Duchampy restait souvent le soir dans la salle d’étude où Olivier venait prendre sa leçon quotidienne. Elle travaillait à quelque ouvrage de tapisserie ou donnait ses soins à une petite fille de deux ans, qui, dans les bras de sa mère, semblait une fleur mourante attachée à un arbrisseau malade. Pendant que son professeur s’occupait auprès de ses autres élèves, Olivier détournait les yeux de ses cahiers noirs de chiffres, et regardait Madame Duchampy, qui s’arrangeait toujours de façon à être surprise dans quelque attitude de coquetterie maternelle.

Il arriva une chose bien simple: c’est qu’Olivier n’apprit aucunement la tenue des livres, et qu’il devint parfaitement amoureux de la femme de son professeur. Un soir madame Duchampy se trouvant seule avec Olivier, elle lui fit ses confidences. C’était quelques jours après la mort de sa petite fille. Olivier tomba à ses genoux et laissa couler sur ses mains ces larmes toutes chaudes de sincérité qui gonflent les cœurs naïfs. Il eut toute l’éloquence de l’inexpérience. Il exprima la passion réelle avec l’accent vrai, et il fut écouté d’autant plus qu’il était attendu. À compter de ce jour-là Madame Duchampy s’appela Marie pour Olivier.

Cependant, quoi qu’il eût fait pour enrayer ses progrès, afin d’avoir un prétexte pour venir dans la maison, au bout de six mois de leçons Olivier en savait assez pour entrer dans n’importe quel comptoir commercial. Son professeur le lui déclara un jour; mais il ajouta: «J’espère néanmoins que cela ne vous empêchera pas de venir nous voir, et le plus souvent sera le mieux.» Olivier vint hardiment tous les jours.

Le professeur ne paraissait aucunement s’inquiéter de cette assiduité. Il en connaissait parfaitement le motif; mais il savait à quoi s’en tenir sur les relations de ce jeune homme avec sa femme, et se tenait rassuré sur l’innocence de cette passion, qui vivait dans l’outre-mer du platonisme le plus pur. Un jour M. Duchampy surprit une lettre que le poète écrivait à Marie. Cette épître, que le pudique Joseph lui-même aurait signée sans difficulté, commençait par ces mots: «Ma sœur!» M. Duchampy poussa un grossier éclat de rire.

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