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Mais le troisième après-midi, quand même, avant qu'elle parte, il lui demanderait quel était son nom.

Hélène. Hélène, bon. Pas mal, comme prénom. Et qu'est-ce qu'elle faisait dans la vie? Elle mettrait un petit moment à répondre.

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Cependant, Baumgartner essaie de garer son automobile devant un grand hôtel de bord de mer situé à Mimizan-Plage, au nord-ouest des Pyrénées-Atlantiques, en marge du territoire qu'il sillonne ordinairement ces temps-ci. L'hôtel n'a pas l'air formidable mais il est difficile de trouver quelque chose en cette saison, d'ailleurs cet établissement lui-même est comblé: son vaste parc de stationnement regorge d'immatriculations allogènes, Baumgartner a bien fait de réserver.

Il roule donc très lentement le long des allées du parking, croisant des couples et des familles vêtus d'effets courts et colorés, en marche vers les bains de mer. Le soleil cogne sur le panorama, le goudron brûle et les enfants qui vont pieds nus sautillent en protestant. Toutes les places de ce parc sont occupées, aucune ne se libère, tout cela traîne en longueur, Baumgartner pourrait s'énerver mais il a tout son temps, chercher un emplacement lui permet au contraire d'occuper ce temps. Il évite soigneusement de garer sa voiture sur les emplacements dont un marquage au sol, pictogramme de fauteuil roulant, précise qu'ils sont réservés aux handicapés. Non que Baumgartner soit spécialement civique ni spécialement sensible au sort de ces personnes, non, confusément c'est juste histoire de ne pas risquer de se retrouver handicapé lui-même par retour d'on ne sait quoi, sous l'effet d'on ne sait quelle contagion.

Cette question de stationnement résolue, Baumgartner extrait sa valise du coffre de la Fiat et se dirige vers l'entrée de l'hôtel. Il n'y a pas longtemps que la façade a dû être repeinte, des constellations lactées s'étirent discrètement dans quelques-uns de ses angles et le hall baigne dans une odeur de badigeon blanc, aigre et frais, qui rappelle celle du lait tourné. On distingue autour du bâtiment quelques traces de chantier récent, loques de plastique souillé qui s'accumulent dans des conteneurs situés aux limbes du parking, planches engluées de ciment empilées en vrac dans un angle mort. Emaillé pour sa part de plaques rouges sur le front, le réceptionniste se gratte fiévreusement l'épaule droite en vérifiant sur son registre la réservation de Baumgartner.

La chambre est sombre et peu avenante, les meubles fragiles et bancals ont l'air factices comme des accessoires de théâtre, le lit présente un sommier incurvé en hamac et le format des rideaux clos ne coïncide pas avec celui de la fenêtre. Au-dessus d'un canapé dur et désespéré, une lithographie merdique propose quelques zinnias mais Baumgartner ne s'y attarde pas: il marche directement vers le téléphone, posant tout à trac son bagage sur son chemin: il décroche et compose un numéro. Cela doit sonner occupé puisque Baumgartner grimace, raccroche, enlève sa veste et tourne autour de sa valise sans l'ouvrir.

Quelques minutes plus tard, quand il passe dans la salle de bains pour se laver les mains, l'ouverture et la fermeture des robinets déclenchent des ondes de choc sismiques dans toute la plomberie de l'établissement, puis en revenant Baumgartner dérape sur le carrelage glissant. De retour dans la chambre, il tire les rideaux, se poste devant la fenêtre pour découvrir qu'elle commande un puits, une colonne d'air obscur, une cheminée étouffante au diamètre dérisoire et au sommet crasseusement vitré. C'en est trop, Baumgartner en nage reprend le téléphone, appelle la réception et demande à changer de chambre. Le réceptionniste lui indique en se grattant le numéro de la seule autre chambre libre à l'étage supérieur mais, le personnel de l'hôtel paraissant décidément nonchalant, personne ne se présente pour s'occuper de sa valise qu'il transporte lui-même dans l'escalier.

