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Montparnasse ne résistait plus que faiblement; le fait est que ces quatre hommes, avec cette fidélité qu’ont les bandits de ne jamais s’abandonner entre eux, avaient rôdé toute la nuit autour de la Force, quel que fût le péril, dans l’espérance de voir surgir au haut de quelque muraille Thénardier. Mais la nuit qui devenait vraiment trop belle, c’était une averse à rendre toutes les rues désertes, le froid qui les gagnait, leurs vêtements trempés, leurs chaussures percées, le bruit inquiétant qui venait d’éclater dans la prison, les heures écoulées, les patrouilles rencontrées, l’espoir qui s’en allait, la peur qui revenait, tout cela les poussait à la retraite. Montparnasse lui-même, qui était peut-être un peu le gendre de Thénardier, cédait. Un moment de plus, ils étaient partis. Thénardier haletait sur son mur comme les naufragés de la Méduse sur leur radeau en voyant le navire apparu s’évanouir à l’horizon.

Il n’osait les appeler, un cri entendu pouvait tout perdre, il eut une idée, une dernière, une lueur; il prit dans sa poche le bout de la corde de Brujon qu’il avait détaché de la cheminée du Bâtiment-Neuf, et le jeta dans l’enceinte de la palissade.

Cette corde tomba à leurs pieds.

– Une veuve [81], dit Babet.

– Ma tortouse [82]! dit Brujon.

– L’aubergiste est là, dit Montparnasse.

Ils levèrent les yeux. Thénardier avança un peu la tête.

– Vite! dit Montparnasse, as-tu l’autre bout de la corde, Brujon?

– Oui.

– Noue les deux bouts ensemble, nous lui jetterons la corde, il la fixera au mur, il en aura assez pour descendre.

Thénardier se risqua à élever la voix.

– Je suis transi.

– On te réchauffera.

– Je ne puis plus bouger.

– Tu te laisseras glisser, nous te recevrons.

– J’ai les mains gourdes.

– Noue seulement la corde au mur.

– Je ne pourrai pas.

– Il faut que l’un de nous monte, dit Montparnasse.

– Trois étages! fit Brujon.

Un ancien conduit en plâtre, lequel avait servi à un poêle qu’on allumait jadis dans la baraque, rampait le long du mur et montait presque jusqu’à l’endroit où l’on apercevait Thénardier. Ce tuyau, alors fort lézardé et tout crevassé, est tombé depuis, mais on en voit encore les traces. Il était fort étroit.

– On pourrait monter par là, fit Montparnasse.

– Par ce tuyau? s’écria Babet, un orgue [83]! jamais! il faudrait un mion [84].

– Il faudrait un môme [85], reprit Brujon.

– Où trouver un moucheron? dit Gueulemer.

– Attendez, dit Montparnasse. J’ai l’affaire.

Il entr’ouvrit doucement la porte de la palissade, s’assura qu’aucun passant ne traversait la rue, sortit avec précaution, referma la porte derrière lui, et partit en courant dans la direction de la Bastille.

Sept ou huit minutes s’écoulèrent, huit mille siècles pour Thénardier; Babet, Brujon et Gueulemer ne desserraient pas les dents; la porte se rouvrit enfin, et Montparnasse parut, essoufflé, et amenant Gavroche. La pluie continuait de faire la rue complètement déserte.

Le petit Gavroche entra dans l’enceinte et regarda ces figures de bandits d’un air tranquille. L’eau lui dégouttait des cheveux. Gueulemer lui adressa la parole:

– Mioche, es-tu un homme?

Gavroche haussa les épaules et répondit:

– Un môme comme mézig est un orgue, et des orgues comme vousailles sont des mômes [86].

– Comme le mion joue du crachoir [87]! s’écria Babet.

– Le môme pantinois n’est pas maquillé de fertille lansquinée [88], ajouta Brujon.

– Qu’est-ce qu’il vous faut? dit Gavroche.

Montparnasse répondit:

– Grimper par ce tuyau.

– Avec cette veuve [89], fît Babet.

– Et ligoter la tortouse [90], continua Brujon.

– Au monté du montant [91], reprit Babet.

– Au pieu de la vanterne [92], ajouta Brujon.

– Et puis? dit Gavroche.

– Voilà! dit Gueulemer.

Le gamin examina la corde, le tuyau, le mur, les fenêtres, et fit cet inexprimable et dédaigneux bruit des lèvres qui signifie:

– Que ça!

– Il y a un homme là-haut que tu sauveras, reprit Montparnasse.

– Veux-tu? reprit Brujon.

– Serin! répondit l’enfant comme si la question lui paraissait inouïe; et il ôta ses souliers.

Gueulemer saisit Gavroche d’un bras, le posa sur le toit de la baraque, dont les planches vermoulues pliaient sous le poids de l’enfant, et lui remit la corde que Brujon avait renouée pendant l’absence de Montparnasse. Le gamin se dirigea vers le tuyau où il était facile d’entrer grâce à une large crevasse qui touchait au toit. Au moment où il allait monter, Thénardier, qui voyait le salut et la vie s’approcher, se pencha au bord du mur; la première lueur du jour blanchissait son front inondé de sueur, ses pommettes livides, son nez effilé et sauvage, sa barbe grise toute hérissée, et Gavroche le reconnut.

– Tiens! dit-il, c’est mon père!… Oh! cela n’empêche pas.

Et prenant la corde dans ses dents, il commença résolûment l’escalade.

Il parvint au haut de la masure, enfourcha le vieux mur comme un cheval, et noua solidement la corde à la traverse supérieure de la fenêtre.

Un moment après, Thénardier était dans la rue.

Dès qu’il eut touché le pavé, dès qu’il se sentit hors de danger, il ne fut plus ni fatigué, ni transi, ni tremblant; les choses terribles dont il sortait s’évanouirent comme une fumée, toute cette étrange et féroce intelligence se réveilla, et se trouva debout et libre, prête à marcher devant elle. Voici quel fut le premier mot de cet homme:

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[81] Une corde (argot du Temple).

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[82] Ma corde (argot des barrières).

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[84] Un enfant (argot du Temple).

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[85] Un enfant (argot des barrières).

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[86] Un enfant comme moi est un homme, et des hommes comme vous sont des enfants.

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[87] Comme l’enfant a la langue bien pendue!

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[88] L’enfant de Paris n’est pas fait en paille mouillée.

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[90] Attacher la corde.

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[91] Au haut du mur.

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[92] À la traverse de la fenêtre.

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