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– Et vous, demanda-t-il à sa femme, le nommez-vous mon frère? Cela serait curieux. Mais en vous appelant ainsi de ces noms fraternels, ne savez-vous point que vous semez tout simplement de la graine d’inceste dans le terrain de l’adultère?

– Olivier est un enfant, dit Marie; c’est de l’amitié qu’il a pour moi, c’est de la pitié que j’ai pour lui. Voilà tout, vraiment; mais, si vous le désirez, je le renverrai.

– Non pas! répliqua le mari. À moins qu’il ne vous ennuie trop avec son amour bleu de ciel. Gardez-le, cela m’est égal.

Au fond, M. Duchampy était réellement fort indifférent. Il n’aimait sa femme que comme un être docile et silencieux sur lequel il pouvait à loisir épancher ses colères quand il avait perdu au jeu. D’un autre côté, l’assiduité d’Olivier lui servait de prétexte pour s’échapper de son ménage et courir de honteux guilledous.

Les amours de Marie avec Olivier durèrent dix-huit mois, pendant lesquels ils ne s’écartèrent point des pures régions du sentiment. Au bout de ce temps, des pertes successives faites au jeu engagèrent M. Duchampy dans d’assez méchantes affaires, compliquées de faux. Il fut forcé de fuir en Angleterre pour éviter des poursuites. Sa femme resta à Paris, sans ressources. Olivier, qui jusqu’alors n’était resté avec Marie que du matin jusqu’au soir, y resta une fois du soir jusqu’au matin: c’était une nuit d’hiver, une de ces longues nuits, si longues et si dures pour les pauvres, si courtes et si douces pour ceux qui les passent les bras au cou d’une femme aimée. Mais le réveil de cette nuit fut terrible. Madame Duchampy était avertie qu’elle allait être poursuivie comme complice de son mari, affilié à une société de gens suspects. Voyant la liberté de sa maîtresse menacée, et sans réfléchir un seul moment qu’il pouvait se compromettre en la dérobant aux poursuites dont elle était l’objet, Olivier voulut sauver celle qui n’avait désormais d’autre appui que lui. Comme il ne pouvait l’emmener dans la maison de son père, où il logeait, Olivier pensa à un jeune peintre de ses amis qui, outre l’atelier où il travaillait, possédait dans un quartier voisin une chambre qui lui servait seulement pour coucher. Urbain consentit à céder cette chambre à Olivier, qui vint y cacher sa maîtresse. Urbain venait quelquefois passer la soirée avec les deux jeunes gens à qui il donnait l’hospitalité. Après plusieurs visites il revint un jour pendant l’absence d’Olivier, et passa beaucoup de temps avec Marie; le lendemain il revint de nouveau, et aussi le surlendemain. Le troisième jour, en rentrant le soir, Olivier ne trouva plus personne dans la chambre: – Marie était partie, laissant pour Olivier une lettre très laconique.

Elle lui apprenait qu’ayant reçu avis qu’on avait découvert son refuge, elle avait dû en chercher un autre chez une parente. Olivier ne lui en connaissait pas. Dans sa lettre Marie conseillait à son amant de ne point compromettre sa sûreté en cherchant à la voir, et lui ajournait à huit jours de là une entrevue, le soir, place Saint-Sulpice.

Olivier courut à l’atelier d’Urbain, pour lui apprendre ce qui lui arrivait.

Le peintre le reçut avec un air embarrassé.

– J’étais allé dans ma chambre tantôt pour prendre quelque chose dont j’avais besoin, dit Urbain. J’ai trouvé Marie en émoi: elle venait de recevoir l’avis dont elle parle dans la lettre; elle est partie sur-le-champ… Je l’ai accompagnée, ajouta-t-il maladroitement.

– Alors, tu sais où elle est? dit Olivier avec vivacité.

– À peu près, répondit le peintre, mais ce secret n’est point le mien, et je ne puis rien te dire. Qu’il te suffise de savoir que Marie est en sûreté; et comprends bien que, pour un certain temps, toi, qui es peut-être surveillé aussi, suivi sans doute, il importe, et la prudence l’exige, que tu cesses de voir Marie. Au reste, ajouta Urbain, je suis tout à toi, et je ferai auprès de ta maîtresse toutes les commissions dont tu me chargeras.

Olivier n’eut aucun soupçon. Au jour que lui avait indiqué Marie, il se trouva le soir place Saint-Sulpice; l’heure désignée avait déjà sonné et Marie n’était pas encore arrivée. Au moment où il commençait à perdre patience, il aperçut venir Urbain.

– Marie est malade et ne peut sortir ce soir, dit le peintre.

– Malade! fit Olivier, pâle d’angoisse. Conduis-moi vers elle.

– Non, reprit Urbain, elle me l’a défendu. Olivier regarda son ami, qui, malgré lui, baissa les yeux.

– Je veux voir Marie absolument, dit Olivier, entends-tu cela? ce soir, tout de suite, sans retard. Arrange-toi comme tu voudras; qu’elle vienne ou que j’aille la trouver. Choisis, il faut que je la voie.

– C’est bien, dit Urbain, qui paraissait inquiet. Je vais aller dire à Marie, malade, brûlée par la fièvre, qu’elle quitte son lit pour courir la rue, sous les frissons d’un ciel noir; je lui dirai que, dût-elle arriver en rampant sur le pavé et tomber morte sur cette place, il faut qu’elle vienne.

– Pourquoi ne veux-tu pas me conduire chez elle? dit Olivier doucement.

– Parce qu’elle ne peut point te recevoir là où elle est; ce n’est pas chez elle.

– Mais elle te reçoit bien, toi.

– Je ne suis pas son amant, moi, je ne suis que son ami à peine, et le tien; le trait d’union qui vous unit, voilà tout ce que je suis. Que décides-tu? Demain… après… dans quelques jours Marie pourra sortir sans danger pour sa santé et pour sa liberté. Attends.

– Je n’attendrai pas une minute, dit Olivier; va chercher Marie.

– C’est bien, répondit Urbain, j’y vais. Une idée terrible traversa l’esprit d’Olivier. Marie est chez Urbain, lui cria un instinct prophétique; et il s’élança sur les traces du peintre, le rejoignit, et sans avoir été aperçu, le vit entrer chez lui. Olivier se cacha dans un angle obscur du voisinage pour surprendre Urbain au moment où il sortirait. Au bout de quelques instants le peintre sortit de la maison où était son atelier; il n’était point seul, quelqu’un l’accompagnait, c’était un jeune homme.

Olivier respira plus librement, seulement son inquiétude n’avait pas cessé.

Comment Urbain, qui l’avait quitté pour aller chercher Marie, revenait-il avec un jeune homme et non avec Marie? et si ç’avait été elle, comment et pourquoi se serait-elle trouvée chez Urbain? Olivier se posait toutes ces questions en rejoignant à la hâte la place Saint-Sulpice par un chemin plus abrégé que celui pris par Urbain. Aussi arriva-t-il quelques secondes avant lui.

– Et Marie? cria Olivier en voyant Urbain s’avancer sur la place, où est-elle, Marie?

– Me voilà, répondit une voix, la voix du compagnon d’Urbain, qui n’était autre que Marie sous des habits d’homme.

– Ah! fit Olivier… C’était donc toi, tout à l’heure!

– Mais le cri de sa maîtresse, la révélation subite de la trahison d’Urbain, avaient frappé Olivier au cœur;

– il chancela comme un homme qui vient de recevoir une balle, et sans l’appui d’un arbre qui se trouvait derrière lui, il serait tombé sur le pavé.

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