Et à l'étage au-dessus, la même scène en tous points se déroule: Baumgartner tente encore de téléphoner mais c'est toujours occupé. II paraît à nouveau sur le point de s'énerver mais il se calme, il ouvre la valise et distribue ses affaires dans la penderie ténébreuse et dans la commode en pitchpin. Puis il inspecte cette nouvelle chambre qui est le rigoureux sosie de la première à la lithographie près au-dessus du canapé navré: des crocus y ont chassé les zinnias. Et si la fenêtre donne médiocrement sur le parking, au moins laisse-t-elle entrer un peu de soleil, au moins de là Baumgartner pourra-t-il surveiller sa voiture.

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Médecin justement, moi aussi, répondrait donc Hélène avec un temps de retard, mais pas exactement. Et d'ailleurs plus maintenant, je veux dire que je n'exerce plus. D'ailleurs elle n'avait jamais soigné personne, préférant aux patients répétitifs la recherche fondamentale qu'un héritage plus une pension alimentaire lui avaient permis d'abandonner, de toute façon, depuis deux ans. Son dernier poste avait été à la Salpêtrière, dans l'immunologie, je cherchais des anticorps, je regardais s'il y en avait, je calculais leur quantité, j'essayais de voir à quoi ils ressemblaient, j'étudiais leur activité, vous voyez? Bien sûr, enfin je crois, hésita Ferrer dont, après Baumgartner et conformément aux instructions de Sarradon, ce serait le tour de changer de chambre deux jours plus tard et deux étages au-dessous.

Elle était assez semblable à la précédente mais une fois et demie plus grande car à trois lits. Moins d'appareils médicaux l'encombraient, ses murs étaient d'un jaune très clair et la fenêtre ne donnait plus sur aucun arbre mais sur un médiocre immeuble de briques. Les voisins de Félix Ferrer étaient à sa gauche un solide Ariégeois au physique de pilier, apparemment en pleine forme et dont Ferrer ne comprendrait jamais ce qui lui valait d'être là, à sa droite un Breton plus chétif aux allures d'atomiste hypermétrope, toujours plongé dans un magazine et souffrant d'arythmie. Il n'arrivait pas très souvent qu'on vînt les voir, deux fois la mère de l'arythmique (conciliabules chuchotes inaudibles, aucune information), une fois le frère de l'Ariégeois (commentaires très sonores d'un match exceptionnel, très peu d'information). Le reste du temps, les rapports que Ferrer entretiendrait avec eux se limiteraient à des négociations sur le programme commun et le niveau sonore de la télévision.

Hélène revenant quotidiennement le visiter, Ferrer continuait de ne pas se montrer spécialement accueillant avec elle, sans manifester le moindre bonheur quand elle poussait la porte de la chambre. Non qu'il eût quoi que ce fût contre elle, mais il avait la tête ailleurs. Dès la première apparition de la jeune femme, par contre, les voisins de chambre avaient paru frappés. Puis, les jours qui suivirent, ils la regardèrent chaque fois avec plus de convoitise, chacun à sa manière – frontale et volubile en Ariège, allusivement oblique dans le Morbihan. Mais l'appétence même de ses voisins ne parvint pas à agir mimétiquement sur lui comme c'est parfois le cas – vous savez ce que je veux dire; vous ne désirez pas spécialement une personne dont une deuxième personne, la désirant à votre place, vous donne l'idée voire l'autorisation voire l'ordre de désirer la première, ces choses-là se produisent quelquefois, cela s'est vu, mais là non, ça ne se voyait pas.

En même temps c'est assez pratique, quelqu'un qui veut bien s'occuper de vous, ça peut faire quelques courses, ça vous apporte spontanément la presse du jour que vous repassez ensuite au Breton. Les fleurs seraient-elles autorisées dans le service, peut-être en apporterait-elle aussi. A chacune de ses visites, Hélène s'informait de l'état de Ferrer, examinant d'un œil professionnel les courbes et les diagrammes suspendus au montant du lit, mais le champ de leur conversation n'excédait pas cet horizon clinique. Mis à part ses anciennes activités professionnelles, jamais elle ne laissait échapper un mot concernant son passé. Les notions évoquées plus haut d'héritage et de pension alimentaire, pourtant potentiellement riches sur le plan biographique, ne firent ainsi l'objet d'aucun développement. Il n'arriva jamais non plus que Ferrer eût envie de lui raconter sa vie qui, ces temps-ci, ne lui paraissait pas tellement racontable ni enviable.

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